mardi 12 janvier 2021

Renversement de situation.


 

Il faut savoir se mouiller ...




Il était une fois deux chemineux, deux traîne-la-misère qui allaient sur les chemins de l’errance à la recherche d’un larcin, d’un mauvais coup ou bien de quelques bonnes occasions de se remplir la bourse ou bien la panse sans trop se fatiguer. Il n’étaient ni très méchants ni très gourmands, se contentant de menus forfaits pourvu qu’ils puissent ainsi profiter d’une vie oisive et contemplative.


Ne leur jetons pas la pierre d’autant que ces deux-là avaient fait le choix de rester en bord de Loire, par opportunité sans doute puisque grande alors était l’activité commerciale sur la rivière tout autant que les occasions de chaparder ou bien de jouer vilain tour à des ligériens de bonnes conditions. Ils vivaient d’expédients certes mais dans le plus beau décor qui soit tout en ne jetant leur dévolu que sur des marchands, des touristes aisés, des seigneurs.


Le premier, Gustave était petit et vif, brun de visage, il avait des yeux inquiets et perçants, des traits nettement marqués par la vie au grand air. Ses mains potelées et fortes, précédaient des bras minces non dépourvus d’une force importante. Son nez aquilin et osseux lui conférait une allure mystérieuse. De lui émanait à la fois roublardise et intelligence, rouerie et ruse.


Léonard quant à lui, son compagnon souffre-douleur était un doux colosse innocent aux mains gigantesques, véritables battoirs, lourdes de menaces. Personnage gigantesque aux larges épaules tombantes. Sur son visage informe, on remarquait surtout ses grands yeux pâles qui semblaient ne rien comprendre du monde qui l’entoure. Il est vrai que la nature avait fait de lui un simple, un gentil attardé avec esprit d'enfant. Doux comme un agneau en dépit de sa force impressionnante, il obéissait aveuglement à son compagnon.


Ces deux-là avaient parfois maille à partir avec la maréchaussée. À chaque fois Gustave s’arrangeait pour que Léonard fut le dindon de la farce. Si la chose peut sembler inélégante de sa part, le rusé avait rapidement compris que son compagnon suscitait souvent la pitié et la mansuétude. Une nuit au poste, une bonne rodomontade et le simplet était relâché sans autre forme de procès.


Cependant, les événements pour eux prenaient une tournure qui déplaisait fortement au plus malin des deux. Leur manège avait été repéré, les mariniers se méfiaient désormais de ces deux-là qu’ils appelaient les Rats des champs. Leurs chapardages avaient fini par excéder les marchands. Depuis quelque temps, les commanditaires imputaient les vols à la responsabilité de l’équipage en retirant de leur solde, le montant du chapardage.


Gustave s’interrogeait. Devait-il continuer à faire équipe avec ce pauvre Léonard qui passait si peu inaperçu que désormais, il contribuait à les montrer du doigt quand ils apparaissaient dans un port ? Il fallait changer de stratégie. Gustave se dit qu’il devait exploiter la naïveté de son compagnon à son seul profit, quitte à mettre dans la panade le berlaudiot.


Ce jour-là, le plus malin avait remarqué un chargement de tonneaux vides ayant quelques années de bouteille, destinés sans nul doute à remonter sur Orléans afin de servir au transport du vinaigre. Le chaland qui allait charger cette marchandise sans grande valeur avait à son bord des produits qui attiraient la convoitise du malin. Il convainquit Léonard de se glisser dans une barrique et de n’en sortir qu’à la nuit venue afin de dérober tout ce qui avait de la valeur sur le bateau.


Le doux géant se glissa avec grand peine dans sa cachette. Les effluves de vieux vin étaient aussi désagréables qu’inconfortable l'exiguïté de ce tonneau qui tout comme son passager n’était pas un foudre. Le malheureux bredin fut roulé, chahuté, secoué pour que son odorante cachette se retrouve à bord. Il eut dans son tourment la chance de ne pas être posé à l’envers. À la nuit venue, il put enfin sortir de ce cachot odieux. La tête lui tournait, il chancela, tituba et tomba dans la Loire sans rien avoir dérobé …


Sur la rive, Gustave l’attendait et fut fort mécontent du fiasco d’une entreprise pourtant fort bien imaginée. Il battit comme plâtre le pauvre colosse, déjà trempé et maintenant roué de coups. Léonard ne riposta pas tant l'emprise de son camarade était forte sur lui. Tout penaud, il lui demanda même pardon, proposant de recommencer sans tarder si son ami trouvait une nouvelle idée.


Gustave, jamais à court d’inventions pourvu qu’elles ne le mettent pas en péril proposa dans l’instant une autre solution. En fin stratège qu’il était, la mission périlleuse était confiée à un comparse, en l'occurrence, le gentil géant. Il le pria de se tapir au fond d’une « allège », sous une voile secours destinée au grand chaland à laquelle cette petite embarcation était accrochée. Là encore, il lui faudrait attendre le début de la nuit, quand l’équipage irait se restaurer dans une taverne pour monter à bord et voler ce qui avait de la valeur.


Léonard obtempéra sans même un regard critique sur la proposition. Il passa alors une nouvelle journée d’inconfort, engourdi car dans l’impossibilité de bouger. Il dut même, à sa grande honte, mouiller ses braies, faute de pouvoir pointer le bout de son nez sur la rivière. Il commençait à s’interroger sur son compagnon, bien tranquille sur le chemin de halage à suivre la progression du Chaland.


À proximité du pont de Blois, le courant étant violent en cet endroit et le vent pas suffisant pour franchir l’obstacle à la volée, un marinier tira le bout qui reliait l’Allège afin de monter à son bord pour envoyer une corde aux « gobeux » du bout du pont. Ces hommes allaient à la force de leurs bras puissants, tirer la corde pour permettre le franchissement de cette chaussée.


Il surprit le malheureux clandestin, profondément endormi. Sans ménagement, il réveilla Léonard, qui abruti de sommeil, se laissa prendre par la peau du cou et jeter à l’eau sans ménagement. Une fois encore l’aventure se terminait dans les flots et ce coup-là en un endroit où le courant était particulièrement violent. Le malheureux eut beaucoup de peine à regagner la rive, là où, ulcéré, l’attendait celui qui se prétendait son ami.


Durant deux jours, les deux compagnons se firent la tête. Ils suivaient la progression de ce bateau sur lequel il espéraient faire main basse. Le vent contrariait sa progression, le Chaland n’était qu’en vue du port de Beaugency quand Gustave proposa une nouvelle combine pour parvenir à leurs fins. Léonard bougonna, il devinait qu’il serait encore mis à contribution par celui qui avait véritablement l’étoffe d’un chef. Tout imbécile qu’il pouvait être, il avait néanmoins un bon jugement.


Cette fois, le beau parleur et homme d’excellent conseil lui suggéra de se faire passer pour un porte-faix sur le port et de monter à bord avec un objet encombrant sur l’épaule, puis de se cacher jusqu’à la nuit, par exemple dans le tas de grains de blé qui se trouvait sur l’arrière du bateau. Quoique dubitatif, le gros costaud se laissa faire. Sur le quai il y avait là une malle très lourde qu’un premier marinier n’avait pu hisser sur son dos, Léonard en profita pour lui proposer de le suppléer et monta ainsi à bord.


Sur le Chaland, le matelot qui deux jours auparavant l’avait jeté à l’eau, reconnut sans peine le colosse. Il était même impressionné par sa force. Il en toucha deux mots au Capitaine, qui en homme avisé, trouva bien vite le parti qu’il y avait à embaucher un tel personnage. Il suffisait de savoir pourquoi il avait agi de la sorte auparavant.


Léonard fut interrogé par le Capitaine dans le secret de la cabane. Sur le quai Gustave n’en vit rien. Ayant commencé par lui offrir à boire, de ce redoutable breuvage alcoolisé que les mariniers appellent le « Bouillon », l’homme apprit bien vite les tenants et les aboutissants de tout cela. Il remercia son nouveau membre d’équipage de sa franchise et lui proposa de jouer un vilain tour à celui qui le prenait pour un couillon depuis toujours …


Tout l’équipage au crépuscule feignit de partir. Un bon quart d’heure après, Léonard, plaça une planche de rive pour que Gustave puisse le rejoindre. Sur le pont, le nouveau venu fit comme à son habitude des reproches à son camarade, cette fois il lui reprochait d’avoir attendu aussi longtemps après le départ des hommes. Léonard, tout simplet qu’il était, sourit à cette remarque qui une fois encore, démontrait le peu de respect que son tourmenteur avait pour lui.


L’équipage arriva sur ces entrefaites. Gustave, alors qu’il réprimandait vertement le pauvre géant ne se rendit compte de rien. Attrapé sans ménagement, le gredin fut d’abord jeté à la Loire, une demande que Léonard avait formulé. Récupéré sur la rive par deux marins, ligoté promptement, il se retrouva sur le dos de celui qui jusqu’alors lui servait de couverture. Car c’est Léonard en personne qui conduisit celui qui se pensait rusé à la Prévôté. Le malfaisant fut jeté dans un cachot humide peuplés de souris qui allaient le tourmenter tandis que le benêt, adopté par les hommes d’équipage, devint le plus costaud porte-faix de la marine de Loire. Ce renversement de situation servira de chute à cette histoire.


Parodiquement leur.



 

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