vendredi 22 janvier 2021

Au pied de son arbre, il était bienheureux

 

Le destin d’un Dieu

 




Lug le lumineux était le fils de Cian et Brigit. Le jour de sa naissance, son grand-père maternel Balor, arriva au pied de son berceau, accompagné de trois fées : Houlipe, Morgane et Mélusine. Houlipe, la délicieuse fée de notre Val se pencha la première sur l’enfant et lui souffla à l’oreille une merveilleuse berceuse tout en lui offrant une lyre, capable de jouer seule, les plus beaux airs qui soient. Elle lui promit gloire et sagesse, faisant de lui le prochain maître des arts, de la lumière et de l’âge celtique.


Morgane à son tout s’inclina vers l’enfant. Elle lui tendit une lance magique et une fronde. Elle avait le visage grave tout en lui donnant la lourde charge de défendre son peuple jusqu’à la mort. Il serait le puissant guerrier invincible avec sa lance à la pointe empoisonnée et cette fronde dont il userait avec adresse.


Mélusine vint vers le nouveau né à leur suite. Avec cette curieuse fée, tout était possible, le bien comme le mal. La dame était aussi imprévisible que redoutée. Elle fit offrande au petit Lug d’un chêne qui dans l’instant sortit de terre, en bord de Loire, juste à deux pas d’une pierre Crapaud qui venait elle aussi se poser là après des bonds puissants provoquant un séisme tellurique. Elle prophétisa la puissance de l’enfant, il serait le dieu absolu, celui qui maîtrise toutes les techniques et toutes les connaissances tant que le chêne resterait planté en terre. Sous la pierre, un gigantesque trésor, inaccessible jusqu’à ce que Lug en ait besoin pour sauver son peuple.


Cian et Brigit n’en croyaient pas leurs oreilles. Leur fils était appelé au plus grand destin qui soit mais il leur appartenait de protéger cet arbre auquel sa destinée était intimement liée. C’est un sanglier qui se chargea de veiller sur le chêne tandis que pour sa peine, l’animal disposerait à volonté des glands qui ne cessaient de tomber de ses branches. Nul ne pouvait approcher l’arbre tant ce sanglier était redoutable.


Lug grandit et devint le plus puissant des dieux. Il s’était imposé comme le maître des lumières et de la guerre, le bienfaiteur du peuple celte, celui qui provoque effroi chez les ennemis et admiration chez les amis. Il était bon, juste et savait enjôler, caresser, plaire et séduire. Ses conquêtes furent nombreuses, il avait toujours une belle histoire à conter au pied de son chêne totémique tandis que les femmes succombaient toujours à ses paroles caressantes. Il régna longtemps, très longtemps sur tous les peuples dispersés désormais sur toute la façade occidentale de l’Europe. Son nom dépassait en gloire les vieilles divinités du passé. Il allait de par son vaste territoire jouant de la lyre pour que règnent la concorde et la paix. Sa lance rebutait toute velléité de rébellions et à quoi bon mettre à bas un dieu juste et bienveillant ?


Les siècles passèrent ainsi sans que Lug n’y perçoive le déclin de son étoile. De nouvelles croyances vinrent menacer son aura surnaturelle. Mais ces dieux n’étaient que pacotilles, apportés par des envahisseurs belliqueux certes mais tolérants. Il conservait sa place dans le cœur des siens qui se prêtaient volontiers au simulacre des nouvelles idoles sans renier leurs croyances.


Tout bascula quand une nouveau culte survint de l'orient. Un dieu unique qui excluait tous les autres. Il progressa lentement dans les esprits mais tous ceux qui étaient gagnés à sa cause n’en démordaient plus, il n’y aurait désormais plus qu’un seul Dieu. Ses adeptes se reconnaissaient à un signe de ralliement ; un poisson et ne tardèrent pas à dresser des temples pour honorer sa grandeur.


Lug ne comprit pas immédiatement qu’il était menacé. D’autant que l’époque était troublée. Les envahisseurs d’autrefois étaient retournés en bord de Méditerranée. D’autres grondaient plus loin dans les vastes plaines orientales. Ils étaient redoutables, puissants et impitoyables. Ils conquirent le pays par le fer et se grimèrent d’une religion de paix pour s’implanter pour toujours. Ils se prétendaient francs mais ne l’étaient guère. Sanguinaires et barbares, ceux-là ne se souciaient pas des tendres mélodies de Lug et de sa lyre.


Quand Clovis étendit son joug sur un territoire qui allait de Lutèce à Aurélianis en suivant les cours de la Seine de la Loire, Lug sentit qu’il convenait de se faire discret. Le Dieu puissant et magnifique avait subi le poids des ans et de l’indifférence. Il était devenu un vieillard digne et courbé qui allait à la recherche de ses derniers fidèles.


Il racontait des histoires qui passaient pour des légendes d’autrefois. On écoutait le conteur qui s’accompagnait de sa lyre, on se moquait de sa pauvre lance au fer émoussé qu’il brandissait parfois en un geste pitoyable et dérisoire. Lug était épuisé las et désemparé. Plus personne ne croyait à ses récits, on l’écoutait seulement, un sourire aux lèvres avant de lui offrir le gîte et le couvert pour le chasser au petit matin sans regret.


Un jour que Clovis tenait grand concile en Aurélianis, entouré des serviteurs du nouveau Dieu, il entendit parler de ce vieil homme qui sillonnait son royaume, racontant des sornettes d’un autre temps. Il voulut s’en amuser et distraire les évêques qui avaient beaucoup travaillé à établir le dogme qui allait asseoir son pouvoir par le truchement de quelques bêtes maléfiques qui se plieraient à la puissance de la nouvelle foi.


On alla quérir le vénérable Lug qu’on installa au chœur de cette docte assemblée. Clovis le pria de raconter comme il le faisait à travers tout le pays. Lug s’exécuta de bonne grâce, pensant sans doute conquérir le cœur de ces hommes sérieux. Hélas, les personnages étaient à table et rien n’a moins d’oreille qu’un ventre affamé de voluptés terrestres. Rares étaient encore ceux qui écoutaient distraitement ces contes d’un autre temps.


Clovis vit que l’homme n’était pas écouté, il le pria de se taire et l’invita à rester là s’il voulait profiter des victuailles. Lug lui sourit, se retira dans un coin, s’assit sur un trépied et s’endormit. Quelque part en bord de Loire des guerriers abattaient un vieux sanglier solitaire, un animal qui n’en pouvait plus d’effrayer le voisinage. Des bûcherons arrivèrent pour mettre à terre un chêne qui menaçait de s'effondrer à chaque instant.


Quand le repas fut achevé, que les agapes n’eurent que trop duré, les évêques et leur roi se retirèrent. Seul Mamert, l’évêque de Vienne eut pitié du vieil homme qui dormait dans un recoin obscur. Il s'approcha de lui, lui posa la main sur l’épaule pour le réveiller. Le vénérable veillard s’effondra, des milliers de glands roulèrent à terre, Lug avait disparu à jamais, métamorphosé en fruits du chêne.


Ainsi meurent aussi les dieux quand ils ne trouvent plus de place dans le cœur des hommes. Curieusement ce sont les plus doux et les plus sages qui disparaissent les premiers. Lug avait subi la domination d’autres qui portaient le glaive sans jamais reconnaître officiellement ce peu glorieux attribut. Il avait été maître des lumières et la sienne brille encore en bord de Loire, quelque part dans les yeux des amoureux de la rivière.

 

 

Ligériennement sien

 


 



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