En chamboulant le temps
En bousculant l'histoire
En martyrisant la chronologie
En travestissant la vérité
En défiant la logique
Et en grimant les personnages
Le bonimenteur vous invite à le suivre
Lorsqu'il vous déclare avec gravité :
« Il advint une bonne fois pour toute !
Qu'il vous faudra bien accroire »
Critiqué par CHALOT, le 16 janvier 2021
(Inscrit le 5 novembre 2009, 72 ans)
La note :
Délicieuse nostalgie
« Sully : mon Pays d'en France »
livre de C''Nabum
358 pages
Book editions
decembre 2020
358 pages
Un beau pays et de la mostalgie plein mon panier !
L'auteur, conteur, bonimenteur, poète nous remet un manuscrit original où se mêlent
des morceaux de vie de personnages de son enfance, de souvenirs personnels et de contes.
Les personnes « portraitisées » ressemblent parfois, à s'y méprendre, à
des hommes et des femmes que des lecteurs comme moi ont connus dans leur
village natal, qu'il s'agisse du porteur de vie, de l'homme à tout
faire ou du docteur dévoué venant au moindre appel soigner un
villageois.
Nos villages vivaient ainsi : quand un enfant avait une conduite
dangereuse ou incorrecte, il y avait toujours un adulte pour le
reprendre et personne n'avait à y redire, surtout pas les parents.
Le deuxième chapitre du livre au nom révélateur de « mes universités »
est consacré à tous les passeurs qui ont participé à son éducation, ses
instituteurs, notamment.
N'hésitant pas à souligner ses faiblesses d'alors, notre narrateur
revient sur ses carences en orthographe et ses zéros en dictée....Ironie
de l'histoire, il écrit aujourd'hui beaucoup et manie la langue
française et les mots avec bonheur et maîtrise....Comme quoi ?
Plus loin, dans cette même partie ou dans une autre, le lecteur découvre
le basculement du monde commencé dans les années 70 et complet
aujourd'hui.
Cela se passe à Sully mais aussi en d'autres lieux :
« le lavoir ne recevait plus personne, le Ru d'Oison devenait petit à
petit ce mince filet d'eau qu'il est désormais même si en juin 2016, il
montra à tous qu'il était encore capable de déborder. »
Ce voyage teinté de nostalgie au pays de l'enfance de l'auteur se termine par l'incontournable suite de contes et de légendes.
C'est là un délice.
Je ne connais pas cette ville qui est l'une des cités arrosées par la
Loire, ce fleuve chargé d'histoire de France culturelle et politique
mais ce conteur réussit à me la rendre mienne ou presque.... d'autant
plus que, natif de Blandy les Tours, petit village doté d'un château
fort, je retrouve et c'est curieux, des traits communs entre ces deux
communes !
Pourtant le Loiret et la Seine et Marne, proches sont très différents !
Gueux sur votre terre Nous devenons bientôt Par un étrange mystère Seigneurs sur notre bateau
Nous sommes les va-nu-pieds Les mariniers sur l'eau Dormons dans les fossés Pour trouver le repos Vous vous plaignez sans cesse D’nos vilaines manières Nous vous montrons nos fesses Hommage à la rivière
Dans tous les caboulots Nos trognes rubicondes De vilains matelots Choquent tout l’monde Les chansons qu’nous braillons Troublent les belles dames Que nous offensons De nos propos infâmes !
Passons pour des soudards Au langage abominable D'impossibles lascars Possédés par le diable Poursuivant les donzelles Insultant les bourgeois Et faisant la part belle Aux propos de guingois
Mais devant le danger Dès la première alarme Accourons vous sauver Vous tirant de ce drame Car jamais un marinier Quoi qu'il puisse lui coûter Ne refuse de porter Secours aux naufragés
Seigneurs sur les flots Finirons tantôt Ah quelle galère Gueux sur votre Terre
En
1705, il était une fois à Saint Raimbert un jeune homme bien fait
de sa personne, un gars réputé pour sa bravoure et son amour des
jolies demoiselles. Il courait le guilledou, allant d’un jupon à
l’autre avec délectation. Jamais satisfait de sa conquête, il se
remettait toujours en quête, espérant trouver le véritable amour,
celui qui fait battre le cœur pour la vie.
Lucien
était bien né, non pas qu’il fut venu dans l’existence avec une
cuillère en argent dans la bouche, mais simplement parce qu’il
avait des parents aimants qui lui avaient donné l’envie de croquer
l’existence. Il était d’une humble extraction, de celle qui vous
pousse à tenter le diable pour réussir sa vie.
Le
hasard, la nécessité, qu’importe comment nomme-t-on la
coïncidence, Lucien fut présent lors de la création de la grande
aventure des rambertes. Le charbon de terre, extrait dans les mines
du côté de Saint Étienne, était réclamé dans tout le pays et
par le roi Louis XIV, qui avaient en ce temps-là grand besoin
d’énergie pour son industrie naissante.
On
suggéra au roi de transporter le précieux minerai par voie d’eau,
la Loire étant fréquentable quelques mois par an du côté de
Roanne. Des hommes plus audacieux pensèrent qu’il était possible
de gagner temps et argent en embarquant dès Saint Rambert. Le
problème majeur résidant dans le redoutable passage du Perron, qui
dressait là, au milieu de la rivière, une barrière rocheuse
exigeant un saut périlleux.
Lucien
fut parmi les premiers à se porter volontaire pour tenter le diable.
Il connaissait par le cœur le cours d’eau, aimant depuis toujours
à s’y promener, à pêcher malgré l’interdit qui pesait sur
cette pratique relevant d’un privilège corporatiste. Il savait les
rochers, les obstacles, les pièges qui parsemaient ce trajet. Il
avait, dans son jeune âge, osé la construction d’une pirogue et
affronté la rivière. Sa réputation avait ainsi fait le tour de la
contrée et c’est vers lui que se tournèrent naturellement les
promoteurs de cette aventure en devenir.
Lucien
supervisa la construction de la toute première ramberte, une grande
barge en sapin pour y charger vingt tonnes de charbon. Il avait donné
des conseils avisés, fort de ses expériences avec sa pirogue. Il se
porta volontaire pour être le premier à se lancer dans cette folie,
en situation réelle, avec une embarcation chargée. Il eut
d’ailleurs bien du mal à trouver un compère qui acceptât de
l’accompagner dans l’aventure.
Il
fut celui qui ouvrit la route, une route parsemée de pièges et
d’écueils. Son succès provoqua une épopée qui dura deux siècles
et demi. D’autres trompe-la-mort se mirent aussi sur le métier qui
venait de naître, celui de navigateurs audacieux qui menaient les
bateaux sur ce petit parcours semé de chausse-trappes avant de les
confier à d’autres, pour de longs trajets plus paisibles.
Ces
gars-là étaient des acrobates, des têtes brûlées ne craignant
rien. Ils étaient pourtant si faibles dans ces flots furieux, avec
leurs deux malheureuses pétoles, leur courage et la main de dieu
tant qu’elle voulait bien les protéger. Ils étaient admirés de
tous pour leur courage, surtout des jeunes femmes qui ont toujours
aimé ceux qui défient le destin.
Lucien
tout particulièrement avait remarqué une beauté qui guettait le
passage des vaillants devant le saut du Perron. Elle était là, la
robe et les cheveux flottant au vent, inquiète et fébrile devant le
spectacle qu’elle admirait tout autant qu’elle redoutait. Il ne
manquait jamais à chaque passage de jeter dans la rivière, à
l’approche de la magnifique vigie, une rose en lui envoyant un
baiser.
La
demoiselle l’avait elle aussi remarqué et aurait eu les yeux de
Chimène pour son kamikaze de galant si la donzelle avait connu
l’histoire. Elle était énamourée pour celui qui, en dépit du
danger qui sourdait, se permettait pareille galanterie et aimable
révérence, à elle seule, destinée. Elle avait le cœur battant à
chacun de ses passages, si fréquents du reste, qu’elle soupçonnait
qu’il se mît ainsi en danger rien que pour elle.
Elle
se décida à agir pour le préserver tout autant que le conquérir.
Elle se rendit dans l’église de Saint Maurice, munie selon la
légende, d’une épingle à cheveux. Elle essaya à plusieurs
reprises de la lancer contre la queue du cheval sur lequel était
juché le saint patron de la ville. On prétendait que si l’épingle
s’y fichait, le mariage désiré serait exhaussé et fort heureux.
Hélas,
elle n’y parvint pas et eut soudainement terrible pressentiment.
Elle se précipita vers le seuil tant redouté, guettant l’arrivée
de son amoureux. La Loire était ce jour-là plus haute et agitée
qu’à l’habitude. Elle était folle d’inquiétude et eut un
violent pincement au cœur quand elle vit apparaître celui qu’elle
chérissait.
Ce
ne pouvait être que lui, celui qui se tenait ainsi, si fier et
élégant pour aborder le passage le plus redoutable de toute notre
Loire. Elle pria Saint Nicolas, la bonne Vierge de Vernay et tous les
autres saints de la création. Hélas, les cieux ce jour-là étaient
inaccessibles à ses requêtes. Elle vit Lucien bouter son chapeau
devant elle, lui envoyer un doux baiser, jeter la rose dans les flots
en furie quand un immense craquement résonna dans la vallée.
Lucien, désarçonné sombra sous les yeux de sa bien-aimée.
La
pauvre, folle de douleur, se précipita à Vinay. C’est là,
quelques jours plus tard, qu’on découvrit son corps, premier d’une
longue série de malheureux qui perdirent en ce passage maudit
l’existence. La fille pleura toutes les larmes de son corps et se
fit curieuse promesse, le seigneur des cieux n’avait pas souhaité
qu’elle se donnât à son beau marinier, elle décida de se faire
fille de tristesse, pour accorder à tous les autres le peu de
réconfort qu’elle pouvait leur donner.
De
ce jour, la fille du saut du Perron fut traitée de Péronnelle,
terme qui alors fit flores. Les hommes méprisent ainsi celles qui
pour des raisons qui échappent bien souvent à la compréhension,
font ainsi commerce de leur corps alors qu’ils en jouissent sans
honte ni remords. Elle n’en jouissait point mais se faisait un
point d’honneur à adoucir une existence qu’elle savait si
fragile pour ces malheureux garçons affrontant mille périls pour
des boulets de charbon.
Que
cette histoire résonne dans vos cœurs et vous ouvre à bien plus de
compassion pour celles qui font ainsi boutique de leur corps. Des
péronnelles se trouvèrent tout du long de la rivière, elles
travaillaient dans ces bordeaux qui accueillaient des mariniers en
désamour. Ce métier qu’on dit le plus vieux du monde ne mérite
ni opprobre ni mépris.
Freluquet,
monarque de Palais se prenant pour Jupiter avait promis lors de son
sacre somptueux de réaliser une opération de nettoyage des
pratiques du pouvoir. Avec lui, c’était certain, tous les travers
accumulés au cours d’une constitution trop profitable aux
canailles allaient soudainement disparaître. Pour confirmer cette
promesse, il entendait renouveler le personnel politique, renvoyant
dans les étables les vieilles carnes du passé.
En
bon prince méprisant, l’homme a pourtant dédaigné les travaux
d’entretien courant. Pire même, il a permis la création de
nouvelles immondices se permettant lui-même de laisser une chape
d’excréments sur le dossier de sa garde rapprochée. Mensonge,
falsification, manipulation et autres turpitudes sont venus
s’amonceler sur les vestiges nauséeux du passé.
Décidément
l’air devint putride dans les allées du pouvoir et pire encore
dans les écuries de la monarchie élective. Aux délicieux parfums
de corruption, prévarication, avantages indus, privilèges
exorbitants, tromperies fiscales et autres dérives princières, il a
fallu ajouter les effluves marines avec des reliefs de homard.
L’odeur devenait méphitique et même plus encore pestilentielle.
Freluquet
fit donc appel à Hercule pour nettoyer ce qui pouvait être retiré,
un petit riponilage de surface, histoire de contenter le peuple des
miséreux si méprisé par ce Monarque hautain. Le pauvre demi-dieu
s’était brûlé les ailes en se métamorphosant en avion de
chasse, totalement invendable. Il avait d’autres chats à fouetter.
Il déclina l’offre.
Il
avait pensé, un temps s’appuyer sur un dénommé Collomb pour lui
conférer une virginité en la matière fécale. Hélas, mille fois
hélas, l’homme était loin d’avoir découvert l’Amer Hic. Il
dut même avaler des couleuvres à propos d’un garde du corps. Il
s’en alla la queue basse, repoussant une mission qui n’était
plus dans ses cordes, ses forces déclinant.
Comment
faire au juste pour entreprendre cette nécessaire œuvre de
salubrité publique ? Cherchant bien autour de lui, Freluquet ne
voyait que des gens aux mains sales, à la pensée obscure et aux
intentions peu louables. Le salut ne pouvait venir que de
l’extérieur. Un petit air frais qui ferait grand bien dans les
miasmes ambiants. L’urgence était grande, le fumier n’avait pas
été retiré depuis la disparition du Grand Charles, le créateur de
la nouvelle monarchie.
La
puanteur se rependait désormais à travers tout le pays. Des
citoyens en colère se dressèrent du reste sur les rond- points pour
réclamer le grand nettoyage. Ils furent sauvagement balayés par le
bras séculier, complice d’un pouvoir qui devenait de plus en plus
violent vis à vis de ses sujets alors que les couches
excrémentielles s’accumulaient dans les écuries.
Le
salut vint, à la grande désolation du Prince, d'éléments
extérieurs, deux canards vengeurs, l’un enchaîné et l’autre
médiatique, qui mirent leurs becs dans les immondices du pouvoir.
Les deux organes de presse avaient tant à faire pour enfin assainir
qu’ils ne pouvaient suffire à la tâche immense, colossale même.
Comme
leur homologue qui nettoie les cuvettes des WC, ils devaient
s’attaquer à ce qu’il y avait de plus fétide dans notre pays.
Curieusement vilipendés par ceux-là même qui, jocrisses et
hypocrites, prétendaient à la transparence, ils trouvèrent dans la
population des relais, des supports, des collaborateurs pour
concourir à leur mission.
Sur
les réseaux sociaux, chacun pouvait y aller de son petit coup de
balayette pour nettoyer les relents d’un pouvoir entièrement au
service d’un système accumulant tous les rejets possibles. Cette
aide fut précieuse à nos deux canards, qui évitèrent ainsi d’être
censurés par un Freluquet de plus en plus tenté par la dictature.
Nos
deux palmipèdes firent deux brèches dans les écuries de la
monarchie. L’une s’appelait « Liberté de la presse »
: l’Alphée, l’autre « Respect des sources » : le
Pénée. Pour Leur donner un sacré coup de main, le peuple outragé,
le peuple martyrisé perça lui aussi sa brèche qu’il nomma
« Référendum » : L’Achéron.
Freluquet
et ses sbires seront ils noyés par les flots tumultueux de ces
rivières indomptables ? Nous le saurons bientôt en suivant les
prochains épisodes de la merveilleuse et résistible épopée des
Canailles de la Monarchie. Pour l’heure, les écuries sont encore
couvertes de fumier mais nous ne désespérons d’en venir à bout
en établissant une sixième République qui plus que jamais est
nécessaire.
Il
était, il y a bien longtemps, au bord d’une rivière en région
forestière, un homme si grand que tout le monde le connaissait sous
le sobriquet de « Grand Échalas ». Je pense qu’il est
bon de faire ici aparté pour vous expliquer le sens de ce surnom
avant qu’il ne soit rentré dans le langage courant. Il est vrai
que l’aventure de ce curieux personnage fit rapidement le tour de
toutes les rivières qui coulent au pied des collines boisées.
En
ce temps-là, le vignoble occupait une grand part des terres de nos
vallées. La consommation de vin était ce qu’on qualifierait
aujourd’hui d’immodérée. Il n’était pas rare de voir des
travailleurs buvant quatre à six litres par jour et bien peu
pensaient à couper leur boisson d’eau. C’était bien avant
l’arrivée du maudit phylloxéra, les vignerons coulaient des jours
heureux et Monsieur Évin n’était pas encore né. Seules les taxes
des Aides venaient contrarier leur juteux commerce.
La
culture de la vigne exigeait un tuteur de bois, un haut piquet en
châtaignier, acacia ou pin et Sylvain faisait métier de couper,
tailler, mettre en fagots les échalas qui partaient ensuite à bord
de sapines, salambardes ou bien chalands suivant les rivières
empruntées. Sa taille inhabituelle à l’époque lui avait fallu ce
surnom qui depuis affublent les grandasses.
Sylvain
abattait autant d’arbres que de travail. Il était aussi fort qu’il
était grand, ne rechignait jamais à l’ouvrage. Il aimait venir au
port livrer sa production que des mariniers embarquaient pour les
régions vinicoles. À plusieurs reprises, des mariniers avaient
convié notre homme à faire une fois avec eux la descente, histoire
de voir du pays.
Sylvain,
un peu penaud devait décliner l’invite et se refusait même à
embarquer sur le bateau pour y boire un verre en compagnie des
lascars qui vont sur l’eau. Il avait une phobie qu’il n’osait
avouer. Pour lui, rien ne valait tant que le plancher des vaches car
il était dans l’impossibilité psychologique de se trouver en
contre-bas. Ainsi, descendre dans une cave lui était impossible tout
autant que monter à l’échelle ou bien un escalier.
Les
chalands, les sapines, les bateaux de transport de marchandises
avaient de hautes bordées afin de pouvoir les charger. Nos bateaux
traditionnels n’avaient pas de pont. Dès qu’on y montait, il
fallait descendre en-dessous du niveau de l’eau sur un plancher qui
recevait le fret. Ce mètre cinquante de dénivelé était pour le
garçon un obstacle paralysant qui le laissait à quai.
C’est
de ce handicap assez curieux, il faut l’avouer, que naquit une page
des plus belles de l’histoire fluviale. Sylvain étant compagnon
bûcheron reçut un jour une commande. Il devait abattre des
châtaigniers, nombreux dans sa région et les porter en bord de
rivière. L’habitude voulait qu’on y laisse filer au fil des
flots les troncs pour rejoindre le chantier de construction navale ou
bien l’artisan qui en avait fait commande.
Les
troncs étaient marqués d’un signe gravé afin de savoir à qui
ils étaient destinés ; cette opération se nomme le martelage et
était réalisée avec des marteaux à l’effigie du propriétaire
du tronc. Ils allaient à la bonne fortune de la rivière. Mais cette
fois, la commande était d’importance. Le château de
Sully-sur-Loire réclamait des châtaigniers pour bâtir une
charpente qui, plus de cinq cents plus tard, fait encore l’admiration
des visiteurs.
Sylvain
embaucha des bûcherons et des muletiers pour abattre et conduire les
troncs au pied de la colline. Il loua les service de charretiers pour
les porter jusqu’en bord de Loire, à Roanne. C’est là qu’il
fut confronté à un problème insoluble. Payer les services de
mariniers était déraisonnable, le prix du voyage allait grever tout
son bénéfice. Il lui fallait laisser le bois flotter au fil de
l’eau. Mais là encore, le nombre et la distance rendaient
inopérante la solution d’antan.
Le
désir de faire le voyage dont souvent il avait entendu parler, la
nécessité de faire des économies, le curieux handicap qui était
sien se conjuguèrent pour créer une réponse appropriée qui allait
faire flores dans tout le pays et même ailleurs. Il eut l’idée
saugrenue et folle pour ceux qui assistèrent à cette première, de
lier et garrotter les troncs entre eux de manière à les rendre
solidaires. Son chargement ainsi constitué en une sorte de bateau
plat fait de rondins démesurément longs, environ 70 mètres pour 5
de large. Il était parvenu à y mettre 200 stères de bois.
Chaque
tronc était assemblé aux voisins par des rameaux de bois verts qui
furent appelés plus tard les chantiers, puis lié solidement
par des branches souples nommées rouettes. Il avait pensé à
donner une souplesse à son train de bateau en constituant plusieurs
tronçons de troncs afin de donner une certaine mobilité à son
embarcation, à la manière des trains de marchandises bien plus
tard.
Une
fois son bel ensemble constitué, il dut se mettre en tête de le
diriger. Lui qui n’avait jamais pu mettre les pieds sur un chaland
avait à relever un défi incroyable. Fort de toutes les observations
qu’il avait faites en regardant manœuvrer les mariniers, il se
munit de bourdes, d’un outil nommé fouine, une fourche à trois
dents et de gouets, petites pioches courtes. Le plus compliqué pour
lui fut de trouver trois compères pour se lancer dans l’aventure.
Le
voyage eut lieu sans encombre. Les troncs arrivèrent à
Sully-sur-Loire et furent confiés aux charpentiers après un long
séchage. La nouvelle de la prouesse de Sylvain, le grand échalas
circula comme une traînée de poudre, d’autres reprirent son idée
et c’est officiellement le 20 avril 1547, avec l'aide de Charles
Lecomte maître d'œuvre de la charpenterie de l'Hôtel de Ville de
Paris et de ses compagnons que le premier train de bois lié et
garrotté arriva à Paris.
Le
Grand échalas était depuis longtemps retourné dans ses collines.
Il n’avait pas le pied marin. Il préférait de très loin rester à
terre, fut-ce sur une pente raide comme il s’en fait dans la région
roannaise. Les trains de bois flottés lancèrent une nouvelle et
belle épopée fluviale. Sur la Seine surtout mais aussi sur bien
d’autres rivières, jusqu’en 1880, des hommes se lancèrent sur
les eaux en équilibre sur des troncs.
Aujourd’hui
encore, au Canada se perpétue cette périlleuse navigation. Gloire
soit ici rendue à tous les flotteurs de bois, draveurs et autres
radeleurs. Le métier est fort rude et nombreux sont ceux qui
achèvent leur périple dans l’eau.
Il m'est arrivé un phénomène qui
n'a rien de particulier, qui ne devrait être ni remarquable ni
inquiétant et qui pourtant vient une fois encore titiller mes sens
en éveil sur les grandes tendances de notre société. Je sais que
je suis un bien curieux personnage, prompt à m'enflammer pour ce qui
ne provoque pas même le plus petit émoi chez l'homo-sapiens
ordinaire, mais je ne peux taire ce qui m'est advenu par une belle
soirée gastronomique.
La table est le lieu de la
convivialité, des réunions entre semblables ou pas trop différents,
des gens qui se pensent mutuellement de bonne compagnie. Ne soyez pas
offusqués par le propos, nul ne songe à inviter chez lui un quidam
qu'il range dans la catégorie des cuistres, des imbéciles ou des
malappris à moins d'en faire une source de plaisanterie, ce qui
avouons-le, serait du plus mauvais goût.
Non, c'est ainsi que nous tous, qui
que nous soyons, nous nous efforçons modestement de respecter
l'adage : « Qui se ressemble s'assemble » pour éviter les
mauvaises surprises, les conversations qui dérapent, les conflits
qui tournent vinaigre bien avant la salade. Nous n'aimons rien moins
que la querelle lorsqu'elle peut être évitée dans le cocon
douillet de son domicile.
Je ne déroge pas à cette pratique
élémentaire qui assure la paix sociale, évite le renouvellement
trop fréquent de la vaisselle au grand dam des publicitaires qui
rêvent de nous voir changer nos services au gré des modes si
fugaces. Nous sommes tous de bons conservateurs même lorsque nous
nous targuons d'être d'un courant opposé.
Mais les temps changent et c'est là
que vient à propos, ce billet de mauvaise humeur et de bris de
verres. Dans une société forcément distinguée relativement
homogène, en âge et en parcours complètement repérable dans les
catégories socio-culturelles, un aréopage de gens de bonnes
familles, réuni autour d'un repas d'exception, vint à tenir des
discours politiques.
Je sais que l'aventure est périlleuse,
que le désaccord pointe son nez, que les surprises sont parfois
grandes et la fâcherie proche d'un bonnet qui est, plus chaud sur ce
sujet. Mais de là à imaginer qu'un distingué convive, homme
cultivé et de bon commerce put soudain en venir à l'irréparable,
il y avait un pas que la qualité des plats proposés jusqu'alors, ne
laissait absolument pas présager.
On ne peut mettre le dérapage sur
les excès de boissons. Dans ce monde ci, monsieur, on se tient bien
à table et encore mieux arrimé à l'ancre de la convenance. Il faut
garder tête froide et posture respectable. Des années de pratique
et une conviction chevillée au corps nous ont permis de ne jamais
céder aux débordements navrants.
Mais point de tout ça, l'homme qui
sortit du rang de la respectabilité habituelle, était bon père,
bon époux, travailleur infatigable, sportif qui se conserve malgré
le poids des ans, membres émérite et actif d'associations. Il avait
tout pour répondre aux normes en vigueur dans les critères
d'honorabilité et son véhicule attestait d'une position dominante.
C'est d'ailleurs le détail, à bien
y réfléchir qui éclairera fort à propos l'aveu qu'il fit à la
noble assemblée. Le marchepied et toutes les roues motrices à la
fois autorisent sans doute plus facilement ce dérapage, qu'il
n'aurait jamais commis en d'autres temps. Mais ce qu'il avait à nous
dire se banalise, nulle honte, nulle gêne maintenant dans la
confession publique.
Porté par un courant de plus en plus
menaçant, certain du nombre, persuadé d'un avenir radieux, l'homme
pouvait sans rougir de confusion déclarer ce qui hier encore se
gardait au fond d'un cœur rempli de haine, de rancœur ou de rage. «
Oui monsieur je suis raciste. Oui monsieur, je vote pour Marine et
j'espère qu'elle va prendre le pouvoir ! » Plus rien ne pouvait
passer ensuite, j'en avais fini de ce bon repas …
Lug
le lumineux était le fils de Cian et Brigit. Le jour de sa
naissance, son grand-père maternel Balor, arriva au pied de son
berceau, accompagné de trois fées : Houlipe, Morgane et Mélusine.
Houlipe, la délicieuse fée de notre Val se pencha la première sur
l’enfant et lui souffla à l’oreille une merveilleuse berceuse
tout en lui offrant une lyre, capable de jouer seule, les plus beaux
airs qui soient. Elle lui promit gloire et sagesse, faisant de lui le
prochain maître des arts, de la lumière et de l’âge celtique.
Morgane
à son tout s’inclina vers l’enfant. Elle lui tendit une lance
magique et une fronde. Elle avait le visage grave tout en lui donnant
la lourde charge de défendre son peuple jusqu’à la mort. Il
serait le puissant guerrier invincible avec sa lance à la pointe
empoisonnée et cette fronde dont il userait avec adresse.
Mélusine
vint vers le nouveau né à leur suite. Avec cette curieuse fée,
tout était possible, le bien comme le mal. La dame était aussi
imprévisible que redoutée. Elle fit offrande au petit Lug d’un
chêne qui dans l’instant sortit de terre, en bord de Loire, juste
à deux pas d’une pierre Crapaud qui venait elle aussi se poser là
après des bonds puissants provoquant un séisme tellurique. Elle
prophétisa la puissance de l’enfant, il serait le dieu absolu,
celui qui maîtrise toutes les techniques et toutes les connaissances
tant que le chêne resterait planté en terre. Sous la pierre, un
gigantesque trésor, inaccessible jusqu’à ce que Lug en ait besoin
pour sauver son peuple.
Cian et Brigit n’en croyaient pas leurs oreilles. Leur fils était
appelé au plus grand destin qui soit mais il leur appartenait de
protéger cet arbre auquel sa destinée était intimement liée.
C’est un sanglier qui se chargea de veiller sur le chêne tandis
que pour sa peine, l’animal disposerait à volonté des glands qui
ne cessaient de tomber de ses branches. Nul ne pouvait approcher
l’arbre tant ce sanglier était redoutable.
Lug
grandit et devint le plus puissant des dieux. Il s’était imposé
comme le maître des lumières et de la guerre, le bienfaiteur du
peuple celte, celui qui provoque effroi chez les ennemis et
admiration chez les amis. Il était bon, juste et savait enjôler,
caresser, plaire et séduire. Ses conquêtes furent nombreuses, il
avait toujours une belle histoire à conter au pied de son chêne
totémique tandis que les femmes succombaient toujours à ses paroles
caressantes. Il régna longtemps, très longtemps sur tous les
peuples dispersés désormais sur toute la façade occidentale de
l’Europe. Son nom dépassait en gloire les vieilles divinités du
passé. Il allait de par son vaste territoire jouant de la lyre pour
que règnent la concorde et la paix. Sa lance rebutait toute velléité
de rébellions et à quoi bon mettre à bas un dieu juste et
bienveillant ?
Les
siècles passèrent ainsi sans que Lug n’y perçoive le déclin de
son étoile. De nouvelles croyances vinrent menacer son aura
surnaturelle. Mais ces dieux n’étaient que pacotilles, apportés
par des envahisseurs belliqueux certes mais tolérants. Il conservait
sa place dans le cœur des siens qui se prêtaient volontiers au
simulacre des nouvelles idoles sans renier leurs croyances.
Tout
bascula quand une nouveau culte survint de l'orient. Un dieu unique
qui excluait tous les autres. Il progressa lentement dans les esprits
mais tous ceux qui étaient gagnés à sa cause n’en démordaient
plus, il n’y aurait désormais plus qu’un seul Dieu. Ses adeptes
se reconnaissaient à un signe de ralliement ; un poisson et ne
tardèrent pas à dresser des temples pour honorer sa grandeur.
Lug
ne comprit pas immédiatement qu’il était menacé. D’autant que
l’époque était troublée. Les envahisseurs d’autrefois étaient
retournés en bord de Méditerranée. D’autres grondaient plus loin
dans les vastes plaines orientales. Ils étaient redoutables,
puissants et impitoyables. Ils conquirent le pays par le fer et se
grimèrent d’une religion de paix pour s’implanter pour toujours.
Ils se prétendaient francs mais ne l’étaient guère. Sanguinaires
et barbares, ceux-là ne se souciaient pas des tendres mélodies de
Lug et de sa lyre.
Quand
Clovis étendit son joug sur un territoire qui allait de Lutèce à
Aurélianis en suivant les cours de la Seine de la Loire, Lug sentit
qu’il convenait de se faire discret. Le Dieu puissant et magnifique
avait subi le poids des ans et de l’indifférence. Il était devenu
un vieillard digne et courbé qui allait à la recherche de ses
derniers fidèles.
Il
racontait des histoires qui passaient pour des légendes d’autrefois.
On écoutait le conteur qui s’accompagnait de sa lyre, on se
moquait de sa pauvre lance au fer émoussé qu’il brandissait
parfois en un geste pitoyable et dérisoire. Lug était épuisé las
et désemparé. Plus personne ne croyait à ses récits, on
l’écoutait seulement, un sourire aux lèvres avant de lui offrir
le gîte et le couvert pour le chasser au petit matin sans regret.
Un
jour que Clovis tenait grand concile en Aurélianis, entouré des
serviteurs du nouveau Dieu, il entendit parler de ce vieil homme qui
sillonnait son royaume, racontant des sornettes d’un autre temps.
Il voulut s’en amuser et distraire les évêques qui avaient
beaucoup travaillé à établir le dogme qui allait asseoir son
pouvoir par le truchement de quelques bêtes maléfiques qui se
plieraient à la puissance de la nouvelle foi.
On
alla quérir le vénérable Lug qu’on installa au chœur de cette
docte assemblée. Clovis le pria de raconter comme il le faisait à
travers tout le pays. Lug s’exécuta de bonne grâce, pensant sans
doute conquérir le cœur de ces hommes sérieux. Hélas, les
personnages étaient à table et rien n’a moins d’oreille qu’un
ventre affamé de voluptés terrestres. Rares étaient encore ceux
qui écoutaient distraitement ces contes d’un autre temps.
Clovis
vit que l’homme n’était pas écouté, il le pria de se taire et
l’invita à rester là s’il voulait profiter des victuailles. Lug
lui sourit, se retira dans un coin, s’assit sur un trépied et
s’endormit. Quelque part en bord de Loire des guerriers abattaient
un vieux sanglier solitaire, un animal qui n’en pouvait plus
d’effrayer le voisinage. Des bûcherons arrivèrent pour mettre à
terre un chêne qui menaçait de s'effondrer à chaque instant.
Quand
le repas fut achevé, que les agapes n’eurent que trop duré, les
évêques et leur roi se retirèrent. Seul Mamert, l’évêque de
Vienne eut pitié du vieil homme qui dormait dans un recoin obscur.
Il s'approcha de lui, lui posa la main sur l’épaule pour le
réveiller. Le vénérable veillard s’effondra, des milliers de
glands roulèrent à terre, Lug avait disparu à jamais, métamorphosé
en fruits du chêne.
Ainsi
meurent aussi les dieux quand ils ne trouvent plus de place dans le
cœur des hommes. Curieusement ce sont les plus doux et les plus
sages qui disparaissent les premiers. Lug avait subi la domination
d’autres qui portaient le glaive sans jamais reconnaître
officiellement ce peu glorieux attribut. Il avait été maître des
lumières et la sienne brille encore en bord de Loire, quelque part
dans les yeux des amoureux de la rivière.