lundi 28 juin 2021

L'écrivain public

 


Conte à Chanter




Ils sont funambules de l'inutile ! Ils ont été décrétés non-essentiels par des gens aussi importants que méprisants, avant que de basculer dans le rang des êtres superflus, inutiles et parfois même indésirables. Il est vrai qu'ils incitent à porter un regard décalé sur cette société, ses usages et nos comportements. Laissez-les vous conduire par le cœur ...


La Complainte des infidèles



Bonnes gens
Ecoutez la triste ritournelle
Des amants errants
En proie à leurs tourments
Parce qu'ils ont aimé
Des femmes infidèles

Qui les ont trompés
Ignominieusement
Méfiez-vous, femmes cruelles
Qu'on vous en fasse tout autant
La douleur n'est pas éternelle
Même chez le meilleur des amants
Vaincues par vos propres armes
Vous connaîtrez à votre tour
Et le désespoir et les larmes
De la jalousie et de l'amour

Cœur pour cœur
Dent pour dent
Telle est la loi des amants
Cœur pour cœur
Dent pour dent
Telle est la loi des amants.


Bonnes gens
C'est le refrain des filles cruelles
Sans foi, ni serment
Trompées par leurs amants
Parce qu'ils ont aimé
Des femmes infidèles
Ils se sont vengés
Victorieusement
Ah! Souffrez mes tourterelles
Vous voici en peine d'amant !
Des inquiétudes mortelles
C'est vous qui connaîtrez le tourment
Répandez vos jolies larmes
Oui, pleurez, c'est bien votre tour
Vous avez dû rendre vos armes
Et l'amour est mort, vive l'amour !




La Complainte des infidèles m'offre l'opportunité de vous narrer une histoire comme le les aime. Pourquoi ? Je ne saurais vous le dire. Son texte sans doute, m'invite à la nostalgie tout en m'entraînant dans une époque lointaine durant laquelle le texte des chansons était encore porteur d'une histoire. La mienne mérite peut-être que je vous la livre puisque j'ai la chance de parsemer ce récit de quelques chansons dont Valérie et Gérard nous enchanterons. Acceptez simplement d'en suivre la trame sans vous soucier d'en mesurer la véracité.


Sur les chemins du vaste monde, il y a toutes sortes de gens qui vont à l'aventure, le baluchon sur le dos. Celui qui transporte sa marchandise comme ce colporteur venu de Roanne, cet autre chargé de ses outils et riche de son savoir-faire à l’instar du rempailleur, du rémouleur, de l'affûteur, du rhabilleur de meule aux mains bleues et de tant d'autres encore, tous gens de grande habilité et de bon commerce.


Il y a encore ceux qui se font un devoir de faire les gens danser, allant au gré des fêtes et du hasard, la cabrette ou le violon sur le flanc. Il y a également les montreurs d'ours, les jongleurs, quelques comédiens et de joyeux bateleurs. Il y a hélas, se mêlant souvent à cette belle assemblée du hasard, la plaie de cette noble caste de l'itinérance ceux qui n'ont d'autre dessein que de commettre menus larcins pour ne pas avoir à s'user à l'ouvrage. De ceux-là, gardons-nous bien de chanter les louanges.


Parmi ce petit peuple hétérocycle en mouvement permanent, allant comme mu par un instinct de vagabond migrateur de foires en marchés, de fêtes en carnavals, de processions en noces, de banquets en cérémonies, il en est un qui pérégrine aussi léger que les oiseaux puisqu'il ne supporte que sa plume, de l'encre et son écritoire sur le dos. Il n'est pas marin, s'il jette l'ancre dès que c'est possible sur son passage, semant mots tendres ou bien mots doux, messages graves et trop sérieux, pensées intimes et requêtes pressantes, contrats en tous genres et ultimes volontés, c'est pour mieux repartir ensuite, dès son forfait littéraire accompli. Il est écrivain public, celui qui met son bras pacifiquement au service de tous ceux qui ne savent pas écrire.


Il n'a qu'un prénom ne cherchant nullement à se faire un nom, personnage singulier qui seme sur sa route des mots à tout venant, avançant entre pieds et vers. Chemineux au grand cœur, vagabond céleste, trouvère aux trouvailles lexicales, sa plume suit les mêmes chemins que lui. Il y a un temps pour l'écriture, l'autre pour la méditation et l'itinérance sans oublier celui réservé à l'outrance, la bombance et toujours la transhumance en bon poète qu'il s'imagine être


Il fait ses premières armes si l'expression ne porte pas à vous glacer le dos, au pied d'une potence. Il est vrai que les distractions sont rares, la chose fait recette en cette époque lointaine du début de son aventure. Le « divertissoire » pour la foule emprunte parfois des trajectoires douteuses. Le nombre des suppliciés tout comme leur réputation a drainé présentement la grande foule des curieux, badauds voyeurs, tous avides de sensationnel. La bande à Mandarin après des exploits à vous couper le souffle achève sur la grande scène de la tragédie humaine ses ultimes instants. Il pleut des cordes, mauvais présage pour qui est superstitieux.


Archimède impressionné par la solennité du moment se met en demeure de graver, non sur le marbre, puisque les dépouilles hériteront de la seule fosse commune, mais sur le parchemin une ballade pour honorer leur mémoire. Contrairement à la terrible trape, l'inspiration ne se dérobe pas sur ses pieds. Il couche sur le papier une chanson qui fera le tour du pays. Il vient de mettre le pied à l'encrier et à la partition tout en trouvant sa raison de vivre.

 


La Complainte de Mandrin



Nous étions 20 ou 30 brigands dans une bande
Tous habillés de blanc à la mode des, vous m'entendez
Tous habillés de blanc à la mode des marchands


La première volerie que je fis dans ma vie
C'est d'avoir goupillé la bourse d'un, vous m'entendez
C'est d'avoir goupillé la bourse d'un curé


J'entrais dedans la chambre, mon Dieu, qu'elle était grande
J'y trouvais mille écus, je mis la main, vous m'entendez
J'y trouvais mille écus, je mis la main dessus


J'entrais dedans une autre, mon Dieu, qu'elle était haute
De robes et de manteaux, j'en chargeais trois, vous m'entendez
De robes et de manteaux, j'en chargeais trois chariots


Je les portais pour vendre à la foire en Hollande
J'les vendis bon marché, ils ne m'avaient rien, vous m'entendez
J'les vendis bon marché, ils ne m'avaient rien coûté


Ces Messieurs de Grenoble avec leurs longues robes
Et leurs bonnets carrés m'eurent bientôt, vous m'entendez
Et leurs bonnets carrés m'eurent bientôt jugé


Ils m'ont jugé à pendre, ah, c'est dur à entendre
À pendre et étrangler sur la place du, vous m'entendez
À pendre et étrangler sur la place du marché


Monté sur la potence, je regardais la France
J'y vis mes compagnons à l'ombre d'un, vous m'entendez
J'y vis mes compagnons à l'ombre d'un buisson


Compagnons de misère, allez dire à ma mère
Qu'elle ne m'reverra plus, j'suis un enfant, vous m'entendez
Qu'elle ne m'reverra plus, j'suis un enfant perdu




Pour un coup d'essai ce fut un coup de maître. Archimède sut se mettre dans la peau de Mandrin, il fait de son supplice un acte fondateur, créant ainsi une légende qui dépasse la triste réalité des faits. Il comprend alors que les mots sont plus forts que tout quand ils sont dits en chantant. D'écrivain public, il se fait parolier du quotidien, offrant une page d'éternité à qui veut bien se saisir d'un texte pour le mettre en musique.


Il reprend sa route, soucieux de trouver un nouveau sujet, une nouvelle inspiration pour aller à rebours des idées reçues et des représentations factices. Il n'a pas longtemps à chercher. Une fois encore, la destinée glisse sous ses pas, un message qui lui appartient de décoder. L'époque n'est pas toujours bienveillante à qui va sur la route, ce n'est hélas pas l’apanage de ce temps révolu.


Il est en chemin sous un vilain temps quand il arrive aux portes d'une grande ville. Il a emprunté le chemin de halage de la majestueuse Loire. Il espère trouver Taverne bienveillante pour se mettre à l'abri. Hélas, sa bourse est vide, il ne peut franchir le pas de la porte sans apporter garantie sonnante et trébuchante. Frapper à une humble demeure de pêcheur ou bien se réfugier sous le porche d'une belle demeure bourgeoise n'est pas non plus gage de réussite.


Il en est là à ruminer son malheur, conscient qu'il est préférable de ne pas pousser plus loin : franchir les portes de la cité c'est courir le risque de se retrouver à l'hôtel dieu et sa terrible règle d'hospitalité. Une lanterne éclaire faiblement la nuit, une maison aux volets clos mais à l'allure engageante. Il frappe, on lui ouvre. Il est traité dignement pourvu qu'il se serve de sa plume pour coucher sur le papier les messages que ces dames souhaitent adresser à leurs familles. Il trousse si bien la chose, qu'il obtient gîte et couvert et bien d'autres égards. En reprenant la route, le lendemain, il confie en guise de remerciement une chanson qui exprime toute sa reconnaissance et son empathie pour celles qui ouvrent en cette maison injustement vilipendée





La Venelle à quatre sous



Elles sont des filles à marins

Elles sont des femmes au turbin

Même pas des filles de joie

Comme les aiment les bourgeois

Elles qui font le pied de grue

Afin d’ brader leur vertu

Que c’est triste d’être péronnelle

Tout au bout de la venelle !


La venelle à 4 sous

Pour engraisser les marlous

Leur pauvre mont de Vénus

Offert aux premiers venus

C'est souvent des mariniers

Gars perdus loin du foyer

De grosses âmes en peine

Avec des envies sans je t'aime


Brefs ébats insipides

Dans une chambre livide

Il y a si peu de câlins

Pour cette pauvre catin

Pour des amours tarifés

Sur des corps fatigués

Des plaisirs vite expédiés

Par des hommes trop pressés


C'est pas même le bordel

D'une dame maquerelle

Ce lupanar sans lumière

Pour ces marins en galère

C'est un lugubre bord'eau

Où s'arrêtent les bateaux

Une simple escale sordide

Pour tous ces cœurs bien vides


Quatre sous si dérisoires

Octroyés sur un trottoir

Le triste prix du chagrin

Entre marin et putain

Il ne faut pas être fier

De ces amours sans manière

Pour ces filles perdues ici

Sans même un petit merci


C'est le cœur gros qu'il quitte ces dames, se jurant pour toujours de ne plus dénaturer en propos scabreux cette activité au combien nécessaire et que l'on prétend être le plus vieux métier du monde.

Il emporte dans sa musette un texte que lui a laissé une pensionnaire : Madame Claude comme elle se fait appeler. Il se promet d'en faire bon usage, troublé qu'il est par ce message qui exprime toute la détresse de ces dames, objets de plaisir qui ne peuvent se réaliser dans la maternité. Lui le vagabond sans attache ni famille perçoit mieux que beaucoup de manque cruel.


Il se promet de la mettre à son programme, de la faire sienne, non pas pour s'en arroger la paternité, un mot qui le fait sourire dans un tel contexte, mais bien pour honorer cette femme qui lui a fait une merveilleuse offrande.


Archimède, que les circonstances de l'existence n'ont jamais poussé à la nostalgie, éprouve en cet instant de curieux sentiments : sensiblerie déplacée, envie de poser son baluchon, mièvrerie surannée, désir de fonder une famille ? Il ne sait. Il ressent le besoin impérieux de mettre en bouche ce texte, de se l'approprier sans tarder. Il aura ainsi l'honneur de la diffuser au hasard de ces étapes. Il ne peut faire plus pour madame Claude. Lui prend même l'envie de rebrousser chemin et de rejoindre la dame, une bien mauvaise idée, qu'il repousse d'un haussement d'épaule.


« Reprends-toi  mon brave Archimède », se dit-il avant que d'affermir son pas et de se mettre à chanter :



Ma mère avait

(Claude Antonini)


Un enfant dans une maison

C'est un soleil dit-on

Qui vient après l'orage

Doux comme une image

Ça se pend à votre cou

Ça n'en demande pas beaucoup

Ça vous emmène en voyage

Sans bagages …

Ma mère avait peut-être raison

Une enfant dort ma maison


Deux enfants dans une maison

Ça porte bonheur dit-on

On les berce sans y penser

Entre ses bras noués

Ça raconte des histoires

Quand on les couche le soir

Si l'un d'eux, un jour s'en va

L'autre restera

Ma mère avait peut-être raison

Deux enfants rêvent ma maison


Quatre enfants dans une maison

Reste calme … voyons !

Car cet instant viendra

Où ils n'auront plus besoin de toi

Tu seras vieille qu'importe

La vie est faite de la sorte

Assieds-toi près de moi

Mais ne pleure pas !


Ma mère je ne pourrai jamais

Les bercer tous ensemble

Ma mère je ne pourrai jamais

Entre mes bras qui tremblent




Archimède doit absolument évacué son vague à l'âme. Il est tout proche du port d'Orléans, il souhaite vivement aller à la rencontre de ce petit peuple des mariniers et de la multitude grouillante de ceux qui s'affairent sur le quai ou à proximité. C'est là belle occasion de se changer les idées, de s'arsouiller un peu en compagnie de malandrins de son acabit, tous gens de peu sans doute mais d'un cœur qui ne triche jamais avec les sentiments.


Le spectacle est pour lui édifiant. Jamais sur ces chemins de travers, il n'a observé une telle activité, un fourmillement permanent. Une ruche humaine dans laquelle chacun tient un rôle bien défini, une tâche qui contribue à ce que des marchands et des bourgeois s'enrichissent sur le labeur de tous ceux-là. Pourtant nulle récrimination chez eux, chacun ayant la fierté de participer à la prospérité du Royaume.


Archimède, comme toujours, propose ses services à ceux qui ne savent pas écrire. Il est surpris de découvrir que la lecture tout comme la natation ne sont de la compétence des gens qui s'activent au bord de l'eau. Il remplit grand ouvrage pour satisfaire toutes les demandes. Il est largement abreuvé en retour et reçoit même quelques pièces.


Ce n'est pas là l'essentiel. Il croise un marin qui à la différence de beaucoup de ses collègues connait le grand large. Il a bourlingué sur bien des océans, connu des destinations qui symbolisent le soleil et l'aventure. Pourtant, immanquablement, inexorablement, sa conversation revient sans cesse vers un port sous la brume et les frimas. Il en parle avec une telle chaleur dans la voix, des lumières dans les yeux que Archimède en sont troublé. Il veut lui faire cadeau d'un texte qui s'inspire à la fois de ses déclarations mais aussi de tout ce qu'il perçoit sur les quais d'Orléans. Le marin en est si ému qu'il entonne dans l'instant cette chanson qui le touche au plus profond du cœur et rend témoignage véritablement de ce qu'est un port, fut-il de mer ou bien de terre.


 


Amsterdam



Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui chantent
Les rêves qui les hantent
Au large d'Amsterdam
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui dorment
Comme des oriflammes
Le long des berges mornes

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui meurent
Pleins de bière et de drames
Aux premières lueurs
Mais dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui naissent
Dans la chaleur épaisse
Des langueurs océanes

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui mangent
Sur des nappes trop blanches
Des poissons ruisselants
Ils vous montrent des dents
A croquer la fortune
A décroisser la Lune
A bouffer des haubans
Et ça sent la morue
Jusque dans le coeur des frites
Que leurs grosses mains invitent
A revenir en plus
Puis se lèvent en riant
Dans un bruit de tempête
Referment leur braguette
Et sortent en rotant

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui dansent
En se frottant la panse
Sur la panse des femmes
Et ils tournent et ils dansent
Comme des soleils crachés
Dans le son déchiré
D'un accordéon rance
Ils se tordent le cou
Pour mieux s'entendre rire
Jusqu'à ce que tout à coup
L'accordéon expire
Alors le geste grave
Alors le regard fier
Ils ramènent leur batave
Jusqu'en pleine lumière

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui boivent
Et qui boivent et reboivent
Et qui reboivent encore
Ils boivent à la santé
Des putains d'Amsterdam
De Hambourg et d'ailleurs
Enfin ils boivent aux dames
Qui leur donnent leur joli corps
Qui leur donnent leur vertu
Pour une pièce en or
Et quand ils ont bien bu
Se plantent le nez au ciel
Se mouchent dans les étoiles
Et ils pissent comme je pleure
Sur les femmes infidèles

Dans le port d'Amsterdam
Dans le port d'Amsterdam.


Archimède pour souffler un peu sans doute et trouver plus de sérénité éprouve alors le besoin de partir par les terres, de laisser la Loire pour aller à la rencontre du monde agricole. Il pense qu'il peut trouver là des gens plus simples, moins exubérants sans doute. Il aspire au calme et surtout désire retrouver le rythme immuable de la nature. L'été approche, les moissons promettent d'être généreuses. Les paysans se préparent à ce grand moment tout en coupant une première fois les foins.


Les grands rendez-vous célestes ne manquent jamais d'être célébrés. Archimède se doute que la Saint Jean donnera lieu, où qu'il aille dans le monde agricole, à une formidable réjouissance. Il apprécie tout particulièrement cette nuit, la plus courte de l'année ou peu s'en faut, qui se fait la tendre complice de bien des unions futures.


Lui, l'écrivain devine qu'il aura de l'ouvrage, parmi le plus agréable qui soit pour sa plume. Le courrier du cœur l'enchante toujours. Il écoute, amusé, les formules souvent maladroites des prétendants, tournent autrement la phrase pour lui donner un peu de cette poésie qui manque tant dans cette société laborieuse.


Souvent il touche juste. Sa prose ale bonheur de complaire à celui ou à celle qui se déclare mais plus encore, elle atteint sa cible. Quand il repasse l'année suivant, un nouveau couple lui offre le gîte pour un nuit, lui témoignant ainsi sa gratitude.


Cette nuit-là, autour du feu cependant, il assiste cependant à une autre scène. Il en est ému lui qui passe son temps à s'imprégner des sentiments des autres. Il éprouve le désir de l'immortaliser. Une fois encore, il sait tirer les larmes et l'émotion de mots qui riment sans doute maladroitement mais avec une sincérité rare. Sur un air de valse, il offre cet hymne de tous les amoureux éconduits. C'est aussi un peu pour lui car rares sont celles qui pour un moment pour un moment seulement, tendent leurs bras au vagabond.




Mon amant de Saint-Jean



Je ne sais pourquoi j'allais danser
A Saint-Jean au musette,
Mais quand un gars m'a pris un baiser,
J'ai frissonné, j'étais chipée
Comment ne pas perdre la tête,
Serrée par des bras audacieux
Car l'on croit toujours
Aux doux mots d'amour
Quand ils sont dits avec les yeux

Moi qui l'aimais tant,
Je le trouvais le plus beau de Saint-Jean,
Je restais grisée
Sans volonté
Sous ses baisers.

Sans plus réfléchir, je lui donnais
Le meilleur de mon être
Beau parleur chaque fois qu'il mentait,
Je le savais, mais je l'aimais.
Comment ne pas perdre la tête,
Serrée par des bras audacieux
Car l'on croit toujours
Aux doux mots d'amour
Quand ils sont dits avec les yeux

Moi qui l'aimais tant,
Je le trouvais le plus beau de Saint-Jean,
Je restais grisée
Sans volonté
Sous ses baisers.

Mais hélas, à Saint-Jean comme ailleurs
Un serment n'est qu'un leurre
J'étais folle de croire au bonheur,
Et de vouloir garder son cœur.
Comment ne pas perdre la tête,
Serrée par des bras audacieux
Car l'on croit toujours
Aux doux mots d'amour
Quand ils sont dits avec les yeux

Moi qui l'aimais tant,
Mon bel amour, mon amant de Saint-Jean,
Il ne m'aime plus
C'est du passé
N'en parlons plus.


Au petit matin, quand au chant du coq il quitte le bourg, il a certes le cœur gros mais cette rengaine dans la tête, allége ses pas. Le monde a changé sans qu'il s'en rende vraiment compte. Les années ont passé, la cabrette a été supplanté par l'accordéon. Les apaches vont guincher au bal sur un joli parquet qui tout comme lui, va de villages en villages.


On appelle ça d »sormais le bal musette. Est-ce en souvenir des instruments traditionnels qui ne trouvent plus place que dans le folklore ou bien parce que les fripouilles boivent plus que raison à la buvette de l'endroit. C'était encore une époque où l'on avait la cuite tricolore, le vin avait la primeur des boit-sans-soif. Quoique souvent affreuse piquette, il se contente de griser un peu, sans faire trop de mal à moins qu'une bagarre ne vienne pousser le bouchon trop loin.


Archimède s'en amuse en son fort intérieur. Il sent monter la pression, s'éclipse avant que ne volent les tables et les chaises. Pour lui, le bal doit être un moment de grande fraternité durant lequel toutes les générations se rassemblent. Il a l'inquiétude au cœur, il lui semble percevoir que cela ne durera pas, que les clans, les tribus, les clivages vont fractionner le tissu social, que les générations bientôt ne se retrouveront plus sur les mêmes pistes de danse.


En attendant, Archimède laisse place à l'accordéoniste. Il aime le son de cet instrument, populaire par essence. Point n'est besoin de lui remonter les bretelles pour qu'il écrive à nouveau un texte qui tourne en boucle dans les têtes. Il lui prend l'envie d'évoquer à nouveau ces demoiselles du bordeau, Archimède a du vague à l'âme, sa solitude lui pèse…





L'accordéoniste.



La fille de joie est belle
Au coin de la rue là-bas
Elle a une clientèle
Qui lui remplit son bas
Quand son boulot s'achève
Elle s'en va à son tour
Chercher un peu de rêve
Dans un bal du faubourg
Son homme est un artiste
C'est un drôle de petit gars
Un accordéoniste
Qui sait jouer la java

Elle écoute la java
Mais elle ne la danse pas
Elle ne regarde même pas la piste
Et ses yeux amoureux
Suivent le jeu nerveux
Et les doigts secs et longs de l'artiste
Ça lui rentre dans la peau
Par le bas, par le haut
Elle a envie de chanter
C'est physique
Tout son être est tendu
Son souffle est suspendu
C'est une vraie tordue de la musique

La fille de joie est triste
Au coin de la rue là-bas
Son accordéoniste
Il est parti soldat
Quand il reviendra de la guerre
Ils prendront une maison
Elle sera la caissière
Et lui, sera le patron
Que la vie sera belle
Ils seront de vrais pachas
Et tous les soirs pour elle
Il jouera la java

Elle écoute la java
Qu'elle fredonne tout bas
Elle revoit son accordéoniste
Et ses yeux amoureux
Suivent le jeu nerveux
Et les doigts secs et longs de l'artiste
Ça lui rentre dans la peau
Par le bas, par le haut
Elle a envie de pleurer
C'est physique
Tout son être est tendu
Son souffle est suspendu
C'est une vraie tordue de la musique

La fille de joie est seule
Au coin de la rue là-bas
Les filles qui font la gueule
Les hommes n'en veulent pas
Et tant pis si elle crève
Son homme ne reviendra plus
Adieu tous les beaux rêves
Sa vie, elle est foutue
Pourtant ses jambes tristes
L'emmènent au boui-boui
Où y a un autre artiste
Qui joue toute la nuit

Elle écoute la java
Elle entend la java
Elle a fermé les yeux
Et les doigts secs et nerveux
Ça lui rentre dans la peau
Par le bas, par le haut
Elle a envie de gueuler
C'est physique
Alors pour oublier
Elle s'est mise à danser, à tourner
Au son de la musique

Arrêtez!
Arrêtez la musique !




Arrêtez la musique, c'est ce qu'ils ont osé faire : un quatorze juillet sans les lampions et le feu d'artifice à cause de cette maudite pandémie. Archimède se souvient alors d'une autre époque, celle qui a conduit à célébrer ce jour de fête nationale. Il a tant bourlingué, lui le vagabond errant, échappant miraculeusement à la marche immuable du temps.


Il se rappelle la fièvre qui prit alors le bon peuple du royaume quand le pauvre roi Louis XVI, avant de perdre la tête, réclama que les doléances de ses sujets remontent jusqu'à Versailles. Il n'avait pas chômé, lui l'écrivain des gueux. Il en avait écrit des lignes et des lignes, remplissant des cahiers de plaintes multiples. Il se faisait alors l'interprète d'une sourde colère, résultat d'une injustice criante.


Il n'imaginait pas alors qu'à nouveau, bien des années plus tard, il retrouverait un tissu social déchiré par les inégalités, les injustices et la morgue des puissants. Bien sûr, les temps ont changé, la justice n'est plus aussi rude. Il ne peut oublier ce bagnard, marqué jamais par la flétrissure infamante, qui lui confia son histoire, celle sordide de tous ces faux-sauniers qui voulaient simplement atténuer la misère des humbles soumis à l'odieux impôt de la Gabelle. Il avait écrit alors une chanson comme il l'avait fait pour Mandrin.

 



Le galérien




Je m'souviens, ma mèr' m'aimait
Et je suis aux galères,
Je m'souviens ma mèr' disait
Mais je n'ai pas cru ma mère
Ne traîn' pas dans les ruisseaux
T'bats pas comme un sauvage

T'amuses pas comm' les oiseaux
Ell' me disait d'être sage

J'ai pas tué, j'ai pas volé
J'voulais courir la chance
J'ai pas tué, j'ai pas volé
J'voulais qu'chaqu' jour soit dimanche


Je m'souviens ma mèr' pleurait
T'en vas pas chez les filles
Fais donc pas toujours c'qui t'plait
Dans les prisons y a des grilles

Un jour les soldats du roi
T'emmen'ront aux galères
Tu t'en iras trois par trois
Comme ils ont emmn'nés ton père
Tu auras la têt' rasée
On te mettra des chaînes
T'en auras les reins brisés
Et moi j'en mourrai de peine


Toujours, toujours tu ram'ras
Quand tu s'ras aux galères
Toujours toujours tu ram'ras
Tu pens'ras p't'ètre à ta mère


J'ai pas tué, j'ai pas volé
Mais j'ai pas cru ma mère
Et je m'souviens qu'ell' m'aimait
Pendant qu'je rame aux galères.


Le temps ne fait rien à l'affaire. Archimède en dépit du poids des années a toujours un cœur qui bat. Les mots sont les plus précieux de tous les trésors. Il a parcouru le pays, avec cette envie de faire le bien par quelques belles tournures de phrases, des sentiments qui se passent aisément des richesses factices.


Tour ce qui brille n'est pas or, seul ce qui fait briller les yeux des amoureux lui a toujours donner la force de continuer. Alors, qu'importe si parfois il trempe sa plume dans l'eau de rose, il se moque de ces furieux qui pensent tout pouvoir acheter, les sentiments et les corps, les âmes et les esprits. Lui il croit et croira éternellement en cette pulsion étrange, immatérielle qu'on nomme amour et que bien naïvement il continuera de faire rimer avec Toujours.


Archimède poursuit son chemin, sème des petits cailloux qui roulent sur les joues. Ils n'ont pas de prix, ses paroles non plus n'en déplaisent à la société des auteurs, maléfique instance qui soutire les humbles pour enrichir les puissants. Il vous laisse un ultime message avant que de reprendre sa route. Il envoie tout valser pour se délester du superflu et garder au cœur que l'essentiel...


 

J’envoie valser


J'en vois des qui se donnent
Donnent des bijoux dans le cou
C'est beau mais quand même
Ce ne sont que des cailloux
Des pierres qui vous roulent
Roulent et qui vous coulent sur les joues
J'aime mieux que tu m'aimes
Sans dépenser des sous

Moi je m'en moque
J'envoie valser
Les trucs en toc
Les cages dorées
Car quand on s'aime très fort
C'est comme un trésor
Et ça, et ça vaut de l'or


J'en vois des qui se lancent
Des regards et des fleurs
Puis qui se laissent
Quelque part ou ailleurs
Entre les roses et les choux
J'en connais des tas
Qui feraient mieux de s'aimer un peu
Un peu comme nous
Qui nous aimons beaucoup


Et d'envoyer
Ailleurs valser
Les bagues et les cœurs en collier
Car quand on s'aime très fort
C'est comme un trésor
Et ça, et ça vaut de l'or


Moi pour toujours
J'envoie valser
Les preuves d'amour
En or plaqué
Puisque tu me serres très fort
C'est là mon trésor


C'est toi, toi qui vaut de l'or


Archimède s'en est allé sur la pointe de ses pieds nus. Les mots couchés sous des notes valent plus que de l'or quand ils sont chantés. Il n'est de plus beau message à retenir dans ce monde si mercantile. Prenez la peine de la suivre dans son univers merveilleux et acceptez, acceptez d'être émus et entraînés par le musicien et la chanteuse. Le conteur n'a fait que peupler leur tour de chant de quelques fragments d'étoiles. L'essentiel ne se grave que dans le cœur.


Fin du récit



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Il pleut sur la rivière …

  Il pleut sur la rivière …       Il pleut sur ma rivière Le ciel est en colère Les nuages vont se noyer Au cœur des ref...