Conte à Chanter
Ils sont funambules de l'inutile ! Ils ont été décrétés non-essentiels par des gens aussi importants que méprisants, avant que de basculer dans le rang des êtres superflus, inutiles et parfois même indésirables. Il est vrai qu'ils incitent à porter un regard décalé sur cette société, ses usages et nos comportements. Laissez-les vous conduire par le cœur ...
La Complainte des infidèles
Bonnes gens
Ecoutez la
triste ritournelle
Des amants errants
En proie à leurs
tourments
Parce qu'ils ont aimé
Des femmes infidèles
Qui les ont
trompés
Ignominieusement
Méfiez-vous, femmes cruelles
Qu'on
vous en fasse tout autant
La douleur n'est pas éternelle
Même
chez le meilleur des amants
Vaincues par vos propres armes
Vous
connaîtrez à votre tour
Et le désespoir et les larmes
De la
jalousie et de l'amour
Cœur pour cœur
Dent pour
dent
Telle est la loi des amants
Cœur pour cœur
Dent pour
dent
Telle est la loi des amants.
Bonnes gens
C'est le refrain des filles
cruelles
Sans foi, ni serment
Trompées par leurs amants
Parce
qu'ils ont aimé
Des femmes infidèles
Ils se sont
vengés
Victorieusement
Ah! Souffrez mes tourterelles
Vous
voici en peine d'amant !
Des inquiétudes mortelles
C'est vous
qui connaîtrez le tourment
Répandez vos jolies larmes
Oui,
pleurez, c'est bien votre tour
Vous avez dû rendre vos armes
Et
l'amour est mort, vive l'amour !
La Complainte des infidèles m'offre l'opportunité de vous
narrer une histoire comme le les aime. Pourquoi ? Je ne saurais
vous le dire. Son texte sans doute, m'invite à la nostalgie tout en
m'entraînant dans une époque lointaine durant laquelle le texte des
chansons était encore porteur d'une histoire. La mienne mérite
peut-être que je vous la livre puisque j'ai la chance de parsemer ce
récit de quelques chansons dont Valérie et Gérard nous
enchanterons. Acceptez simplement d'en suivre la trame sans vous
soucier d'en mesurer la véracité.
Sur les chemins du vaste monde, il y a toutes sortes de gens qui vont à l'aventure, le baluchon sur le dos. Celui qui transporte sa marchandise comme ce colporteur venu de Roanne, cet autre chargé de ses outils et riche de son savoir-faire à l’instar du rempailleur, du rémouleur, de l'affûteur, du rhabilleur de meule aux mains bleues et de tant d'autres encore, tous gens de grande habilité et de bon commerce.
Il y a encore ceux qui se font un devoir de faire les gens danser, allant au gré des fêtes et du hasard, la cabrette ou le violon sur le flanc. Il y a également les montreurs d'ours, les jongleurs, quelques comédiens et de joyeux bateleurs. Il y a hélas, se mêlant souvent à cette belle assemblée du hasard, la plaie de cette noble caste de l'itinérance ceux qui n'ont d'autre dessein que de commettre menus larcins pour ne pas avoir à s'user à l'ouvrage. De ceux-là, gardons-nous bien de chanter les louanges.
Parmi ce petit peuple hétérocycle en mouvement permanent, allant comme mu par un instinct de vagabond migrateur de foires en marchés, de fêtes en carnavals, de processions en noces, de banquets en cérémonies, il en est un qui pérégrine aussi léger que les oiseaux puisqu'il ne supporte que sa plume, de l'encre et son écritoire sur le dos. Il n'est pas marin, s'il jette l'ancre dès que c'est possible sur son passage, semant mots tendres ou bien mots doux, messages graves et trop sérieux, pensées intimes et requêtes pressantes, contrats en tous genres et ultimes volontés, c'est pour mieux repartir ensuite, dès son forfait littéraire accompli. Il est écrivain public, celui qui met son bras pacifiquement au service de tous ceux qui ne savent pas écrire.
Il n'a qu'un prénom ne cherchant nullement à se faire un nom, personnage singulier qui seme sur sa route des mots à tout venant, avançant entre pieds et vers. Chemineux au grand cœur, vagabond céleste, trouvère aux trouvailles lexicales, sa plume suit les mêmes chemins que lui. Il y a un temps pour l'écriture, l'autre pour la méditation et l'itinérance sans oublier celui réservé à l'outrance, la bombance et toujours la transhumance en bon poète qu'il s'imagine être
Il fait ses premières armes si l'expression ne porte pas à vous glacer le dos, au pied d'une potence. Il est vrai que les distractions sont rares, la chose fait recette en cette époque lointaine du début de son aventure. Le « divertissoire » pour la foule emprunte parfois des trajectoires douteuses. Le nombre des suppliciés tout comme leur réputation a drainé présentement la grande foule des curieux, badauds voyeurs, tous avides de sensationnel. La bande à Mandarin après des exploits à vous couper le souffle achève sur la grande scène de la tragédie humaine ses ultimes instants. Il pleut des cordes, mauvais présage pour qui est superstitieux.
Archimède impressionné par la solennité du moment se met en demeure de graver, non sur le marbre, puisque les dépouilles hériteront de la seule fosse commune, mais sur le parchemin une ballade pour honorer leur mémoire. Contrairement à la terrible trape, l'inspiration ne se dérobe pas sur ses pieds. Il couche sur le papier une chanson qui fera le tour du pays. Il vient de mettre le pied à l'encrier et à la partition tout en trouvant sa raison de vivre.
La Complainte de Mandrin
Nous étions 20 ou 30
brigands dans une bande
Tous habillés de blanc à la mode des,
vous m'entendez
Tous habillés de blanc à la mode des marchands
La première volerie que
je fis dans ma vie
C'est d'avoir goupillé la bourse d'un, vous
m'entendez
C'est d'avoir goupillé la bourse d'un curé
J'entrais dedans la
chambre, mon Dieu, qu'elle était grande
J'y trouvais mille écus,
je mis la main, vous m'entendez
J'y trouvais mille écus, je mis
la main dessus
J'entrais dedans une
autre, mon Dieu, qu'elle était haute
De robes et de manteaux,
j'en chargeais trois, vous m'entendez
De robes et de manteaux,
j'en chargeais trois chariots
Je les portais pour vendre
à la foire en Hollande
J'les vendis bon marché, ils ne m'avaient
rien, vous m'entendez
J'les vendis bon marché, ils ne m'avaient
rien coûté
Ces Messieurs de Grenoble
avec leurs longues robes
Et leurs bonnets carrés m'eurent
bientôt, vous m'entendez
Et leurs bonnets carrés m'eurent
bientôt jugé
Ils m'ont jugé à pendre,
ah, c'est dur à entendre
À pendre et étrangler sur la place du,
vous m'entendez
À pendre et étrangler sur la place du marché
Monté sur la potence, je
regardais la France
J'y vis mes compagnons à l'ombre d'un, vous
m'entendez
J'y vis mes compagnons à l'ombre d'un buisson
Compagnons de misère,
allez dire à ma mère
Qu'elle ne m'reverra plus, j'suis un
enfant, vous m'entendez
Qu'elle ne m'reverra plus, j'suis un
enfant perdu
Pour un coup d'essai ce fut un coup de maître. Archimède sut se mettre dans la peau de Mandrin, il fait de son supplice un acte fondateur, créant ainsi une légende qui dépasse la triste réalité des faits. Il comprend alors que les mots sont plus forts que tout quand ils sont dits en chantant. D'écrivain public, il se fait parolier du quotidien, offrant une page d'éternité à qui veut bien se saisir d'un texte pour le mettre en musique.
Il reprend sa route, soucieux de trouver un nouveau sujet, une nouvelle inspiration pour aller à rebours des idées reçues et des représentations factices. Il n'a pas longtemps à chercher. Une fois encore, la destinée glisse sous ses pas, un message qui lui appartient de décoder. L'époque n'est pas toujours bienveillante à qui va sur la route, ce n'est hélas pas l’apanage de ce temps révolu.
Il est en chemin sous un vilain temps quand il arrive aux portes d'une grande ville. Il a emprunté le chemin de halage de la majestueuse Loire. Il espère trouver Taverne bienveillante pour se mettre à l'abri. Hélas, sa bourse est vide, il ne peut franchir le pas de la porte sans apporter garantie sonnante et trébuchante. Frapper à une humble demeure de pêcheur ou bien se réfugier sous le porche d'une belle demeure bourgeoise n'est pas non plus gage de réussite.
Il en est là à ruminer son malheur, conscient qu'il est préférable de ne pas pousser plus loin : franchir les portes de la cité c'est courir le risque de se retrouver à l'hôtel dieu et sa terrible règle d'hospitalité. Une lanterne éclaire faiblement la nuit, une maison aux volets clos mais à l'allure engageante. Il frappe, on lui ouvre. Il est traité dignement pourvu qu'il se serve de sa plume pour coucher sur le papier les messages que ces dames souhaitent adresser à leurs familles. Il trousse si bien la chose, qu'il obtient gîte et couvert et bien d'autres égards. En reprenant la route, le lendemain, il confie en guise de remerciement une chanson qui exprime toute sa reconnaissance et son empathie pour celles qui ouvrent en cette maison injustement vilipendée
La Venelle à quatre sous
Elles sont des filles à marins
Elles sont des femmes au turbin
Même pas des filles de joie
Comme les aiment les bourgeois
Elles qui font le pied de grue
Afin d’ brader leur vertu
Que c’est triste d’être péronnelle
Tout au bout de la venelle !
La venelle à 4 sous
Pour engraisser les marlous
Leur pauvre mont de Vénus
Offert aux premiers venus
C'est souvent des mariniers
Gars perdus loin du foyer
De grosses âmes en peine
Avec des envies sans je t'aime
Brefs ébats insipides
Dans une chambre livide
Il y a si peu de câlins
Pour cette pauvre catin
Pour des amours tarifés
Sur des corps fatigués
Des plaisirs vite expédiés
Par des hommes trop pressés
C'est pas même le bordel
D'une dame maquerelle
Ce lupanar sans lumière
Pour ces marins en galère
C'est un lugubre bord'eau
Où s'arrêtent les bateaux
Une simple escale sordide
Pour tous ces cœurs bien vides
Quatre sous si dérisoires
Octroyés sur un trottoir
Le triste prix du chagrin
Entre marin et putain
Il ne faut pas être fier
De ces amours sans manière
Pour ces filles perdues ici
Sans même un petit merci
C'est le cœur gros qu'il quitte ces dames, se jurant pour toujours de ne plus dénaturer en propos scabreux cette activité au combien nécessaire et que l'on prétend être le plus vieux métier du monde.
Il emporte dans sa musette un texte que lui a laissé une pensionnaire : Madame Claude comme elle se fait appeler. Il se promet d'en faire bon usage, troublé qu'il est par ce message qui exprime toute la détresse de ces dames, objets de plaisir qui ne peuvent se réaliser dans la maternité. Lui le vagabond sans attache ni famille perçoit mieux que beaucoup de manque cruel.
Il se promet de la mettre à son programme, de la faire sienne, non pas pour s'en arroger la paternité, un mot qui le fait sourire dans un tel contexte, mais bien pour honorer cette femme qui lui a fait une merveilleuse offrande.
Archimède, que les circonstances de l'existence n'ont jamais poussé à la nostalgie, éprouve en cet instant de curieux sentiments : sensiblerie déplacée, envie de poser son baluchon, mièvrerie surannée, désir de fonder une famille ? Il ne sait. Il ressent le besoin impérieux de mettre en bouche ce texte, de se l'approprier sans tarder. Il aura ainsi l'honneur de la diffuser au hasard de ces étapes. Il ne peut faire plus pour madame Claude. Lui prend même l'envie de rebrousser chemin et de rejoindre la dame, une bien mauvaise idée, qu'il repousse d'un haussement d'épaule.
« Reprends-toi mon brave Archimède », se dit-il avant que d'affermir son pas et de se mettre à chanter :
Ma mère avait
(Claude Antonini)
Un enfant dans une maison
C'est un soleil dit-on
Qui vient après l'orage
Doux comme une image
Ça se pend à votre cou
Ça n'en demande pas beaucoup
Ça vous emmène en voyage
Sans bagages …
Ma mère avait peut-être raison
Une enfant dort ma maison
Deux enfants dans une maison
Ça porte bonheur dit-on
On les berce sans y penser
Entre ses bras noués
Ça raconte des histoires
Quand on les couche le soir
Si l'un d'eux, un jour s'en va
L'autre restera
Ma mère avait peut-être raison
Deux enfants rêvent ma maison
Quatre enfants dans une maison
Reste calme … voyons !
Car cet instant viendra
Où ils n'auront plus besoin de toi
Tu seras vieille qu'importe
La vie est faite de la sorte
Assieds-toi près de moi
Mais ne pleure pas !
Ma mère je ne pourrai jamais
Les bercer tous ensemble
Ma mère je ne pourrai jamais
Entre mes bras qui tremblent
Archimède doit absolument évacué son vague à l'âme. Il est tout proche du port d'Orléans, il souhaite vivement aller à la rencontre de ce petit peuple des mariniers et de la multitude grouillante de ceux qui s'affairent sur le quai ou à proximité. C'est là belle occasion de se changer les idées, de s'arsouiller un peu en compagnie de malandrins de son acabit, tous gens de peu sans doute mais d'un cœur qui ne triche jamais avec les sentiments.
Le spectacle est pour lui édifiant. Jamais sur ces chemins de travers, il n'a observé une telle activité, un fourmillement permanent. Une ruche humaine dans laquelle chacun tient un rôle bien défini, une tâche qui contribue à ce que des marchands et des bourgeois s'enrichissent sur le labeur de tous ceux-là. Pourtant nulle récrimination chez eux, chacun ayant la fierté de participer à la prospérité du Royaume.
Archimède, comme toujours, propose ses services à ceux qui ne savent pas écrire. Il est surpris de découvrir que la lecture tout comme la natation ne sont de la compétence des gens qui s'activent au bord de l'eau. Il remplit grand ouvrage pour satisfaire toutes les demandes. Il est largement abreuvé en retour et reçoit même quelques pièces.
Ce n'est pas là l'essentiel. Il croise un marin qui à la différence de beaucoup de ses collègues connait le grand large. Il a bourlingué sur bien des océans, connu des destinations qui symbolisent le soleil et l'aventure. Pourtant, immanquablement, inexorablement, sa conversation revient sans cesse vers un port sous la brume et les frimas. Il en parle avec une telle chaleur dans la voix, des lumières dans les yeux que Archimède en sont troublé. Il veut lui faire cadeau d'un texte qui s'inspire à la fois de ses déclarations mais aussi de tout ce qu'il perçoit sur les quais d'Orléans. Le marin en est si ému qu'il entonne dans l'instant cette chanson qui le touche au plus profond du cœur et rend témoignage véritablement de ce qu'est un port, fut-il de mer ou bien de terre.
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui
chantent
Les rêves qui les hantent
Au large d'Amsterdam
Dans
le port d'Amsterdam
Y a des marins qui dorment
Comme des
oriflammes
Le long des berges mornes
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui
meurent
Pleins de bière et de drames
Aux premières
lueurs
Mais dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui
naissent
Dans la chaleur épaisse
Des langueurs océanes
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui
mangent
Sur des nappes trop blanches
Des poissons
ruisselants
Ils vous montrent des dents
A croquer la fortune
A
décroisser la Lune
A bouffer des haubans
Et ça sent la
morue
Jusque dans le coeur des frites
Que leurs grosses mains
invitent
A revenir en plus
Puis se lèvent en riant
Dans un
bruit de tempête
Referment leur braguette
Et sortent en rotant
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui
dansent
En se frottant la panse
Sur la panse des femmes
Et
ils tournent et ils dansent
Comme des soleils crachés
Dans le
son déchiré
D'un accordéon rance
Ils se tordent le cou
Pour
mieux s'entendre rire
Jusqu'à ce que tout à coup
L'accordéon
expire
Alors le geste grave
Alors le regard fier
Ils
ramènent leur batave
Jusqu'en pleine lumière
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui
boivent
Et qui boivent et reboivent
Et qui reboivent encore
Ils
boivent à la santé
Des putains d'Amsterdam
De Hambourg et
d'ailleurs
Enfin ils boivent aux dames
Qui leur donnent leur
joli corps
Qui leur donnent leur vertu
Pour une pièce en or
Et
quand ils ont bien bu
Se plantent le nez au ciel
Se mouchent
dans les étoiles
Et ils pissent comme je pleure
Sur les femmes
infidèles
Dans le port d'Amsterdam
Dans le port d'Amsterdam.
Archimède pour souffler un peu sans doute et trouver plus de sérénité éprouve alors le besoin de partir par les terres, de laisser la Loire pour aller à la rencontre du monde agricole. Il pense qu'il peut trouver là des gens plus simples, moins exubérants sans doute. Il aspire au calme et surtout désire retrouver le rythme immuable de la nature. L'été approche, les moissons promettent d'être généreuses. Les paysans se préparent à ce grand moment tout en coupant une première fois les foins.
Les grands rendez-vous célestes ne manquent jamais d'être célébrés. Archimède se doute que la Saint Jean donnera lieu, où qu'il aille dans le monde agricole, à une formidable réjouissance. Il apprécie tout particulièrement cette nuit, la plus courte de l'année ou peu s'en faut, qui se fait la tendre complice de bien des unions futures.
Lui, l'écrivain devine qu'il aura de l'ouvrage, parmi le plus agréable qui soit pour sa plume. Le courrier du cœur l'enchante toujours. Il écoute, amusé, les formules souvent maladroites des prétendants, tournent autrement la phrase pour lui donner un peu de cette poésie qui manque tant dans cette société laborieuse.
Souvent il touche juste. Sa prose ale bonheur de complaire à celui ou à celle qui se déclare mais plus encore, elle atteint sa cible. Quand il repasse l'année suivant, un nouveau couple lui offre le gîte pour un nuit, lui témoignant ainsi sa gratitude.
Cette nuit-là, autour du feu cependant, il assiste cependant à une autre scène. Il en est ému lui qui passe son temps à s'imprégner des sentiments des autres. Il éprouve le désir de l'immortaliser. Une fois encore, il sait tirer les larmes et l'émotion de mots qui riment sans doute maladroitement mais avec une sincérité rare. Sur un air de valse, il offre cet hymne de tous les amoureux éconduits. C'est aussi un peu pour lui car rares sont celles qui pour un moment pour un moment seulement, tendent leurs bras au vagabond.
Mon amant de Saint-Jean
Je
ne sais pourquoi j'allais danser
A Saint-Jean au musette,
Mais
quand un gars m'a pris un baiser,
J'ai frissonné, j'étais
chipée
Comment ne pas perdre la tête,
Serrée par des bras
audacieux
Car l'on croit toujours
Aux doux mots d'amour
Quand
ils sont dits avec les yeux
Moi qui l'aimais tant,
Je le
trouvais le plus beau de Saint-Jean,
Je restais grisée
Sans
volonté
Sous ses baisers.
Sans plus réfléchir, je lui
donnais
Le meilleur de mon être
Beau parleur chaque fois qu'il
mentait,
Je le savais, mais je l'aimais.
Comment ne pas perdre
la tête,
Serrée par des bras audacieux
Car l'on croit
toujours
Aux doux mots d'amour
Quand ils sont dits avec les
yeux
Moi qui l'aimais tant,
Je le trouvais le plus beau de
Saint-Jean,
Je restais grisée
Sans volonté
Sous ses
baisers.
Mais hélas, à Saint-Jean comme ailleurs
Un
serment n'est qu'un leurre
J'étais folle de croire au bonheur,
Et
de vouloir garder son cœur.
Comment ne pas perdre la tête,
Serrée
par des bras audacieux
Car l'on croit toujours
Aux doux mots
d'amour
Quand ils sont dits avec les yeux
Moi qui l'aimais
tant,
Mon bel amour, mon amant de Saint-Jean,
Il ne m'aime
plus
C'est du passé
N'en parlons plus.
Au petit matin, quand au chant du coq il quitte le bourg, il a certes le cœur gros mais cette rengaine dans la tête, allége ses pas. Le monde a changé sans qu'il s'en rende vraiment compte. Les années ont passé, la cabrette a été supplanté par l'accordéon. Les apaches vont guincher au bal sur un joli parquet qui tout comme lui, va de villages en villages.
On appelle ça d »sormais le bal musette. Est-ce en souvenir des instruments traditionnels qui ne trouvent plus place que dans le folklore ou bien parce que les fripouilles boivent plus que raison à la buvette de l'endroit. C'était encore une époque où l'on avait la cuite tricolore, le vin avait la primeur des boit-sans-soif. Quoique souvent affreuse piquette, il se contente de griser un peu, sans faire trop de mal à moins qu'une bagarre ne vienne pousser le bouchon trop loin.
Archimède s'en amuse en son fort intérieur. Il sent monter la pression, s'éclipse avant que ne volent les tables et les chaises. Pour lui, le bal doit être un moment de grande fraternité durant lequel toutes les générations se rassemblent. Il a l'inquiétude au cœur, il lui semble percevoir que cela ne durera pas, que les clans, les tribus, les clivages vont fractionner le tissu social, que les générations bientôt ne se retrouveront plus sur les mêmes pistes de danse.
En attendant, Archimède laisse place à l'accordéoniste. Il aime le son de cet instrument, populaire par essence. Point n'est besoin de lui remonter les bretelles pour qu'il écrive à nouveau un texte qui tourne en boucle dans les têtes. Il lui prend l'envie d'évoquer à nouveau ces demoiselles du bordeau, Archimède a du vague à l'âme, sa solitude lui pèse…
L'accordéoniste.
La
fille de joie est belle
Au coin de la rue là-bas
Elle a une
clientèle
Qui lui remplit son bas
Quand son boulot
s'achève
Elle s'en va à son tour
Chercher un peu de rêve
Dans
un bal du faubourg
Son homme est un artiste
C'est un drôle de
petit gars
Un accordéoniste
Qui sait jouer la java
Elle écoute la java
Mais
elle ne la danse pas
Elle ne regarde même pas la piste
Et ses
yeux amoureux
Suivent le jeu nerveux
Et les doigts secs et
longs de l'artiste
Ça lui rentre dans la peau
Par le bas, par
le haut
Elle a envie de chanter
C'est physique
Tout son être
est tendu
Son souffle est suspendu
C'est une vraie tordue de la
musique
La fille de joie est
triste
Au coin de la rue là-bas
Son accordéoniste
Il est
parti soldat
Quand il reviendra de la guerre
Ils prendront une
maison
Elle sera la caissière
Et lui, sera le patron
Que la
vie sera belle
Ils seront de vrais pachas
Et tous les soirs
pour elle
Il jouera la java
Elle écoute la
java
Qu'elle fredonne tout bas
Elle revoit son accordéoniste
Et
ses yeux amoureux
Suivent le jeu nerveux
Et les doigts secs et
longs de l'artiste
Ça lui rentre dans la peau
Par le bas, par
le haut
Elle a envie de pleurer
C'est physique
Tout son être
est tendu
Son souffle est suspendu
C'est une vraie tordue de la
musique
La fille de joie est
seule
Au coin de la rue là-bas
Les filles qui font la
gueule
Les hommes n'en veulent pas
Et tant pis si elle
crève
Son homme ne reviendra plus
Adieu tous les beaux
rêves
Sa vie, elle est foutue
Pourtant ses jambes
tristes
L'emmènent au boui-boui
Où y a un autre artiste
Qui
joue toute la nuit
Elle écoute la java
Elle
entend la java
Elle a fermé les yeux
Et les doigts secs et
nerveux
Ça lui rentre dans la peau
Par le bas, par le
haut
Elle a envie de gueuler
C'est physique
Alors pour
oublier
Elle s'est mise à danser, à tourner
Au son de la
musique
Arrêtez!
Arrêtez la
musique !
Arrêtez la musique, c'est ce qu'ils ont osé faire : un quatorze juillet sans les lampions et le feu d'artifice à cause de cette maudite pandémie. Archimède se souvient alors d'une autre époque, celle qui a conduit à célébrer ce jour de fête nationale. Il a tant bourlingué, lui le vagabond errant, échappant miraculeusement à la marche immuable du temps.
Il se rappelle la fièvre qui prit alors le bon peuple du royaume quand le pauvre roi Louis XVI, avant de perdre la tête, réclama que les doléances de ses sujets remontent jusqu'à Versailles. Il n'avait pas chômé, lui l'écrivain des gueux. Il en avait écrit des lignes et des lignes, remplissant des cahiers de plaintes multiples. Il se faisait alors l'interprète d'une sourde colère, résultat d'une injustice criante.
Il n'imaginait pas alors qu'à nouveau, bien des années plus tard, il retrouverait un tissu social déchiré par les inégalités, les injustices et la morgue des puissants. Bien sûr, les temps ont changé, la justice n'est plus aussi rude. Il ne peut oublier ce bagnard, marqué jamais par la flétrissure infamante, qui lui confia son histoire, celle sordide de tous ces faux-sauniers qui voulaient simplement atténuer la misère des humbles soumis à l'odieux impôt de la Gabelle. Il avait écrit alors une chanson comme il l'avait fait pour Mandrin.
Le galérien
Je m'souviens, ma
mèr' m'aimait
Et je suis aux galères,
Je m'souviens ma mèr'
disait
Mais je n'ai pas cru ma mère
Ne traîn' pas dans les
ruisseaux
T'bats pas comme un sauvage
T'amuses pas comm' les
oiseaux
Ell' me disait d'être sage
J'ai pas tué, j'ai
pas volé
J'voulais courir la chance
J'ai pas tué, j'ai pas
volé
J'voulais qu'chaqu' jour soit dimanche
Je m'souviens
ma mèr' pleurait
T'en vas pas chez les filles
Fais donc pas
toujours c'qui t'plait
Dans les prisons y a des grilles
Un jour les soldats du
roi
T'emmen'ront aux galères
Tu t'en iras trois par
trois
Comme ils ont emmn'nés ton père
Tu auras la têt'
rasée
On te mettra des chaînes
T'en auras les reins brisés
Et
moi j'en mourrai de peine
Toujours, toujours tu
ram'ras
Quand tu s'ras aux galères
Toujours toujours tu
ram'ras
Tu pens'ras p't'ètre à ta mère
J'ai pas tué, j'ai
pas volé
Mais j'ai pas cru ma mère
Et je m'souviens qu'ell'
m'aimait
Pendant qu'je rame aux galères.
Le temps ne fait rien à l'affaire. Archimède en dépit du poids des années a toujours un cœur qui bat. Les mots sont les plus précieux de tous les trésors. Il a parcouru le pays, avec cette envie de faire le bien par quelques belles tournures de phrases, des sentiments qui se passent aisément des richesses factices.
Tour ce qui brille n'est pas or, seul ce qui fait briller les yeux des amoureux lui a toujours donner la force de continuer. Alors, qu'importe si parfois il trempe sa plume dans l'eau de rose, il se moque de ces furieux qui pensent tout pouvoir acheter, les sentiments et les corps, les âmes et les esprits. Lui il croit et croira éternellement en cette pulsion étrange, immatérielle qu'on nomme amour et que bien naïvement il continuera de faire rimer avec Toujours.
Archimède poursuit son chemin, sème des petits cailloux qui roulent sur les joues. Ils n'ont pas de prix, ses paroles non plus n'en déplaisent à la société des auteurs, maléfique instance qui soutire les humbles pour enrichir les puissants. Il vous laisse un ultime message avant que de reprendre sa route. Il envoie tout valser pour se délester du superflu et garder au cœur que l'essentiel...
J’envoie valser
J'en vois des qui se
donnent
Donnent des bijoux dans le cou
C'est beau mais quand
même
Ce ne sont que des cailloux
Des pierres qui vous
roulent
Roulent et qui vous coulent sur les joues
J'aime mieux
que tu m'aimes
Sans dépenser des sous
Moi je m'en moque
J'envoie
valser
Les trucs en toc
Les cages dorées
Car quand on
s'aime très fort
C'est comme un trésor
Et ça, et ça vaut de
l'or
J'en vois des qui se
lancent
Des regards et des fleurs
Puis qui se laissent
Quelque
part ou ailleurs
Entre les roses et les choux
J'en connais des
tas
Qui feraient mieux de s'aimer un peu
Un peu comme nous
Qui
nous aimons beaucoup
Et d'envoyer
Ailleurs
valser
Les bagues et les cœurs en collier
Car quand on s'aime
très fort
C'est comme un trésor
Et ça, et ça vaut de l'or
Moi pour toujours
J'envoie
valser
Les preuves d'amour
En or plaqué
Puisque tu me
serres très fort
C'est là mon trésor
C'est toi, toi qui
vaut de l'or
Archimède s'en est allé sur la pointe de ses pieds nus. Les mots couchés sous des notes valent plus que de l'or quand ils sont chantés. Il n'est de plus beau message à retenir dans ce monde si mercantile. Prenez la peine de la suivre dans son univers merveilleux et acceptez, acceptez d'être émus et entraînés par le musicien et la chanteuse. Le conteur n'a fait que peupler leur tour de chant de quelques fragments d'étoiles. L'essentiel ne se grave que dans le cœur.
Fin du récit
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