Une
histoire en queue de poisson.
Il
était une fois en bord de notre Loire, un pêcheur qui avait
jusque-là belle et grande réputation. Il n'avait de cesse de
remplir ses filets, de prendre les plus beaux des poissons du coin.
Tout allait fort bien pour lui jusqu'à ce qu'il tombe amoureux d'une
lavandière, la plus charmante qui soit.
Il
commença par tendre ses filets à proximité du bateau lavoir. Tout
le monde riait de cette étrange fantaisie qui ne trompait personne.
On voyait le manège de l'un et de l'autre. On parlait derrière eux,
on riait sous cape. L'une laissait des taches sur les draps quand
l'autre remontait des filets vides de prise. On ne pêche pas en eau
savonneuse, pensait les plus vieux, les plus sages qui depuis
longtemps avaient oublié les troubles de la passion.
Il
y avait tant de rires autour d'eux que bientôt notre pêcheur
amoureux renonça à croiser dans les parages de sa belle. Il ne
supportait plus les moqueries et ses pêches infructueuses. Il s'en
retourna en ses coins habituels. Mais cette fois, par un curieux
maléfice, il restait bredouille à chaque fois. « Heureux en
amour, malheureux à la pêche », on peut s'amuser de telles
fariboles, elles ne s'appuient néanmoins sur aucune logique.
Il
fallait bien se résoudre pourtant à l'évidence. Notre pêcheur
remontait désormais des filets vierges de toute prise. Il avait le
mauvais œil. Il ne pouvait continuer ainsi, ses ressources venaient
à s'épuiser et ses clients avaient déjà changé de fournisseur.
La situation devenait préoccupante. Il consulta alors un sorcier, un
mage qui faisait passer le feu, guérissait des verrues et reboutait
les articulations déboîtées.
Après
quelques incantations et bien des gestes étranges, le guérisseur
des corps et des âmes lui donna à boire un étrange élixir. Il
l'avertit qu'il allait subir des transformations qui n'auraient de
cesse de le surprendre. Il ne devait pas s'en inquiéter tout en se
gardant bien de batifoler quand surviendraient les manifestations
magiques.
Notre
pêcheur promit sans bien comprendre de quoi il en retournait. Il
faut même avouer qu'il n'avait pas la moindre idée de ce qui allait
se passer pour lui. Le sorcier lui avait dit simplement : « Tends
tes filets et dis à haute voix : Que je sois ce que je veux
! ». Incrédule, il s'en retourna à son bateau décidé à
éclaircir ce mystère.
Il
craignait au fond de lui ce qui pouvait advenir et s'éloigna du
village pour pêcher dans un endroit sauvage et discret. Il tendit
son filet dérivant et prononça du bout des lèvres cette incroyable
formule. Aussitôt dite, il sentit un malaise profond, il perdit
connaissance quelques instants. Quand il reprit ses esprits, il était
devenu un énorme brochet qui semait la terreur dans les rangs des
ablettes et des goujons qui se précipitaient tous dans le filet.
De
manière toute aussi mystérieuse, il retrouvait ses esprits et
remontait un filet plein comme jamais. Il rentrait à nouveau au
village, fier comme Artaban. On murmurait dans son dos qu'il y avait
sorcellerie dans tout ça. Il n'en avait cure, les affaires
reprenaient leur train et il pouvait couvrir sa belle lavandière de
bouquets de fleurs et de baisers langoureux.
Tout
allait pour le mieux, il gardait son secret jalousement. Il devinait
qu'il serait bien imprudent de le dévoiler à ses collègues. Il
aimait maintenant à se transformer ainsi en un poisson rabatteur. Il
voyait la rivière de l'intérieur et sa connaissance des occupants
de l'eau était désormais sans égale.
Mais
il avait toujours envie de voir le plus longtemps possible sa douce
amoureuse. Il s'enhardit au point de revenir tendre ses filets à
proximité du bateau lavoir. Que l'eau soit un peu savonneuse ne
devait en rien le gêner. Il parviendrait quand même à remplir son
filet grâce à la magie du vieil homme.
Ce
qui advint alors n'était pas du tout ce qu'il avait prévu. Au
moment de prononcer sa formule magique, il regarda au loin ce bateau
lavoir où travaillait sa belle. Il la désirait comme jamais
jusque-là. Et soudain, son souhait fut réalisé. Il devint ce qu'il
voulait le plus au monde …
Depuis
ce jour, une lavandière revêche, inconnue dans le village, bat le
linge et médit de ses commères. Elle a beau être à côté d'une
belle jeune demoiselle, elle ne parvient jamais à saisir son regard.
Plus les jours passent, plus son humeur devient détestable. La
pauvrette quant à elle pleure son joli pêcheur qu'on dit disparu
dans la rivière.
Voilà
ce qui arrive quand on use de subterfuge pour obtenir ce qu'on
désire. Il vaut mieux être bredouille et heureux en amour, il est
surtout préférable de ne compter que sur soi pour réaliser ses
rêves. Ne croyez pas aux mirages et aux sorciers, aux diseurs de
bonne aventure et aux bonimenteurs. Vous avez en vous les raisons
d'espérer. C'est bien la seule vérité de cette fable.
Pécheressement
vôtre
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