La
force des présages …
Il
fut un temps sur les bords de notre Loire où un étrange malaise
régnait parmi nos mariniers. La terreur avait pris possession de
tous ceux qui allaient sur l'eau. Il faut dire que depuis quelque
temps, les naufrages, les disparitions, les décès mystérieux se
succédaient sans que l'on puisse vraiment trouver une explication
rationnelle à cette série troublante et trop rapprochée pour ne
pas poser question ….
En
ce temps-là, la navigation sur la rivière n'était pas de tout
repos. La confrérie des gens de Loire payait un lourd tribut aux
difficultés d'un métier dangereux, aux variations de la rivière,
aux caprices du temps et aux chausse-trappes en tous genres que
semaient les hommes et la nature ! Mais heureusement, les drames
humains étaient fort rares, ils constituaient alors une exception.
Depuis
quelque temps pourtant, la fréquence des catastrophes augmentait
dans une inquiétante proportion. Curieusement, c'était souvent des
petites embarcations, des hommes seuls qui disparaissaient dans les
flots. On les retrouvait, flottant à la dérive tandis que la rumeur
et l'inquiétude enflaient.
On
aurait pu accuser le mauvais sort, la loi des séries ou bien une
période particulièrement périlleuse. La Loire a toujours connu des
moments délicats, les hommes de la rivière ont payé un lourd
tribut à leur folle volonté de vouloir la dompter. C'est la durée
de cette mauvaise passe qui entraîna les inévitables fantasmes, des
interprétations fantaisistes et des propos invérifiables
Ce
fut dans ce contexte favorable aux croyances mystérieuses qu'un
pêcheur qui avait assisté à un nouvel incident apporta un
témoignage troublant qui fit bien vite le tour de tous les pays de
Loire. De Roanne à Saint Nazaire, bientôt on ne parlait plus que de
l'étrange vision évoquée par cet homme, connu pourtant dans son
village pour n'avoir pas toute sa raison.
Notre
« berlaudiot » avait raconté le naufrage à sa manière
confuse et incertaine. Le malheur s'était déroulé à bonne
distance de l'endroit où il tendait ses nasses. Son témoignage fut
repris, déformé, embelli. Il passa de bouche à oreille plus vite
que ne va le courant. Les journaux et les gazettes locales reprirent
des propos qui au fil des transformations devinrent un discours bien
plus élaboré que n'avait pu le faire ce pauvre homme. Je vous livre
ici une version que j'ai découverte dans les archives du musée de
la marine de Chouzé.
«
Le fûtreau du Gaston descendait la rivière. Le niveau était haut,
le courant particulièrement fort en ce goulet réputé pour sa
traîtrise. Des rochers affleurent souvent en cet endroit. Le
malheureux était debout sur son embarcation, il maniait la bourde
avec la dextérité qu'on lui connaît. Soudain, juste devant lui, un
gros oiseau blanc, un que je n'avais jamais vu dans le coin, une
sorte de cygne mais porteur d'une houppette comme des plumes
d'indiens s'envola juste devant lui. Il fut sans doute surpris.
Gaston perdit l'équilibre et partit à la renverse, la tête la
première. Il tomba lourdement sur un rocher et disparut pour
toujours ! ».
On
ne sait pourquoi la légende d'un oiseau maléfique se propagea plus
vite encore que ce récit. Rapidement on évoqua un cygne mystérieux,
un oiseau merveilleux au plumage étrange qui s'envolait devant celui
qui allait disparaître. Il avait hérité en pays
Liger d'un surnom à cause de cette mystérieuse crête qui n'existe
pas dans l'espèce.
On
aurait pu s'amuser de cette rumeur stupide, issue d'un témoignage
peu crédible et incertain. Les temps étaient aux croyances
magiques, à la superstition et aux peurs irrépressibles. Dans
l'esprit de nombre de mariniers, la malédiction du cygne à la huppe
se propagea bien vite. Pour peu que l'homme ait bu quelques chopines,
il perdait toute contenance quand il voyait un grand oiseau blanc sur
la rivière.
C'est
sans doute l'exagération et la perte de contrôle qui expliqua alors
quelques incidents fatals. Des mariniers seuls, voyant un oiseau au
loin, se mettaient soudain à perdre toute raison. Ils s'affolaient,
agissaient comme des enfants, commettaient des imprudences qui
souvent leur étaient fatales. La terreur est hélas mère de toutes
les folies.
Il
fallut qu'on trouve un jour sur la rivière le cadavre bien décomposé
d'un cygne pour qu'une nouvelle rumeur se propage à son tour. On
disait partout que le cygne indien n'était plus. Comme une traînée
de poudre la bonne nouvelle tant attendue fit le tour du pays. Le
climat était devenu si pesant que tous étaient disposés à croire
à la fin de cette période noire. Évidemment, dans le même temps,
les incidents cessèrent miraculeusement.
De
cette histoire tirée par les cheveux, une expression marinière
entra dans le lexique national. Il était question de vaincre le
signe indien. C'est sans doute un conteur qui en répandit la
nouvelle hors de nos rives ligériennes. C'est ainsi que le cygne
perdit ses ailes et son orthographe.
De
cette histoire à ne pas croire, il faut retenir qu'il est
déraisonnable de donner créance aux rumeurs et aux croyances
surnaturelles. Gardez-vous d'écouter les propos qui circulent avec
le vent et n'écoutez pas plus le bonimenteur que les oiseaux de
mauvais présage. Ne vous fiez, en toute circonstance qu'à votre
raison ! C'est la seule morale de cette fable
Signalement
vôtre.
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