mardi 1 décembre 2020

La belette et le rossignol

 

L’enfant et les animaux





Il était une fois un enfant aimé des siens, choyé plus que de raison. Il était enfant-roi : celui qui obtient tout ce qu’il désire d’un claquement de doigt ou bien d’une colère bien conduite. Sa famille était entièrement à son service. La vie avait eu le don de le faire naître dans un environnement où les soucis d’argent ne se posaient jamais. C’est sans doute ce qui le rendit particulièrement capricieux.


L’existence a parfois le don d’équilibrer ce que la bonne fortune n’a pas justement réparti. Le gamin tomba malade : un mal mystérieux qui le cloua dans son lit sans que les médecins et les plus grands spécialistes appelés à son chevet puissent découvrir les raisons de sa langueur. Les parents désespéraient de le voir se rétablir et répondaient encore plus que jamais à ses moindres désirs, pensant ainsi lui redonner santé et vigueur.


L’enfant profita un temps de la situation. Il réclama et obtint bien plus qu’il ne pouvait profiter. Livres, jeux, jouets, confiseries s’accumulaient dans sa chambre sans lui apporter le moins du monde cette santé qui le fuyait. Bien au contraire, plus il recevait, plus il s’étiolait. Son visage se creusait, il pâlissait et s'affaiblissait de plus en plus .


Cependant les désirs de l'enfant se modifiaient progressivement. Il cessa de réclamer des biens matériels. C’est désormais de l’affection, de la tendresse qu’il désirait. Il voulait de quoi égayer ses journées si mornes, sa triste chambre dans laquelle il était cloué. Il voulut un compagnon, un animal qui, pensait-il, allait le distraire et lui redonner le sourire.


Il jeta son dévolu sur une belette. Il savait les siens en mesure de satisfaire toutes ses volontés. Il aurait pu réclamer un renardeau ou bien une fouine. Il lui fallait un animal hors du commun, manière sans doute de se démarquer de ses camarades et de mesurer encore sa puissance. Il fut satisfait comme de bien entendu. Le petit carnassier fut pris et confiné dans une cage au pied du lit du petit malade.


L’enfant cependant se lassa vite de cette pauvre petite bête qui, de son côté, dépérissait plus encore. Son odeur lui fut vite désagréable ainsi que le bruit nocturne que faisait le petit animal ; l’état du garçonnet s'en aggrava d'autant. Les parents, incapables de poser un interdit ou une décision, attendirent que le malade lui-même exigeât que l'on retire l'animal de la chambre pour enfin assainir la pièce et libérer la malheureuse belette. Elle retrouva avec joie sa liberté !


Le temps passa encore, l’enfant allant de mal en pis ; il réclama, cette fois, un bel oiseau, pour égayer sa chambre. Il voulut, cela va sans dire, un rossignol, un merveilleux chanteur et fut, vous vous en doutez, exaucé au plus vite. Le rossignol, capturé dans la forêt voisine, fut enfermé dans une cage posée sur la table de chevet.


Il ne fallut que quelques jours au beau chanteur pour perdre sa voix et voir ses plumes se ternir. L’enfermement lui pesait, lui était douleur insupportable. Il regrettait sa forêt et sa liberté. L’enfant, heureusement, se lassa vite de ce compagnon silencieux. Une fois encore, les parents attendirent qu’il exprimât son désir d’en être débarrassé pour obtempérer à son souhait. L’oiseau fut libéré et retrouva sa forêt et sa voix.


Les deux expériences avaient été deux échecs. L’état du gamin était désormais plus qu’alarmant. Il était si faible qu’il n’avait plus ni l’envie ni la force d’exprimer un caprice nouveau. Il se laissait dépérir, ne mangeait plus ; il s’en allait doucement. Ses parents, éplorés, avaient renoncé à tout recours : ils passaient leurs journées au chevet du petit mourant.


C’est un matin que la situation empira plus encore. L’enfant était si faible qu’il était presque impossible d’entendre son souffle de voix. Dans un soupir il dit : « J’aimerais revoir ma petite belette et mon cher rossignol ! » Aussitôt, les parents lui assurèrent qu’ils allaient les faire quérir par quelques serviteurs dans l’instant. L’enfant, dans un regain d’énergie, se souleva et dit : «  Oh, non, je ne veux pas les voir malheureux dans leur prison. C’est dehors, en liberté, à ma fenêtre que j’aimerais les voir et les entendre avant de quitter cette terre ! »


Inutile de vous dire l’effet que provoqua cette requête. Cette fois, les parents étaient impuissants à satisfaire cette ultime volonté. Leur enfant réclamait quelque chose d’impossible. Sa demande ne pouvait s’acheter ni s’obtenir par le truchement de serviteurs zélés. Ils n’avaient d’autre ressource que de lui dire qu’ils n’étaient pas en mesure de réaliser son désir. Devant cet aveu, l’enfant esquissa un sourire ; c’était la première fois qu’on lui avouait ne pas pouvoir le satisfaire.


Trop affaibli , il allait sombrer dans l’inconscience quand il se passa quelque chose d’extraordinaire. Un vieux serviteur de la maison, un homme qui savait des secrets de la nature, qui était druide sans jamais le dire, eut vent du désir de ce petit maître, si mal élevé jusqu’alors. Touché par son ultime demande , il s’empressa d’aller dans la forêt. Il invoqua les esprits, il chanta, il psalmodia des prières des temps anciens puis revint souffler quelque chose à l’oreille de l’enfant.


Quelques minutes plus tard, un petit oiseau vint frapper du bec à la fenêtre de la chambre du malade. Posé sur le rebord, le rossignol- car c’était celui-là même qui avait passé quelque temps dans une cage- entonna le plus mélodieux chant qu’on eût jamais entendu jusqu’alors. Sur la pelouse, une belette courait en tous sens, heureuse d’être libre et d’aller comme bon lui semblait. Le rossignol s’envola et se posa sur le dos de la belette.


À ce spectacle extraordinaire, l’enfant, que le vieux druide avait placé devant la fenêtre, rit aux éclats. C’était la première fois depuis si longtemps. Il passa des heures à regarder les facéties de la belette et du rossignol. Puis ceux-ci s’en allèrent et il regagna son lit en leur faisant un signe de la main.


Chaque jour, les deux animaux vinrent rendre visite à l’enfant qui recouvra rapidement des forces et put enfin sortir de sa chambre. Il avait retrouvé goût à la vie : il avait compris que les plus belles choses ne sont pas celles qu’on réclame mais celles qu’on va chercher soi-même. Le rossignol et la belette cessèrent de venir quand ils comprirent que l’enfant était désormais capable de leur rendre visite dans les bois.


Ce fut ainsi que, chaque jour, il arpenta la forêt, observant les uns et les autres, découvrant des merveilles . Il oublia bien vite sa maladie et cessa d’être capricieux. Il avait trouvé sa voie. Il fit des études de botanique et passa sa vie à faire découvrir la faune sauvage aux enfants. À chacun d’eux, il racontait son histoire, ce récit à peine croyable qu’il me fut donné d’entendre de la bouche d’un vieux naturaliste au sourire éclatant. Un rossignol voletait au-dessus de sa tête tandis qu’une belette pointait le bout de son museau en dehors de son terrier.


Miraculeusement sien.

 


 


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