jeudi 31 décembre 2020

Le calendrier

 

Bonne Année 2021 à tous !





Il est un objet qui eut son heure de gloire avant que dates et heures ne s’affichent un peu partout sur d’étranges écrans envahissants. Il arrivait alors, comme un cérémonial immuable, quelques jours avant la Saint Sylvestre, porté par un facteur passablement fatigué par ce travail supplémentaire durant lequel, il acceptait de trinquer avec tous ceux de sa tournée.


L’expression « Payer sa tournée » vient peut-être de cette aventure peu banale durant laquelle le brave préposé des postes recevait des étrennes fort méritées tout autant que tous les alcools que l’imagination des uns et des autres était capable de fabriquer. Son désir de ne choquer personne, de ne pas refuser le dernier verre, mettait sans doute notre gentil postier en situation délicate, mais qu’importe, il était en cette époque lointaine, l’ami de toute la famille …


Des rivaux se sont sentis pousser des ailes. L’appétit vorace des poubelles de Noël, poussa certainement les éboueurs (une désignation passée de mode) à venir quémander eux aussi des petites étrennes. Le métier était rude, les hommes de la benne avaient gagné la considération de tous en effectuant une besogne peu ragoûtante en une époque ou tout finissait indistinctement et en vrac dans un réceptacle métallique aux odeurs pestilentielles.


Si le calendrier de la Poste était d’un usage quasi rituel dans les familles ; on y trouvait une fort belle carte du département, trônant au centre de tous les feuillets, des adresses, des renseignements pratiques, le plan des grandes villes de l’endroit et bien d’autres trésors encore, sa couverture était alors l’objet d’une âpre négociation entre les enfants de la famille, celui des collecteurs de tous nos déchets sans distinction n’avait pas la même valeur, mais qu’importe !



Puis les concurrents ont fait flores. Les pompiers ont vu rouge, tout autant qu’ils se sont délectés de cette merveilleuse boisson. Il convenait de ne pas avoir besoin de leurs services un soir de tournée calendaire. L’alcool coulait à flot pour arroser une plaquette sur laquelle tous les engins de la caserne locale brillaient de mille feux. En ce temps-là, nos amis les pompiers rendaient tellement de services, devenus aujourd’hui payants et privatisés, qu’ils héritaient de belles pièces et d’une immense considération.


Les écoles n’ont pas tardé à emboîter le pas même si le petit verre n’était alors plus de rigueur. Le calendrier de la coopérative permettait d’envisager une sortie scolaire. Les enfants vendaient timbres et revues en prime, contraignant proches et voisins à leur faire bonne figure tout en déliant leur bourse. L’apprentissage du mercantilisme en somme.


Les associations sportives ne tardèrent pas à découvrir un filon pour faire tourner la boutique. Le calendrier se démocratisa avec la généralisation de la photographie. Qu’ils sont beaux nos chers petits mignons, en short, avec leurs camarades de l’équipe des poussins ou bien des benjamins. Émus, les parents accordaient leur obole tandis que la réclame apparut sur ce carton qui restait souvent au fond d’un placard.


Du côté des camionneurs et autres routiers, le calendrier prit de la hauteur. Il gagnait en taille et en rondeurs pour y afficher, à chaque mois, une nouvelle dame fortement dévêtue. La période était à la libération des mœurs, le suggestif l’emportant sur la nudité sans entrave. Le papier était glacé tout comme celui des magazines Lui et Play-Boy qui s’échangeaient sous le manteau des écoliers délurés dont je n’étais pas. Autre temps, autre comportement sans doute…


Des grands cartons firent leur apparition. Ils permettaient de s’afficher tout en laissant place aux rendez-vous et autres dates impérieuses. Ils furent les prémices de l’agenda, non pas celui des professions libérales mais celui du commun, qui se suffisait alors de ce tableau, fixé dans un endroit stratégique qu’il convenait de tourner au bout de six mois. Il était particulièrement recherché, c’était un privilège de se le voir offrir par le Journal Local ou bien le gros commerçant de l’endroit.



Les temps ont changé. Je n’ai, à ce jour, pas encore reçu la moindre visite, le plus petit quémandeur, un calendrier sous la main. Le redoutable portail électrique ferme tant de portes ! Signe des temps sans doute, l’objet est voué aux calendes grecques, relégué dans le rang de l’obsolescence en mouvement. Pour valider ce terrible constat, je me dois de lui consacrer ma petite chronique. Puisse-t-elle éveiller en vous quelques lointains souvenirs agréables tout autant que nostalgiques …


Chronologiquement vôtre.

 


 

mercredi 30 décembre 2020

Peut-on encore souhaiter une bonne santé ?


 

Les Vœux en question …




Pourquoi ne fait-on pas vœu de décence le soir de la Saint Sylvestre ?

Parfois ne vaut-il pas mieux un aveu sincère que des vœux hypocrites ?

Faut-il être au lit pour formuler un vœu pieux ?

Pourquoi pense-t-on magiquement qu'un jour de plus peut changer notre destin ?

Quand on nous promet la Santé, est-ce de la prison dont on parle ?

 

2021 = 43 x 47

 

Les cotillons sont-ils indispensables au réveillon sylvestre ?

Combien de microbes sont-ils ainsi échangés à minuit ce jour-là ?

Minuit : Est-ce l'heure de l'intime ?

Pourquoi notre président se pense-t-il obligé de jouer les hypocrites à la télévision ?

La liesse universelle doit-elle nécessairement enrichir les opérateurs téléphoniques ?

 

Entre les nombres premiers 2017 et 2027


Les agences de notation oseront-elles nous promettre la prospérité ?

Au douze coups de minuit, n'est-ce pas possible qu'on m'oublie un peu ?

Deux réveillons en une semaine, veut-on nous préparer aux vaches maigres à venir ?

Est-ce prémonitoire que cette année débute par une bien vilaine migraine ?

À la rigueur, peut-on faire vœu d'austérité ?

 

Somme de ses diviseurs : 2 112


Pourquoi tous ces vœux de bonnes damnées m'atterrent ?

Le serpentin est-il venimeux ?

Pourquoi les dames mettent-elles une robe de soirée pour commencer l'année ?

Qui y-a-t-il écrit dans les bulles de Champagne ?

Faut-il trinquer un soir quand on va trinquer toute l'année ?

 

Il y a 2021 nombres premiers avec 17 579

 

De quel calendrier dispose notre président pour faire ses vœux un mois durant ?

Mais qui paie toutes ces cérémonies officielles de vœux qui ne servent à rien ?

Nos élus ne pourraient-ils pas faire enfin vœu de sobriété au lieu de se rincer à nos frais ?

Pourquoi nous promettre la Lune quand notre chandelle est morte ?

Quel est votre vœu le plus cher ? Hélas, je n'en est pas les moyens …

 

En langage binaire il s'écrit 11111100101

 

Quand un politique prétend vouloir exaucer nos vœux, pourquoi sourit-il ?

Le pire en janvier n'est-il pas la première journée de travail ?

Ne dit-on pas : qui trop embrasse mal étreint ? Alors, pourquoi ai-je le feu aux joues ?

Est-ce parce que les élections approchent que le président fait vœux de toutes nos voix ?

Pourrais-je vous avouer un vœu de faiblesse ?

 

Le carré de 2021 est 4 084 441 


Pourquoi est-ce seulement la nuit de Saint Sylvestre que les langues de belle-mère ne médisent pas de nous ?

Santé, Prospérité, bénédicité … N'y a-t-il pas de rimes en « ard » ?

Faut-il marcher sur la tête pour entrer dans la nouvelle année avec un chapeau pointu ?

Ne peut-on pas se planter en proposant un vœu pieux ?

Ne faudrait-il pas mieux dire « Je veux » ?


2021 suit la terrible année 2020


Que peut-on souhaiter à un mourant ?

Une nonne peut-elle prononcer d'autres vœux ?

Est-il souhaitable de suggérer l'improbable ?

Qui a osé : « Le président dit je vœux et le peuple lui répond, nous votons ! » ?

Peut-on s'exonérer de vœux couteux ?


 et risque de n'en point différer

 

Pourquoi n'a-t-on jamais songé à une mère Sylvestre ?

Pour remplacer ces belles paroles, des étrennes ne seraient pas pas plus judicieuses ?

Peut-on étrenner une année sans vœux ?

Est-il facile de marcher sur des vœux ?

Puis-je garder le vœu de la faim pour la bouche bouche ?

 

Alors courage

mardi 29 décembre 2020

L’épicéa de Noël


Sa belle histoire.




Il était une fois un petit arbre chétif perdu dans une grande et vaste forêt peuplée de grands arbres fiers. Le malheureux était écrasé par la hauteur et la puissance de ses voisins. Il avait à subir leurs moqueries tout autant que leur mépris. Il s’en désolait d’autant que lorsque des enfants passaient non loin de lui, ils n’avaient pas un regard pour lui.


Le brave petit sapin voulait qu’on lui accorde un peu de considération, lui qui contrairement aux feuillus prétentieux gardait ses épines toute l’année. Il en vint à les jalouser, se mit à croire que c’est parce que, à l’automne, ils se parent de toutes les couleurs avant de perdre leurs feuilles qu’ils étaient ainsi l’objet de l’admiration de tous.


Il en appela à Merlin, le mage de la nature, le brave sorcier qui vivait non loin de là. « Gentil Merlin, accorde-moi des épines de toutes les couleurs. Que l’on me regarde enfin ! » Merlin s’amusa de cette requête, elle lui sembla quelque peu déplacée, le vert sied aux arbres pour assurer la fonction chlorophyllienne, mais le sapin était bien trop petit pour comprendre cela. Il demanda aux lutins de la forêt de venir peindre les aiguilles de leur ami à la condition de prendre une peinture à l’eau pour ne pas le tuer.


Ainsi fut fait selon le désir du petit arbre. Les lutins firent si bien que les enfants s’arrêtaient devant le sapin, s’exclamant devant cet arbre de toutes les couleurs. Ils firent grande ronde autour de lui. Mais l’hiver approchait, la pluie chassa tout les gamins de l’endroit et quand ils revinrent, ses épines avaient retrouvé leur couleur verte.


Le petit sapin avait connu son heure de gloire, il devait s’en satisfaire. C’est alors qu’il remarqua qu’à l’approche de Noël, les adultes venaient dans les bois ramasser des branches de houx et du buis pour décorer leurs demeures. Il en fut jaloux et s’interrogea sur cette curieuse préférence. « Voilà deux plantes qui gardent leurs feuilles, qu’ont-elles de plus que moi ? »


Il se gratta le faîtage avant de comprendre que les petites boules rouges devaient égailler les intérieurs austères au moment de cette belle fête. Il sollicita une fois encore son ami Merlin. « S’il te plaît gentil mage, demande à tes lutins d’aller chercher des pommes de toutes les couleurs dans les bois et de les accrocher à mes branches ! » Ce qu’on demande à Merlin quand on est sage, on l’obtient toujours.


Les lutins choisirent des petites pommes rouges et d’or qui donnèrent à notre épicéa fière allure. Une fois encore, les enfants se précipitèrent pour l’admirer. Ils s’exclamèrent avant que de voler un à un les jolis fruits pour les dévorer. Le petit sapin se retrouvait à nouveau nu et abandonné, n’ayant plus de raison d’attirer l’attention.


La Nuit de Noël arriva, le ciel se para cette nuit -là de milliers d’étoiles. Que c’était beau, que c’était émouvant. Le petit sapin levait les yeux au ciel. Il se dit que jamais il n’avait vu plus merveilleux spectacle. Il eut alors une idée et une fois encore sollicita Merlin. « Gentil mage, pourrais-tu ordonner à tes lutins de décrocher quelques étoiles au ciel pour venir les poser sur mes branches ? ».


Merlin ne voulut pas contrarier l’épicéa. Dans sa naïveté, il ignorait sans doute que l’on ne peut décrocher pas plus la Lune que les étoiles. Il se dit qu’il pouvait mettre à l’ouvrage ses lutins et leur demanda de découper des étoiles dans des cartons dorés et pour faire bonne mesure, de leur associer des bougies éclairées pour leur donner la lumière du ciel.


Les lutins firent ainsi et le lendemain, jour de Noël, le petit sapin brillait de mille flammes. Les enfants, qui en ce temps lointain n’étaient pas couverts de cadeaux, avaient encore du temps après avoir mangé le pain d’épices et l’orange qu’on leur avait offerts, pour courir les bois. Ils se précipitèrent autour du sapin magnifique. Lui firent des compliments pour sa beauté. Le petit sapin était aux anges.


Les bougies finirent par s’éteindre, les étoiles en carton doré tombèrent elles aussi au fil du temps. Le sapin pourtant avait cette fois conservé l’amitié d’un enfant qui avait aimé toutes ses transformations. Il venait chaque jour lui rendre visite, lui parlait, lui disait qu’il avait une belle idée et qu’il devait patienter une année pour retrouver son jour de gloire.


Le sapin était heureux. Il avait un ami. Il n’en demandait pas plus. Le temps passa ainsi jusqu’au Noël suivant. Quelques jours avant, l’ami du sapin arriva avec son père. L’homme avait une pelle à la main. Il fit un grand trou autour de l’arbre, le déposa délicatement dans une vaste caisse remplie de terre. Puis tous deux flanqués du sapin, rentrèrent chez eux.


Durant cette curieuse journée, le gamin accrocha des pommes de toutes couleurs sur les branches de son ami, il ajouta des brins de laine pour retrouver les couleurs de l’automne et découpa à son tour des étoiles dorées. Il fixa aussi quelques bougies et ainsi fit le premier sapin de Noël. La maison de l’enfant brillait dans la nuit. Tout autour, des curieux vinrent regarder par la fenêtre cet arbre qui donnait de la couleur à la plus longue nuit de l’année.


Parmi eux, Merlin vint lui aussi faire le curieux, flanqué de ses lutins. C’est l’une de ses petites créatures qui glissa quelque chose à l’oreille du vieux magicien. Le temps était passé pour lui de créer le monde. Il s’ennuyait depuis quelques temps et la belle idée du lutin fit son chemin. L’année suivante, la nuit précédant Noël, toutes les maisons du pays avait leur sapin décoré. Des sapins dans des caisses remplies de terre afin de les replanter ensuite.


Merlin, quant à lui s’habilla d’une grande cape rouge, demanda à ses lutins de préparer des pains d’épices et des oranges pour tous les enfants du Monde. Toute la nuit, là où un sapin était décoré, il déposa à ses pieds quelques friandises pour les gamins de la maison. Merlin n’était plus, il devint ce soir-là le Père Noël, il restait un gentil magicien et cette fois, il aurait désormais du travail pour les temps à venir.



C’est ainsi que cette merveilleuse histoire n’aurait jamais débuté si un petit sapin n’avait pas voulu se faire beau. Merlin retint la leçon et mit désormais comme condition pour récompenser les enfants qu’ils aient été sages durant l’année. J’espère qu’il n’a pas oublié cette réserve, de nos jours, ils ont trop tendance à penser que tout leur est dû.


Sylvestrement leur


 

lundi 28 décembre 2020

Les parties de petits chevaux.

 

La vie et rien d'autre.

 




Je me souviens des parties de petits chevaux avec ma grand-mère. Je passais quelques jours en sa compagnie, dans son petit appartement du vieux Tours. S'y rendre était déjà pour moi une aventure, un départ pour une expédition lointaine, en une époque où nous n'avions pas de voiture. Mes parents me confiaient, les yeux fermés, aux représentants de ces produits bien connus : brosses, savons et objets en osier, il me semble, fabriqués par l'association des aveugles

Le trajet se faisait alors le long de la levée. Dans cette Juva 4 break, je devais partager une place avec les produits de démonstration. La route ne cessait de tourner et la boîte à vitesse de la voiture brinquebalante de craquer, remplaçant le son nasillard de l'auto-radio qui, à l'époque, n'était encore qu'une hypothèse. Finalement, j'arrivais en assez bon état et me précipitais pour sonner à la porte de la vieille dame.

Je la revois encore, sa folle crinière blanche émergeant de sa petite fenêtre au deuxième étage. Elle n'y voyait presque plus déjà ; ses yeux étaient d'un bleu si clair, qu'ils avaient fini, au fil des ans, par en devenir transparents . Elle m'attendait et me faisait parvenir la clef par le relais d'une longue laisse de cuir, souvenir d'un chien que je n'ai jamais connu.

A ce dispositif, elle accrochait aussi un panier d'osier pour que des voisins bienveillants lui fassent parvenir le ravitaillement ou emportent quelques pièces de monnaie pour les courses selon une liste écrite au jugé. Ses jambes peinaient à supporter son surpoids, l'escalier étroit et tournant lui était une épreuve que son incomparable gourmandise avait provoquée.

Je n'allais pas lui en faire grief à elle qui ne manquait pas de m'accueillir avec des rillons de Touraine et des escargots. Chacun a sa petite madeleine : les miennes étaient une promesse de cholestérol. La dame avait eu une vie rude, faite du rejet de sa belle-famille, de la mort de deux époux, dont l'un par guerre, pour ne pas manquer son rendez-vous avec la grande histoire. Elle avait trimé seule, s'était vue éloignée de ses enfants car sa vie n'était pas conforme à ce que l'on attendait d'une femme respectable.

Ma grand-mère était gouailleuse, libre, indépendante, fière et, sans aucun doute, amoureuse plus souvent qu'à son tour. Écailleuse aux halles de Tours, elle vivait au petit matin ou bien les nuits de fêtes. C'est à cette dame, si peu recommandable, qu'on me confiait pourtant ; j'avais été le prétexte à son retour en dignité dans le cercle familial. Moi, je ne me souciais guère de ces considérations d'adultes, c'était ma grand-mère de cœur !

Je montais, le cœur battant, pour la rejoindre et l'embrasser. Débutait alors une période étrange pour l'enfant que j'étais. Nous partagions tout : l'intimité semblait se dissoudre dans l'étroitesse de la pièce qui servait à la fois de cuisine, de chambre et de salle de bain. C'est encore là que trônait en majesté le pot de chambre écaillé bleu qu'il fallait aller vider à l'entresol au petit matin …

Les dessous incroyablement affriolants, surprenants et colorés que ma grand-mère exposait en toute liberté devant moi et qui ne ressemblaient en rien à ceux que je connaissais des femmes de mon entourage, demeurent encore fixés dans ma rétine. J'aurais pu devenir fétichiste ou bien pervers ; j'ai échappé par un merveilleux miracle à ce que ce spectacle nocturne me préparait à coup sûr. C'est sans doute par la grâce de ces interminables parties de petits chevaux que je restais cet enfant innocent qui adorait sans réserve la vieille dame.

Il y avait dans ce jeu quelque chose de l'histoire du monde. Cette vaine course l'un contre l'autre (nous avions deux écuries chacun), ce combat impitoyable pour gagner son paradis, me fascinaient. Mais c'était bien plus encore les mimiques et les répliques de la chère femme qui donnaient à cette cérémonie sa dimension sacrée.

Le temps est si lointain, les souvenirs de l'enfance trop brouillés pour prétendre retenir l'exacte réalité de ces instants fugitifs. Ma grand-mère a vécu jusqu'à cent ans. Elle a perdu complètement la vue ainsi que son appartement quand le vieux Tours a été rasé. On l'a emprisonnée dans une tour sans âme dont jamais elle ne sortait . C'est enfin dans une maison de retraite, antichambre de l'enfer qu'elle a terminé son parcours, attendant la camarde … J'allai la voir, pas assez souvent à mon goût, jusqu'à son départ dans l'indifférence presque générale. Elle avait perdu deux de ses enfants, était en froid avec le dernier et n'avait plus aucun ami de son quartier, sacrifié à la salubrité urbaine.

D'elle, il me reste les petits chevaux, ce jeu en bois avec ces pièces en plastique coloré où nous jetions les dés, ceux de la vie qui va : la vie qui débutait pour moi, qui s'effilochait pour elle. Un souvenir incertain, quelques images gravées à jamais dans ma mémoire, une odeur étrange : celle de la petite boîte aux perles huîtrières que je n'ai jamais revue …

Et l'incongruité de la dame, le journal «  le Hérisson » qui était sa seule lecture. Qui lui lisait ce curieux journal ? Comment pouvait-elle encore distinguer ces dessins souvent si douteux ? Ce journal au papier vert m'aimantait. Étaient-ce de vieux numéros qu'elle conservait ainsi ? Je n'en saurais jamais rien. Le Hérisson fut, lui aussi, victime de l'enfermement dans la grande tour. Il disparut à jamais.

J'ai gardé également de la dame quelques ustensiles de cuisine dont une planche à découper qui fera sans doute encore quelques générations. Elle m'avait initié à la gourmandise ; je lui dois d'ailleurs quelques kilos de trop et sans doute, ce regard étrange sur le monde qui m'entoure. Elle n'était pas « de la haute », ma vieille dame des faubourgs ! Les chats ne font pas des chiens, vous comprenez mieux pourquoi je suis ainsi !

Chevaleresquement sien 


 

dimanche 27 décembre 2020

Les cannes à pêche bleues

 

La fabrique de monsieur Raoul




Il est huit heures sur les quais du Thoureil en ce dimanche matin, les brocanteurs s’installent et mon ami Georges, toujours à l’affût de quelques jolis clichés à moins que ce ne fut d’une bonne affaire, tombe en arrêt devant une gaffe de pêcheur (lui qui est un spécialiste de la chose), du modèle justement de celle qu’il avait perdue sur la Loire. Rien ne s’égare vraiment sur notre rivière et tout finit par revenir en ordre.


C’est ainsi qu’il fit affaire et connaissance avec Franck, brocanteur de son état, qui nous narra l’aventure artisanale de son grand-père Raoul. C’est à Angers, derrière la gare que l’homme avait autrefois, une petite fabrique tandis qu’il tenait boutique rue Toussaint dans cette belle ville des bords de Maine. Il était spécialisé dans les cannes à pêche, uniquement celles en bambou. La fibre de verre puis le carbone n’étaient pas encore venus concurrencer la belle et noble matière végétale tout autant que naturelle.


Le bambou provenait des bords de Loire où il était exploité, se plaisant fort bien dans notre climat. Il était alors coupé feuillus, c’est à dire avec branches et feuilles. Le premier acte artisanal consistait à l’effeuillage. Le bambou était enfilé dans une machine qui ébranchait la longue canne. Une sorte de dégauchisseuse en somme. Puis le bois subissait un brûlage avec des tréteaux à gaz afin de lui donner la couleur brune, caractéristique de nos vieilles gaules d’antan.

La découpe suivait. Celle-ci se faisait en fonction de la dimension souhaitée en débitant plusieurs tronçons de tailles voisines (la précision n’étant pas possible puisque ce sont les nœuds qui commandaient la découpe), la dimension des cannes allant de 2 mètres jusqu’à 6 mètres. Chaque tronçon faisant environ 1 mètre. Puis arrivait la mise en place des bagues en laiton qui se déroulait dans un autre atelier. Il y avait là, une sertisseuse qui enserrait des bagues afin d’assurer le montage de la canne, l’emboîtement de la partie creuse dans la partie pleine en bambou.



Le bambou était coupé au niveau des nœuds, c’est là, la partie la plus solide, afin d’éviter l’éclatement du bois. La partie en laiton permettait l’emboîtement de la partie bois qui était elle-même sertie pour la rendre plus solide encore. La canne ne restait pas ainsi, il y avait un souci d’esthétique assuré par une décoratrice qui se consacrait exclusivement à cette activité, tout le montage des cannes se faisant à la chaîne. La femme enroulait finement une ficelle colorée à différents endroits. Le modèle que j’ai sous les yeux, ce matin, dispose d’un joli parement vert, d’autres étaient rouges, bleus ou jaunes.


Les cannes partaient ensuite à la boutique grand-paternelle pour la vente. La pêche à la ligne constituant en ce temps-là un loisir très prisé et pas seulement en bord de Loire. Les Cannes Bleues du patronyme de Raoul ne fournissaient pas la demande. Le grand-père dut confier sa production à la firme Fabri, un grossiste qui vendait dans tout le pays les fameuses cannes en bambou provenant d’ateliers comme celui de Raoul.


Le grand-père abandonna son entreprise pour achever sa carrière professionnelle comme gardien de nuit, le fusil de chasse à la main : autre-temps autre mœurs. Son fils remonta une boîte de cannes en bambou du côté de Perpignan. C’est dans celle-ci que Franck observa le processus de fabrication. Si l’entreprise d’Angers avait disparu, la tradition demeurait dans la famille mais hélas, la fabrique paternelle périclita tout naturellement avec l’arrivée de cannes bien plus légères et plus faciles d’entretien.


D’ailleurs, notre ami Georges n’acheta pas la canne en bambou mais s’équipa d’une canne à Silure en Carbone, bien plus résistante. Même lui tourna le dos à celle qui venait justement de la fabrique du grand-père de notre vendeur. Si ça se trouve, elle est toujours en vente au prix de 20 euros sur les brocantes professionnelles que fréquente Franck : Angers, Montsereau, Saumur et Le Thoureil.


Vous reconnaîtrez le brocanteur à sa barbe blanche, ses lunettes et sa disponibilité. Il vous racontera peut-être l’histoire de son grand-père si vous le questionnez à ce propos. Vous trouverez également, sur son étal, une ancre qui n’est pas de Loire, un héron en plastique, quelques bourriches, une très jolie collection de cannes et des nains de jardin qui ne sortent que lorsque les beaux jours reviennent (je n’ai pas vu de raton laveur) . Naturellement tout un bric-à-brac joyeusement hétéroclite qui fait le charme de la profession.


Chinement vôtre.


 

samedi 26 décembre 2020

Des vies au mouillage

 Les vieux et les autres

 


 

D’abord il y’a les vieux

Assis au bord de l’eau

Qui regardent les bateaux

Ce qui les rend heureux

Se souviennent du bon temps

De leurs folles années

Passées à naviguer

Sur ce bel océan

Ils revoient les amis

Ceux qui les ont quittés

Ceux qui se sont noyés

et non plus de soucis

Se disent que maintenant

Ils seront les prochains

À partir c’est certain

Au pays des gisants

 




Il y a la plus vieille

Celle qu’a perdu son homme

Pour une bouteille de rhum

Une nuit sans sommeil

Est parti pour toujours

La laissant sur le quai

Tandis qu’elle se pâmait

Du plus parfait amour

Lui préféra alors

La grande étendue bleue

La mer et les cieux

De ses côtes d’Amor

N’est jamais revenu

Elle a passé sa vie

Scrutant toutes les nuits

L’horizon et la nue


 

Il y a les oisifs

Qui s’ennuient sur le quai

Qui ne vont plus pêcher

Au delà des récifs

Ils sont pris dans la nasse

D’un métier sinistré

D’une passion oubliée

Dans les rêves d’une barquasse

Ils traînent leur misère

Le regard dans le vague

Riant d’une bonne blague

En buvant une bière

Ils sont privés d’espoir

Cloués sur la jetée

Sans jamais embarquer

Leur avenir est noir



Et puis il y’a Olga

Qui a donné son corps

À tous les gars du port

Les serrant dans ses bras

Pour quatre petits sous

Échangeant leur détresse

Contre une tendresse

Qui ne vaut pas un clou

Quand ils l’avaient séduite

Ils filaient sans un mot

Pour la fille de l’eau

Qu’ils oubliaient bien vite

Elle pleure tous ses baisers

Donnés sans désir

À ces gars du plaisir

Qui l’ont tous méprisée



Des vies au mouillage

Des cœurs sur la cale

La fin du voyage

Leur ultime escale


.

vendredi 25 décembre 2020

Nom de d'là ....

 

Le vin d’ici

 

 




J’aime à gouter le vin d’ici

Que je préfère à l’eau de là

Grâce à lui j’ai beaucoup amis

Quand débouche un Saint Nicolas


Je danse sur des verres à pieds

Enlace tendrement le goulot

Déguste à grandes gorgées

Un délicieux vin au bistrot

Je me délecte d’un godet

Tiré d’une grosse barrique

C’est un gouleyant muscadet

Servi avec des berniques

J’aime à gouter le vin d’ici

Que je préfère à l’eau de là

Je n’ai jamais plus de soucis

Le vin accompagne mon repas


Je m’offre une ou deux chopines

Un sauvignon bien de chez nous

Pour attirer cette coquine

À qui je faisais les yeux doux

La verdeur de ce breuvage

Lui permettant vite d’oublier

Que ce n’est plus à mon âge

Qu’on peut remettre la tournée


J’aime à gouter le vin d’ici

Que je préfère à l’eau de là

C’est ainsi que toute la nuit

je ronflerai dans de beaux draps


Je me dégrise à la bonne heure

Le soleil pointe à l’horizon

Je dois me remettre en labeur

Bien loin de ce tendre jupon

J’en ai l’air hélas à quoi bon

Se faire du mal en affirmant

Je ne suis qu’un vulgaire pochtron

Un gougnafier, un sacripant

 

J’aime à gouter le vin d’ici

Que je préfère à l’eau de là

Et toute ma chienne de vie

Je resterai un vieux gars


J’aime à gouter le vin d’ici

Que je préfère à l’eau de là

C’est hélas à cause de lui

Que j’ai le foie dans cet état 

 


 

jeudi 24 décembre 2020

Comptes de NOËL …


L'addition s'il vous plaît ! 

 




La tradition a du bon pour les tenants du tiroir caisse. Noël est la meilleure affaire de l'année et il y a loin de l'image de la crèche à la réalité absurde de nos débordements de pays opulents. Je n'échappe pas à la folie ambiante, évitant tout juste de tomber dans le délire des achats inutiles, des cadeaux en toc, des objets incertains qui seront revendus dès le lendemain matin sur e-bay.

 

Je me contente comme la plupart d'entre-nous de céder aux plaisirs de la table, profitant bien lâchement de conditions de vie qui nous mettent à l'abri du besoin, contrairement à beaucoup de nos contemporains. Je m'y adonne sans gloire avec une mauvaise conscience que je dissimule dans la nécessité de complaire à mes proches et à mon inépuisable gourmandise.

 

Alors, laissant cette mauvaise conscience aux portes de ce blog, je fais une fois de plus les comptes d'un Noël au chaudron. Le délire consumériste m'a gagné comme tous les autres, je bats ma coulpe et rougis de honte à cet aveu terrible. J'évite pour autant les rayons des super-marchés afin d'avoir une dépense éthique quand d'autres feraient preuve d'une générosité sincère.

 

Pour les mises en bouche, j'ai opté pour les produits d'une ferme piscicole de mon pays. La truite est reine en ce royaume et dans les eaux de la Sange, la maison Ollivier fait des miracles de goût et d'originalité. La nostalgie de l'enfance, le bonheur d'un feu d'artifice buccal font oublier que la note est salée pour des produits d'eau douce.

La mer sera présente avec les huîtres. Elles sont incontournables pour celui qui se targue d'avoir eu une grand -mère écailleuse au siècle dernier. Chacun trouve comme il peut les raisons de ces abus. Et chaque fois que j'ouvre la coquille, j'espère trouver une perle comme le fit parfois cette vieille dame il y a bien longtemps de cela. Mon mareyeur ne m'a jamais rien promis et je poursuis ma vaine quête avec une constante qui me surprend toujours.

Le foie gras fera honneur à ma table et plaisir aux enfants. Le calvaire de ces pauvres bêtes à la hauteur du bonheur que procure ce mets si délicat. Là encore, je trouve producteur local de qualité et ne cède en rien aux produits aseptisés de nos grandes surfaces. Les Besnard se décarcassent pour donner à leur demi-cuit un onctueux à en oublier ses principes.

Le chapon sera la vedette du soir. L'animal n'aura pas perdu son honneur pour rien. Il sera traité avec respect et des légumes anciens. Les bulbes de cerfeuil remplaceront à merveille les marrons indigestes et une purée à l'ancienne nous rappellera à plus de modestie. Tous ces produits viennent du marché, je connais les producteurs et leur fais entière confiance.

Pour les fromages, il en ira pareillement. Le fromage de chèvre vient de Sologne, le fromage de vache de Coullons. Point d'emballage, point de conservateur, de l'authenticité et de la saveur, sans engraisser les affreux géants de l'industrie laitière.

 

Pour le vin, je fais confiance au vins de Loire. L'Auvernat de la grande maison et les vins de l'ami Teissier, grand vigneron devant l'éternel et chantre des vins de Cheverny. Point de revendeurs entre nous, de l'achat au producteur et une relation de confiance indéfectible.

 

Enfin, le dessert une fois encore sera oublié pour ne pas déroger à ma réputation. Je commence bien les choses et ne les termine jamais tout à fait. Peut-être pour ne pas mettre de point final à ce repas, pour oublier que pour la première fois, celle qui faisait une tarte à nulle autre pareille ne sera pas là.

 

Voilà mon compte de Noël, j'en accepte la note et les contradictions. Je ne sais s'il est bon, s'il est juste, s'il est cohérent. Il est ainsi et je vous invite à partager ma table si le cœur vous en dit.

 

Mais venez sans présent ni produits excentriques. Ici l'on mange des produits du pays ! C'est ça qui compte !



Contentement vôtre

 


 

mercredi 23 décembre 2020

Une histoire à danser debout.

 

Rue de la chèvre qui danse …





Il était une fois, à deux pas de l'église de Recouvrance, une rue au nom si joli que j'espère que personne n'aura jamais l'idée saugrenue de la débaptiser au profit du patronyme d'un orgueilleux ou d'un important. Nul ne sait pourquoi elle porte ce nom qui pousse à la rêverie et chacun se prend de l'envie d'inventer une fable pour expliquer son histoire.


La rue de la chèvre qui danse viendrait, si l'on en croit les gens savants et un peu trop sérieux, d'une enseigne d'autrefois, choisie par un habitant pour se démarquer de ses voisins. L'invention et l'originalité étaient alors les meilleures manières de se distinguer en une époque où les adresses demeuraient incertaines.


D'autres aiment à penser que, dans ce quartier marinier, il ait pu y avoir un cabaret pour que guinchent les hommes, partis loin de chez eux, avec des dames qui n'étaient pas toutes farouches. Comme à deux pas de là, il y avait une maison à la lanterne rouge des dames de Bon Secours, nous pouvons imager bien des choses … Pourtant, la dame qui vend ses charmes n'est pas habituellement affublée de la métaphore caprine. L'explication tourne à la queue de poisson.


N'ayant pas d'histoire officielle, je ne vois aucune raison de ne pas en inventer une, à ma manière. Il se peut qu'elle soit un peu tirée par la barbichette ; c'est là le risque avec notre belle anglo-nubienne, d'autant qu'à deux coups de cornes, se trouve la rue des Anglaises … Ne voulant pas en faire tout un fromage, je me lance sans plus attendre dans une aventure pour laquelle, jusque-là, je n'ai absolument aucune idée précise ….


Il était une fois une chèvre qui broutait sur les terrains au-delà des remparts. La demoiselle avait l'humeur chagrine et aimait à donner de la corne à qui venait l'importuner quand elle broutait. Personne pourtant ne lui faisait grief de ce petit défaut car la belle avait une autre qualité qui avait fait d'elle, la mascotte du port de Recouvrance.


C'était une époque durant laquelle arrivaient en ce port bien des bateaux de transport qu'on nommait alors des chalands. Parmi les marchandises qui transitaient à Orléans avant de partir à Paris, il y avait le précieux blé. La ville avait été, dès l'époque gauloise, une plaque tournante de ce commerce et, c'est parce que des négociants romains avaient été trucidés par des rebelles, que Jules, en personne, était venu brûler la ville en 56 avant JC.


De tout cela, notre chèvre ne savait rien. On ne peut le lui reprocher : elle avait fort à faire à brouter chaque jour ses dix kilos d'herbes quand la saison était favorable. Ensuite, il lui fallait ruminer et user de ses quatre estomacs. Il y avait de quoi passer honorablement ses journées. Pourtant, elle ne supportait guère la monotonie de sa vie de chèvre …


Elle n'était pas comme la Blanquette de la fable : elle ne s'imaginait pas qu'ailleurs l'herbe est plus verte. Là n'était pas sa fantaisie de demoiselle. Ce qui la rendait chèvre plus encore qu'elle ne l'était déjà, c'était l'arrivée sur le quai de chalands. Si ces derniers étaient chargés de blé, la belle gambadait sur le pierré pour recevoir de ses amis mariniers quelques poignées de céréales : une gourmandise pour elle. Elle béguetait alors d'une voix chevrotante, si particulière, qu'il y avait toujours une main compatissante pour la satisfaire.


C'est à l'époque des pommes qu'elle acquit la réputation qui la fit entrer dans l'Histoire. Les premières arrivaient de Montjean, puis passaient par notre val de Loire pour s'en aller par le canal jusqu'à la capitale. Notre chèvre était folle de ce fruit ; elle ne pouvait résister à l'appel d'une gourmandise qui lui faisait perdre la tête.


Comment faisait-elle pour reconnaître le chargement ou bien les chalands spécialisés dans ce fret ? On se perd en conjectures et là n'est pas l'essentiel. C'est ce qu'elle faisait alors qu'il faut vous raconter et qui justifie la gloire posthume qui est sienne. Les chalands vous dis-je, ne s'arrêtaient pas quai de Recouvrance, c'est jusqu'à Combleux qu'ils allaient afin d'emprunter le canal d'Orléans.


La chèvre le savait et prenait son élan en une course folle pour, d'un bond magnifique, passer du quai au pont. Les mariniers n'ignoraient rien de la folie de l'animal et prenaient un malin plaisir à passer le plus près possible du bord afin qu'elle arrive à ses fins. C'était ainsi : chacun en aval d'Orléans connaissait la demoiselle et son étrange fantaisie.


Elles mangeait quelques pommes, se rassasiait bien vite car elle avait la prescience du risque d'acidose qui menaçait. Ce n'est pas en agissant de la sorte qu'elle entra dans la légende et rien ne serait arrivé sans un comportement douteux des bateliers. Le bruit avait circulé que la chèvre aimait à se piquer le nez. Il y avait toujours un lascar pour lui offrir un seau d'eau largement mouillé de vin.


Au passage de l'écluse à Combleux, les mariniers remettaient notre chèvre sur le chemin de halage. Le vin avait alors fait son effet et la belle rentrait jusqu'à chez elle en allant de manière inconsidérée, à hue et à dia. Elle tanguait, elle hésitait, comme une fermière qui s'en revient du marché.


Le spectacle était connu de tous. Chacun l'avait repérée sur le chaland de pommes et la nouvelle circulait pour prévenir les curieux du retour prochain de la chèvre qui danse. C'était, avouons-le, divertissement bien innocent. Et comme il y a un bon dieu pour les ivrognes, qu'ils soient humains ou bien caprins, jamais la petite chèvre ne tomba dans la Loire durant ces longs et si chaloupés retours chez elle.


Elle vécut jusqu'à l'âge canonique, pour ceux de sa race, de 33 ans ; preuve s'il était encore besoin de la fournir, que le vin de Loire est excellent pour la santé. Sur ses vieux jours, les mariniers compatissants, tendaient une passerelle pour la prendre à bord. Il se dit aussi qu'ils mettaient de moins en moins de vin dans son eau ; chacun craignant d'accélérer son trépas.


Il n'empêche ; elle rentrait toujours aussi pompette : l'effet placebo sans doute. Quand elle quitta cette vallée de larmes, elle fut regrettée et bien vite, la rue où vivait sa propriétaire, fut baptisée en souvenir de la chèvre qui danse. Voilà l'histoire véridique de cette rue d'Orléans ; à ceux qui s'aventureraient à ne pas croire mon histoire, je n'aurais qu' à répondre seulement : « in vino veritas ! »


Caprinement sien


 

mardi 22 décembre 2020

La dinde et la bûche …

Conte à couteau tiré.

 



    Il était une fois une dinde amoureuse d'un chapon. La pauvre demoiselle avait beau jouer de ses attraits, le fier poulet émasculé ne lui accordait aucun regard. La dinde en perdait son latin et se pensait victime d’un étrange maléfice. Elle, à la crête brillante, au regard de braise et aux formes dodues, comment pouvait-elle se trouver ignorée de la sorte ?

    Elle confia son dépit amoureux à un  bûcheron du voisinage, homme simple et un peu rustre. La solitude et la rudesse de son métier avaient fait de lui un grand naïf. Notre forestier, en homme de la nature ne fut pas surpris qu'une dinde vînt vers lui pour lui l’interroger. La belle se sentit en confiance car dans l’instant, le bûcheron s’en prenait à coups de hache à un vénérable châtaignier. Les gallinacés ne goûtent guère la fréquentation des marrons en cette période de l'année !

    La conversation entre l'homme des bois et la belle prit un tour aimable. Nos deux personnages se trouvèrent des points communs, des passions qu'ils partageaient. La dinde adorait la musique et tout particulièrement la scie musicale, à laquelle elle s'adonnait en amatrice. Le bûcheron, touché par ce clin d'œil de l'histoire, avoua alors qu'il aimait quant à lui, jouer de la cabrette.

    La volaille vit dans cet aveu, l’assurance d’avoir affaire à une homme simple. Qu’il jouât d’un instrument sans bec n'était pas pour lui déplaire ; quelle délicatesse de sa part ! De plus il lui confia qu’il était végétarien, ce qui l’autorisa à poser la question qui la tourmentait tant : « Comment se fait-il que ce Chapon ne regarde jamais les dames ? »

    Le bûcheron fut fort ennuyé. Comment expliquer à une dinde le sort que subissait les chapons au moment des fêtes. Jamais un animal ne pouvait être en mesure d'imaginer que les humains fussent à ce point cruels. Priver un être sans défense, de sa virilité, pour qu’il s'engraisse et vienne garnir la table du réveillon, voilà qui dépasse la compréhension animale ! Il inventa une fable pour justifier l'indifférence du castrat.

    Ne sachant par quel bout prendre la chose, il agit par association d'idées. Auprès de lui, fruit de son labeur, quelques belles bûches s’entassaient. Il en   offrit une à la dame en lui servant une menterie qui venait de lui passer par l'esprit. «  Ma belle demoiselle, votre chapon est un timide, doublé d'un maladroit qui n'a pas osé céder à vos avances pour un prétexte terre à terre. Quand on est de basse-cour, on aime à se percher pour dominer une dame de sa condition. Cela vaut aussi bien pour les gallinacés que pour les hommes ... »

    La dinde le crut quoiqu’il terminât sa longue tirade d’un retentissant rôt. La dame avait mordu  à la fable, le bûcheron s’enhardit à lui servir des fariboles. Le chapon est sujet à presbytie, ce qui lui impose de prendre de la hauteur pour s'adresser à ses pairs. Que le chapon fût ainsi qualifié de presbyte, la demoiselle ne pouvait en rien mesurer l'ironie qui perçait dans ce propos.

    C'est ainsi qu'elle s'en revint dans sa basse-cour, une bûche sous son aile, persuadée que ce promontoire lui permettrait d’obtenir ce qu'elle désirait le plus au monde. Le chapon ne resterait pas de bois quand elle lui offrirait ce perchoir. C'est le cœur battant qu'elle rentra en son poulailler où l'attendait de pied ferme une paysanne armée d'un couteau effilé. La dinde ne vit pas arriver le coup fatal, elle rendit son dernier soupir !

    Elle fut promptement plumée et ébouillantée, la dame avait le repas de Noël à préparer. Notre cuisinière aperçut la bûche qui traînait sur le sol. Se souvenant que c’était la dinde qui portait ce rondin, elle ne se formalisa pas de l'incongruité de la chose. Bien au contraire, c'est de cette coïncidence que lui vint l’idée d’un dessert original pour accompagner la dégustation de la dinde.     

    Ainsi explique-t-on cette lointaine tradition de manger, les jours de fête, une dinde ainsi qu'un gâteau en forme de bûche. Si vous voyez sur cette pâtisserie, une scie et un nain au visage coloré, c'est en souvenir du bûcheron qui n'était pas bien grand ! Je ne vous ai servi que la pure vérité. Il arrive parfois que par des voies détournées, un chapon finisse par engendrer une belle descendance. La sienne fut pâtissière. C'est bien la preuve qu'il ne faut s'étonner de rien. C'est ce qu'on appelle la magie de Noël.

    Nativement vôtre.



Versons une petit lame

  Pauvres couteaux Versons une petit lame Pour tous que nous avons perdus À chaque fois ce fut un drame Ô pauvres comp...