Étrange
manège entêté.
Mais
que m'arrive-t-il ce matin ? Je manque d’air depuis
quelques jours sous le masque. J'ai la tête qui tourne ! Sans force, fatigué, je
suis tout chose. Moi qui pensais l'avoir bien ancrée sur les
épaules, je découvre qu'elle n'en fait qu'à son idée. Une tête de cochon
qui n'a pas de tête, ne peut agir sans raison. Quoique ! La mienne
est indépendante, je la crois avec moi quand elle est
ailleurs.
Il
faut croire que ma tête a mal tourné. À force de se payer ma
tronche, elle a acquis une manière bien à elle de se gausser de
moi, de m'en faire voir de toutes les couleurs. Plus elle tourne,
plus entre elle et moi, le ton monte. Nos échanges prennent alors un
tour assez désagréable. Des prises de bec au belles engueulades,
l'invective s'immisce dans notre tête à tête. Pour mettre un terme
à la querelle, je crie à tue-tête sans jamais atteindre ma cible !
Une
tête pareille, je ne le vous souhaite pas. Vous ne pouvez imaginer
les tourments qu'elle me fait supporter. La diablesse est dure au
mal, elle se moque que je la cogne contre les murs pour la ramener à
la maison ou à la raison. Voilà du reste une contrée qui lui est
tout à fait inconnue. Tête folle, elle vagabonde, virevolte,
s'offre des escapades dans la Lune, marche sur des œufs ou sur
elle-même et me joue de vilains tours de cochon. Je crains que la
dame soit écervelée, la belle affaire que voilà !
Nous
avons parfois des moments d'accalmie. Ma tête se montre alors
aimable, me fait des politesses, opine aimablement à mon approche.
C'est dans ces circonstances qu'elle est la plus retorse ! C'est
qu'elle a une idée derrière elle-même et qu'une fois encore je
serai la victime des ses facéties. Je reste sur mes gardes,
j'attends avec inquiétude ce qu'elle sortira de son chapeau.
Toujours
pourtant, elle me prend au dépourvu. J'ai beau l'avoir pliée,
creusée, piochée, bêchée, baissée, levée, tournée dans tous
les sens pour anticiper son entourloupe, elle a plus d'un tour dans
sa capuche ! Ma caboche se jette à la tête de quelqu'un sans que je
puisse esquiver le coup. Prise de tête, querelle qui tourne au
vinaigre, déluge de grimaces, avalanche de gros mots, la vilaine me
place à chaque fois dans une situation embarrassante.
Je
dois vous avouer qu'elle a la déplorable assuétude entêtante de
s'en prendre à nos amis les turcs. Que faire dans un cas pareil ?
Est-ce parce qu'un jour j'ai voulu lui mettre martel en tête ?
Est-ce une fâcheuse interprétation de ses lointains cours
d'histoire ? Toujours est-il que je n'en mène pas large. Je me
confonds en excuse, je baisse la tête et demande pardon. Trop tard,
le mal est fait, ma mauvaise tête a encore sévi.
Parfois,
il me vient de idées noires (quoique désormais les têtes bien
pensantes voient dans cette expression une réminiscence d’un passé
désastreux). J'ai envie de donner ma tête à couper. Comme elle est
de bois, il doit bien se trouver un menuisier pour remplir cette
œuvre salutaire. L'artisan me regarde, me fixe un prix à la tête
du client. J'accepte volontiers ses conditions, il me tarde de me
débarrasser d'elle. L'homme se met en besogne et satisfait à ma
demande. Je pensais être soulagé, mais les lois du commerce sont
incontournables, il me l’apporte ma tête sur un plateau. J'ai payé
ce service, ma tête me revient de droit.
Alors,
la tête sous le bras, je m'en retourne penaud chez moi. J'ai une
impression curieuse, il se passe quelque chose d'anormal. Dans la
rue, les gens détournent la tête quand je les croise. Certains
tournent de l'œil quand d'autres s'arrachent les cheveux. Je dois
avoir pris la tête des mauvais jours. Je donne ce fardeau au premier
venu. Celui-ci, surpris, la regarde dans tous les sens et finit par
la mettre à l'envers. Il s'en va sans me remercier chargé de ma
tête.
Maintenant
que j'ai la tête ailleurs, elle finit par me manquer d’autant plus
que je ne sais plus où me mettre le masque. Je dois faire amende
honorable pour qu'elle me revienne. Cette fois, je lui ferai un bel
accueil. Plus question de lui tourner le dos. Où ai-je ma tête ?
Retrouverai-je un jour tous mes esprits ? J'en doute et vous laisse
méditer sur cette histoire sans queue ni tête !
Cérébralement
vôtre