mardi 30 juin 2020

La fabuleuse histoire de Piou-Piou.



Mes chants du Coq !



L'histoire que je vais vous conter date d'une époque bien lointaine où les municipalités traitaient avec respect l'instituteur du village. Il avait droit à un logement de fonction pour donner, au cœur de la cité, une place d'importance à ceux qui avaient en charge l'espoir d'une nation.

Les temps ont bien changé, l'instituteur, en se parant du titre ronflant de professeur des écoles, a perdu son lustre et son logement. Mais nous nous écartons d'un récit qui ne doit son existence qu'au prochain déménagement d'un instituteur de campagne qui devait construire sa future demeure après des années passées dans la cour de l'école.

L'homme avait les pieds sur terre et le cœur indéfectiblement attaché à son Berry natal. Il avait aussi la sagesse des gens qui savent prendre leur temps et ne font jamais rien dans la précipitation. On le boutait de son hâvre de paix, il allait construire une petite maison sur le haut de la colline, à hauteur de château !

Mais il ne comptait pas aller si vite en besogne. Un bout de terrain n'est rien si on n'y laisse pas aller quelques poules. Elles donnent des œufs frais et chassent les vipères. Il construisit un poulailler bien avant que de faire les fondations de sa demeure !

Ce choix, qui avouez-le, n'est pas si habituel, allait nous faire basculer dans le drame, le fait-divers, l'histoire sordide. Les enfants ou les âmes sensibles ne sont pas invités à poursuivre leur lecture. La suite pourrait les choquer, leur faire regretter début si prometteur …

Mais pour l'heure, tout va bien. Les poules vivent leur vie de gallinacées insouciantes et gardent le futur chantier. Elles surveilleront l 'avancée des travaux, l'instituteur se faisant bâtisseur prendra encore tout son temps pour se faire nid douillet à portée de volaille.

C'est du côté de sa basse-cour que se déroula l'évènement qui fit basculer notre conte dans le sordide d'une histoire à ne pas mettre dans toutes les oreilles. Quelques poules pondaient et confiaient la garde des poussins à deux d'entre-elles. La chose peut paraître étrange mais les garde-d'enfants décidèrent de laisser sans soin, un poussin qui n'avait pas l'heur de leur plaire …

Le poussin délaissé, vilain petit canard dans un monde de « Gallus domesticus » n'avait que deux jours et sa vie ne tenait plus qu'à un fil. Il ne fallait pas tarder où le pauvre Piou-Piou allait périr dans l'indifférence de ses congénères. La vie est sans pitié dans toutes les cours …

Heureusement l'instituteur avait une compagne attentive aux petits détails de la chose animale. Elle comprit le mortel manège des mégères emplumées. Elle vola sans hésiter une seule seconde au secours de l'orphelin, de ce pauvre poussin mis au ban de cette société pondeuse.
Elle prit sous son aile son Piou-piou, ignorant sans doute qu'on ne s'improvise pas aisément mère-poule, sans quelques rudiments d'aviculture.

Piou-piou quitta la basse-cour pour la cour de l'école. Un choc qu'il supporta aisément, n'ayant trouvé en sa terre natale qu'ingratitude et mépris. Qu'il se trouve ainsi seul volatile en ce lieu, ne le dérangeait guère. Il avait bien d'autres chats à fouetter et d'abord se préserver de la gente féline, bien vite prompte à le réduire au néant.

Pour sa mère nourricière, justement, se posa bien vite les interrogations essentielles voire existentielles ! Comment nourrir un poussin, lui permettre de favoriser sa digestion et lui assurer des chances de survie en autonomie quand il sera plus grand ? Je devine à votre surprise que nous n'eussiez pas abordé la question dans toute sa complexité et j'avoue, à ma grande honte, que j'en aurai fait de même. Mais nous avions à faire à une noble âme qui avait en la matière, des conceptions pédagogiques tout à fait innovantes !

La dame trouva dans le commerce des graines spéciales poussin, l'industrie prévoit tout et se pique de devancer les besoins de chacun. Mais l'information manquait sur la posologie et les précautions à prendre. Nourrir un poussin, s'est s'exposer à bien des contrariétés imprévues comme le risque de le voir se noyer dans un verre d'eau. Il fallut trouver couvercle de confiture pour lui servir de récipient.

Elle se posa la question fondatrice pour la future vie de son protégé. Comment lui apprendre à picorer pour retourner à l'état de nature et remplir son gésier de tout ce dont il a vraiment besoin ? Elle l'initia à cet art délicat sur un carré de terre. Elle tapotait d'un index maternel le sol au rythme, lui sembla-t-il de la poule en quête d'insectes et de vermisseaux.

L'éducation par l'exemple fonctionna à merveille, Piou-piou comprit le message et se mit à compléter sa ration industrielle grâce au fruit de ses propres recherches. Il était sauvé, il n'avait plus qu'à grandir dans la chaleur d'un foyer aimant. Ce qu'il fit avec application et affection. Il s'endormait sur l'épaule de sa mère adoptive avant qu'elle le couche délicatement dans un carton de couche-culotte (une vocation vous dis- je !)

Mais Piou-Piou grandit bien vite. Il fallut changer le carton devenu trop petit. Au second, la mère comprit que son enfant ne pouvait plus rester avec elle. Le Piou-Piou était devenu un beau coq à la Chanteclair, un animal magnifique, capable de se débrouiller seul mais qui venait toujours chercher sa becquée préférée dans les mains de sa sauveuse.

L'instituteur, qui, remarquons-le, brilla par sa discrétion dans les étapes essentielles de l'apprentissage, revint au premier plan. Le coq lui faisait de l'ombre ! Il le prit pour le conduire là où il n'aurait jamais du partir, dans le poulailler de la bientôt prochaine maison. Il n'y avait pas de coq, le vilain petit canard d'hier fut accueilli à ailes ouvertes par des poules sans mémoire !

Mais rien n'est acquis en ce monde de misère et de souffrance. Le bonheur d'aujourd'hui peut devenir le malheur de demain. Piou-Piou ne connut qu'un bref monopole sur sa cour. D'autres rivaux vinrent à maturité et lui disputaient maintenant une hégémonie libertine. Les batailles de coq attestaient d'une rivalité qui venaient troubler la quiétude de ces lieux. Il fallait agir au plus vite.

L'instituteur, homme de décision et de prudence, trancha dans le vif. Il éliminerait les deux coqs superflus et s'offrirait le plaisir gustatif d'un coq au vin. Nous sommes en Berry et il est des plats qui vous font une culture à nulle autre égale …

C'est armé d'une épuisette qu'il alla accomplir son forfait. Il craignait les coups d'ailes et les coups de becs. Pêcheur dans l'âme, il maniait le filet avec dextérité, la suite prouvera que c'était hélas sans réflexion. Deux coqs finirent ce jour-là leur existence insouciante. Le plat fut servi et apprécié et tous les convives. L'histoire se terminait enfin.

Hélas, le drame couvait. Quand deux jours après le gueuleton, la mère rendit visite à son protégé, le coq survivant ne vint pas picorer dans sa main. Elle comprit, horrifiée mais bien trop tard, qu'elle avait mangé comme tous les autres son cher, son brave, son adorable Piou-Piou. Je vous avais prévenu, l'histoire est terrible et sa fin pathétique. La dame en fit une indigestion rétrospective en se jurant bien trop tard, de ne plus jamais manger de coq.

Cette histoire lui reste encore sur le jabot. C'est par un soir de tristesse qu'elle me confia son secret, qu'elle se libéra d'un poids qu'elle ne pouvait plus garder pour elle. Je vous la rends au fil d'une plume, qui je vous le promets, n'est pas celle de Piou-Piou. C'est un hommage que nous lui rendons ainsi !

Gallus gallus domesticussement sien


lundi 29 juin 2020

À l'Auberge de la Marine.



Entre Loire et Mémoire.




Il y a parfois des petits coins de France qui échappent à la folie des hommes, à leur désir de tout enlaidir pour que l'environnement se plie à ce désir irréfragable de gagner toujours plus. Entre Loire et Canal d'Orléans, Combleux est de ceux-là.

La clairvoyance d'un maire qui a refusé d'aliéner la qualité de la vie en son village aux deniers des industriels et autres marchands de sommeil, a maintenu un espace préservé qui réjouit l'œil et la quiétude du lieu..



Combleux se prélasse le long de son canal, de ses ponts piétons, et des ses écluses bourdonnantes. La Loire, majestueuse, encore sauvage, libre encore coule le long du village. Leurs relations ne furent pas toujours paisibles, les colères de la fille Ligère ont laissé des traces sur les murs des maisons, des marques à l'encre rouge pour rappeler ces années noires qui revenaient tous les dix ans : 1846 – 1856 – 1866 de sinistre mémoire.



Au bout du village, le Canal et la Loire s'unissent dans un abandon de grand large. Le fleuve se fait presque mer, il se gonfle et s'ouvre à l'horizon. Qui aime notre Loire reconnaît que c'est l'un des endroits où elle est la plus belle, rebelle et tendre à la fois, sauvage et offerte aux hommes, mariniers cœurs infidèles et mœurs légères.

Les futreaux de nos amis des Escapades Ligériennes attendent paisiblement la prochaine expédition pour des fêtes sincères et de belles bordées entres gens simples. Leur compère Pascal évoque sa vieille mère quand elle entonnait son succès d'antan, celui qui la fit monter sur les planches pour venir en aide à des prisonniers d'une guerre déjà si lointaine. « T'as qu'à Voire ! ». 



Plus loin, vers Orléans la bourgeoise, un mur de pierre détourne les eaux du fleuve pour qu'il privilégie la rive droite, celle de la cité Johannique, des marchands de vin et des faiseurs de vinaigre quand les eaux sont trop basses. Leurs petits enfants désirent maintenant lancer un pont sur ce paysage incomparable, ruiner la paix de cet espace miraculeux au profit de quelques-uns et du dieu automobile.

Pour oublier cette perspective intolérable, l'Auberge de la Marine vous tend sa terrasse et sa salle authentique. Un décor anachronique, une atmosphère entre le cossu et le bon enfant, du rococo et de l'improbable pour que vous vous sentiez immédiatement emportés par les flots de l'émotion et de la gourmandise.

Ne manquez pas la friture de Loire, un souvenir incertain qui vous revient immédiatement en plein palais. Les temps de votre enfance, des barbotes endiablées, des patouilles dans l'eau troublée par ses nuages de sable qui piégeaient le frétillant goujon, l'ablette et le gardon. Arrosez la mise en bouche de ce petit Menetou du père Clément, vigneron qui bine encore sa vigne et vous propose un sauvignon minéral et fruité à la fois. 


Les sauces qui accompagnent viandes et poissons fleurent la douceur de notre région, les saveurs y sont pastel, les couleurs tendres, les goûts exquis. Elles se parent de légumes qui deviennent fête, vous saucerez l'assiette jusqu'au dernier quignon de pain. Le merveilleux rouge de sancerre de Monsieur Crochet, libérera ses parfums de cerise en vous mettant en joie.

N'oubliez pas la fromagée pour rester en terre d'ici, visitez la carte des desserts si l'aventure salée et poivrée vous effraie en fin de repas. Vous reviendrez, j'en suis certain pour une promenade le long du canal et une nouvelle halte à la marine …

Combleusement vôtre


dimanche 28 juin 2020

Le roman de l'été …


Lire à la plage.



Lire sur la plage ce n'est pas tout à fait un acte ordinaire. Il faut se poser bien des questions, s'imposer plus encore des gesticulations pour trouver position adéquate. Il n'est pas facile de garder le fil de son histoire tant les sollicitations sont diverses, les perturbations nombreuses et les obstacles de toutes natures. Tout demande réflexion y compris le format du livre que l'on risque de trouver ensablé avant que de l'avoir vraiment parcouru.

La position du lecteur sur le silice est un supplice à nul autre pareil. Il doit se prémunir du vent qui est un adversaire redoutable dès que le livre se donne des allures de grand. Le soleil quant à lui, est un opposant d'une toute autre dimension. Il demande équipement ou adaptation. Le lecteur en position dorsale qui souhaite se parer de l'astre solaire avec son seul livre prend le risque d'une crampe aux bras et d'un mal au cou qui pourrait lui faire passer l'envie de la relecture.

Les mieux équipés fourmillent d'idées pour tenir le choc ; parasol cela va de soi mais aussi coussins pour surélever la tête, cette partie du lecteur qu'il convient de préserver pour que la lecture demeure utile. Chaises pliantes, basses, trous dans le sable, monticules ou toute autre installation qui donne confort et repos au dévoreur de lignes sont autant de réponses possibles qu'il vous appartiendra d'étudier.

Il faut choisir ensuite un livre pour l'usage que vous avez à en faire en ce lieu. Il y a le roman de façade, celui qui vous donne l'apparence de la sagesse à des fins pas toujours avouables. Derrière un gros bouquin à la couverture cartonnée, il est aisé de mater les voisines petitement vêtues et les lunettes ici s'expliquent par votre occupation supposée.

Il y a aussi des erreurs à ne pas commettre, des dissonances fatales comme celle de vouloir à tout prix lire un roman fleuve au bord de l'Océan. Le roman de gare vous laisse sans entrain quand la série noire suppose que vous ayez un bronzage à la hauteur. Le roman policé doit rester dans le sable les jours de grand vent et le roman rose aime par dessus tout les premiers jours de vacances.

Le livre n'est pas tout, il faut choisir son auteur. Il y a celui qui évoque immédiatement quelque chose aux curieux qui ne manqueront pas de savoir ce que vous lisez. Il faut adapter votre choix à la sociologie de votre environnement estival. Dans tous les cas, le » best-seller » est recommandé pour une conversation facile avec un inconnu de passage. Des choix plus osés risquent de vous couper de vos semblables, Céline, Kennedy Toole ou Salman Rusdie ne sont pas en haut de la vague médiatique.

Il faut aussi prendre la précaution de montrer que vous avancez dans votre ouvrage, que votre marque page progresse de jour en jour. Faire tout un été avec le même roman ne vous sert guère. Changer tous les jours n'est pas plus efficace. Vous devez simuler une lecture moyenne, avancer à petits pas et ne pas oublier de tourner régulièrement une page.

J'oubliais le conseil essentiel, celui qui vous évitera toute raillerie superflue. Prenez votre compagnon de papier dans le bon sens. Le conseil peut paraître trivial mais il arrive parfois que nos lecteurs horizontaux se trompent tout occupés qu'ils sont à bien autre chose que ce à quoi ils feignent de s'adonner.

Enfin, le journal n'est nullement indiqué dans les régions océaniques. L'exercice est rigoureusement impossible avec les grands formats. Même lire l'Équipe relève de l'exploit. Rabattez-vous sur les magazines et attendez si possible, le passage d'une caravane publicitaire qui vous fournira en ouvrages inutiles. Prenez garde néanmoins au nom de la revue, certaines vous classeront dans des catégories particulières bien avant que vous compreniez pourquoi l'on rit sous cape derrière vous.

Lire sur la plage, finalement ne s'improvise pas et si vous vous munissez d'un imprimé simplement pour avoir un peu de constance, il n'est pas rare que la stratégie se retourne contre vous. Ne cherchez pas l'extravagance ou bien l'incongruité, allez piocher du côté des meilleures ventes, vous ressemblerez ainsi à ceux que vous voulez imitez !

Quant au lecteur authentique, jamais il ne lui viendrait à l'esprit de mettre un grain de sable dans son précieux compagnon Il conservera son livre sur sa table de chevet ou près d'un bon fauteuil sans risquer de lui faire souffrir les outrages d'une météo à ne pas mettre un livre dehors cette année.


Lecteurement vôtre.

samedi 27 juin 2020

Le complexe de l'escargot.


Les chevaliers de l'asphalte.


Ils sont nés avec la première voiture de leurs parents. C'était l'époque où l'on se reconnaissait au travers d'une appartenance tribale. Il y avait les « Renault », esprit cocardier et volonté farouche de défendre le salariat Français. Il y avait les « Citroen » jouisseurs et aventuriers tout à la fois, notables exigeants au cœur bien accroché. Il y avait les « Peugeot », gens à l'esprit pratique, intransigeants sur la solidité du moteur. Il y avait encore les « Simca », les aventuriers de la carrosserie et des expérimentations esthétiques qui finirent par tuer la marque.

Ils ont grandi au biberon des sorties routières. Grands raids impromptus pour aller voir la mer, rallyes touristiques pour découvrir châteaux et monastères, promenades digestives en un temps où l'alcootest ne clouait pas les convives sur le canapé. L'automobile permettait de découvrir un pays qu'on sillonnait de long en large sur ces routes départementales si chères à Jean Yann.

Ils ont travaillé dur pour à leur tour s'acheter ce premier volant, gage de liberté et d'indépendance, symbole d'une prospérité qui se pensait éternelle. Ce n'était pas pourtant un temps où Papa et Maman se dédouanaient de la crise d'adolescence par un véhicule pour solde de tout compte des déboires adolescents.

Ils ont connu les premières vacances au camping. Ils partaient dans une voiture chargée au-delà du raisonnable. Ils se retrouvaient un mois durant pour tout oublier aux Flots Bleus. Ils se juraient qu'ils passeraient bientôt à la caravane quand ils auraient fini de payer le chalet idéal.

La prospérité d'alors leur a octroyé tous ces bienfaits dont ils privent maintenant les générations ultérieures. Ils changèrent régulièrement de véhicule, ce marqueur idéal du niveau social. Ils ont ainsi pris goût au confort, ont laissé la caravane à demeure aux Flots Bleus, installé une véranda et quelques fleurs pour venir bien plus souvent.

Les années ont passé, leurs enfants ont grandi et se sont lassés de la promiscuité du camping. Ils ont essayé les locations, les vacances à l'étranger, les croisières avec un animateur vu à la télé, le club méditerranée et ses phantasmes impossibles. Quand la retraite arriva dans la force de l'âge, ils se sont offert un superbe camping-car, une maison mobile pour retrouver leur jeunesse dorée.

Ils s'imaginaient sillonner les routes de France et cette Europe qui vous tend les bras. Mais le véhicule est fort encombrant, le gaz-oil dispendieux et les réflexes moins affûtés. Ils laissèrent les joies de la véritable découverte, de l'itinérance et des adresses rurales à des plus jeunes qui se contentent d'un confort moins ostentatoire.

Ils se firent rats de bitume. Toujours à la recherche d'un joli coin d'asphalte pour se retrouver entre pareils. Les mastodontes sur-équipés se posent au milieu de parking sous le soleil. Antennes paraboliques, porte-scooters, douches et commodités intégrées, tout le confort et beaucoup plus si affinité.

Du matin au soir et du soir au matin, ils vivent dans ou à côté de leur cher véhicule, cette maison mobile, coquille creuse des temps nouveaux. Ils ne le quittent jamais des yeux : la mer est à deux pas, par delà la dune, ils devinent le bruit des rouleaux.

Pour une sortie exceptionnelle, ils abandonnent leur emplacement, plient table et transats. L'aventure au détour de la route, encombrement maximal et manœuvres hésitantes. Ils provoquent bouchon et algarades et se jurent qu'on ne les y reprendra plus. Ils s'en retournent à un autre joli coin de parking …

Le bitume pour unique horizon, ils profitent de cette retraite que leurs enfants ne connaîtront pas. Je ne sais pas s'ils sont touchés par la détresse des plus jeunes, mais les voir insouciants et immobiles ne me les rend guère sympathiques.

Gastéropodement vôtre.


vendredi 26 juin 2020

Ce petit jet insignifiant …



Le condensé de haine !



Poursuivant mon œuvre d'expectoration des petits et des grands travers de cette société, j'ai décidé de vous tenir le crachoir sur un sujet visqueux qui, phénomène de mode ou mouvement de fond, se répand de bouche à oreille dans notre belle jeunesse pour concerner dès maintenant 60 % d'entre-eux au grand désespoir des adorateurs de l'héritage de notre grand Louis Pasteur.

Il est bon de revenir aux sources de cette histoire, l'hygiène taillait sa route dans les esprits civiques d'alors. Le microbe venait de faire une entrée tonitruante dans les représentations populaires et l'aversion qu'il provoquait alors, avait eu raison des habitudes fâcheuses des chiqueurs, priseurs et autres 'expectoreurs' de cette belle époque.

Les effets se firent sentir immédiatement et les âmes nobles n'avaient plus besoin de se pincer le nez lorsqu'elles sortaient en public. La tuberculose allait tirer une révérence que l'on pensait définitive et seuls les fabricants ou les lustreurs de crachoirs faisaient la lippe.

Le glaviot était devenu « persona non-crachat » de nos cités. On gardait pour soi ses viscosités verdâtres, purulentes et mousseuses. D'énormes mouchoirs à carreaux recueillaient les derniers spécimens de quelques irréductibles incontinents. Le malotrus qui se faisait prendre devait payer une amende, cracher à ce bassinet fiscal qui calme les plus récalcitrants.

Les cours de récréation pouvaient accueillir les joueurs de billes, l'hygiène ne laissait personne indifférent et les plus sceptiques savaient maîtriser leurs humeurs. Le respect était la règle et l'on ne risquait pas la plus petite infection naseau-comiale.

Puis, tout a changé. Les hordes de cracheurs sont sortis du bois, plus exactement de la télévision. La jeunesse, toujours à la recherche de modèles, a vu les gros plans des retransmissions sportives. L'idole en plein effort crachait, il fallait l'imiter pour devenir son égal.

Ce nivellement par le bas eut des effets immédiats. Le sol s'est retrouvé orné de ces ronds abjects, les cours de récréation redevinrent des lieux parfaitement infréquentables et la tuberculose retrouva un peu de vigueur et quelques milliers de poumons à infester.

Bien-sûr, il est conseillé de garder le silence sur cette marque formidable de la décadence que nous subissons. Les beaux esprits déclarent avec la fierté de celui pour qui un bon mot remplace toute réflexion de fond « Que celui qui n'a jamais craché me jette la première glaire ! ». Les tenants de la mondialisation et de l'angélisme réunis ne veulent pas stigmatiser des pratiques qu'ils qualifient de culturelles.

Le phénomène se généralise, les compteurs s'affolent et on estime à quinze mille tonnes ces jolis postillons qui jonchent notre Planète chaque jour. Le mollard a des adeptes dans le monde entier, la contagion gagne et bientôt, nous serons submergés par un tsunami de cette salive du mépris et de l'indélicatesse.

Il y a bien plus qu'un problème d'imitation ou de pratique ancestrale, le crachat a une signification sociale forte : « Je vous crache à la figure, je vous dénie le droit de vivre dans cet espace qui m'appartient ! ».

Ces glaviots, ces gluaux, ces postillons, ces sécrétions visqueuses, ces expectorations buccales ne sont rien d'autre que l'expression d'un lexique défaillant pour exprimer sa détestation de l'autre. Faute de mots, ce merveilleux condensé de haine, vous est envoyé en pleine figure. On s'exprime comme on peut, mon bon monsieur, surtout quand la soupe est mauvaise à en cracher dedans !

Crachotement vôtre


jeudi 25 juin 2020

Le dernier cas d'école.



Pris dans la toile …



Depuis le temps qu'ils en rêvaient, ils ont fini par en venir à bout. Adieu ma communale et ses parfums d'antan, adieu le collège et son ultime mélange social, adieu les lycées, leurs troublions éblouissants.

L'éducation nationale est morte ce matin, le dernier établissement a été fermé. Le mammouth a rejoint ses congénères, jadis disparus, dans l'armoire aux souvenirs d'un temps où les gens se parlaient, se mélangeaient, se touchaient aussi.

La chose débuta subrepticement, insidieusement, en catimini presque ! Dans les années 2010 le gouvernement d'alors avança ses pions, mit en chantier un travail souterrain de sape des fondations du colosse. Il trouva alors bon nombre de collaborateurs naïfs et corruptibles pour semer les ferments de ce virus mortel qui tua la pauvre bête déjà affaiblie par la perte de ses repères historiques.

En ces années-là, l'informatique dominait déjà ce monde de la communication à distance. Pourtant, nos écoles étaient assez mal équipées, le parc était défaillant, mal entretenu et surtout particulièrement inapproprié. Il faut dire que les gouvernements successifs n'avaient vu dans la chose numérique qu'une belle et juteuse occasion de détournement de fonds. Des achats obligatoires, des procédures verrouillées et des choix particulièrement discutables avaient transformé l'équipement informatique en vache à lait politique.

Puis une idée de génie naquit dans un esprit retors. L'informatique et internet allaient permettre de mettre à mort ce pachyderme ancestral. Les premières plates-formes internet naissaient de ci de là à l'initiative de professeurs apprentis sorciers. La hiérarchie poussait alors ces initiatives tandis que toutes les autres étaient mises sous le boisseau. Les tenants de la modernité se félicitaient de la pertinence des choix financiers, ils ne voyaient pas plus loin que le bout de leur clavier.

Les élèves, oh merveille des merveilles, pouvaient communiquer directement avec leurs professeurs par mail pour rattraper un cours, demander un conseil, solliciter une validation. Ce lien direct de l'enseignant à l'enseigné était rétabli en dépit de l'état de guerre larvé qui régnait dans ces lieux de non droit.

Dans le même temps (concomitamment disaient alors les derniers lettrés de cette corporation sur le déclin), d'autres participaient aux premiers espaces de travail. Cours à distance, suivi par mail, relation exclusivement numérique, la machine infernale était en route. Les professeurs d'alors bénéficiaient de seize semaines de congés, il fallait financer de longs voyages, des vacances onéreuses pour découvrir le monde alors que le pouvoir d'achat en dépit des manipulations statistiques) continuait de chuter dans la fonction publique comme partout ailleurs.

Des professeurs désargentés se précipitèrent sur cette manne financière, contribuèrent à alimenter ces officines mercantiles qui monnayaient convenablement des cours et des interventions. Petit à petit, les marchands se constituèrent une immense bibliothèque virtuelle de travaux, de schémas, de leçons et d'exercices. Ils coupèrent vite les ponts avec leurs rédacteurs du savoir.

L'État put alors mettre en place le deuxième acte du plan. L'enseignement se déroulerait dorénavant à distance. Finis les transports scolaires, les vidéos surveillance, la restauration scolaire et la maintenance de ces établissements fermés trop de jours dans l'année. Pendant quelques temps encore, les enseignants travaillèrent derrière les écrans pour répondre aux interrogations de leurs anciens élèves. Puis, on confia cette tâche à des plateformes informatiques dans des pays tiers d'un quart-monde plus économique.

Des zones résistèrent quelques temps. La police mit un terme aux agissements dangereux des enseignants du réseau SLECC et leur conseiller pédagogique fut incarcéré sans ménagement pour activités subversives et immorales. Cette fois, s'en est fini, il n'y a plus d'école en France …

Prophétiquement vôtre 


mercredi 24 juin 2020

Le petit vélo d'Alphonse Picard

Cycles Helyett, une histoire ligérienne.



    Alphonse Picard, un garagiste de Sully-sur-Loire, vendait des cycles Peugeot quand il lui prend l’envie de voler de ses propres ailes. L’homme aimait sortir du cadre et n’était pas de ceux qui   restent les deux mains sur le guidon. Il construit sa première bicyclette vers 1900  l’Arcatène  et se lance également dans l’organisation de courses régionales. C’est le plein essor du sport avec notamment beaucoup de canotage sur les bord de Loire.

    En 1910, notre entrepreneur sullylois achète un bâtiment dans le faubourg Saint-Germain pour installer des ateliers mécaniques. Avec ses deux fils Gabriel et Raymond, il fabrique ses premiers modèles auxquels il convient de donner un nom. C’est parce que la femme de Raymond apprécie une opérette de Boucheron et Audran du nom de  « Miss Helyett » que la firme prend ce nom ! "Helyett" devient ainsi la raison sociale de l’entreprise et une marque déposée en 1919. La Manufacture des Cycles Helyett-Picard frères est née.

    Après la grande guerre, la bicyclette a le vent en poupe. Le succès commercial favorise le développement des ateliers d’Alphonse. Suivant le modèle d’Auguste Poulain, c’est par la publicité que la marque se fait connaître surtout en s’appuyant sur les succès des sportifs avec les vélos de course maison.

    En 1933, Raymond Picard finance une équipe professionnelle avec les vedettes de l’époque. Nous pouvons citer René Vietto un grimpeur d’exception. Des succursales sont ouvertes à Caen en 1924, Tours en 1930 et Orléans en 1935. Les cycles Helyett sont vendus dans le monde entier. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, 12 000 vélos sortent des usines des bords de Loire chaque année.

    Les Allemands, mauvais joueurs, les réquisitionnent. Après la guerre, le champion José Beyaert  remporte la « médaille d'or Course en Ligne » aux Jeux olympiques de Londres en 1948 et en 1952. À Helsinki, le jeune Jacques Anquetil  remporte une médaille de bronze sur un vélo Helyett. Il passera professionnel et sera fidèle à la marque de ses débuts.

    Raymond Picard meurt en 1940, suivi par son épouse Gabrielle en 1945. Leurs fils reprennent la production qui atteint alors 1 200 vélos par mois. L’usine de Sully donne du travail à plus de 100 ouvriers. Malgré les succès de Darrigade et d’Anquetil sur le Tour de France sous le maillot Helyett, le succès massif des vélos à moteur et la démocratisation de l’automobile mettent à mal ce fleuron local. L’usine Helyett est contrainte de fermer en 1962.

    L’usine a connu ses heures de gloire dans les années 1950 et 1960 en remportant notamment trois Tours de France avec Jacques Anquetil sous le fameux maillot vert flanqué du nom de la chicorée Leroux. Estimée des connaisseurs et de ceux qui ont vécu l'âge d'or des courses cyclistes, Helyett est longtemps restée méconnue du grand public après la disparition des Établissements Picard en 1962, malgré une notoriété auprès des spécialistes et un palmarès qui la place parmi les plus grands noms avec Alcyon, Bianchi, Gitane ou Peugeot.

    Le nom est tombé dans l’oubli durant de longues années, seuls quelques sullylois et des nostalgiques de la petite reine se rappelaient ce nom. La marque renaît au début des années 2000, d'abord par l'édition en 2009 de maillots de cyclisme inspirés des fameux designs vert et blanc, puis avec la parution en juin 2017 de « Dans le progrès, toujours en tête », le livre hommage qui retrace son histoire. En 2017, un entrepreneur s’est lancé dans la construction de cadres de vélo de course fabriqués en France sous cette marque.


Retrouvez cette histoire dans le livre : 
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mardi 23 juin 2020

Un équipage à la dérive.

Le martinet noir




    Il était une fois un bateau de Loire transportant des personnages importants. Gens de haute lignée, ils allaient de châteaux en châteaux pour faire la fête et grands banquets. La vie leur était facile : ils avaient à leur service des valets et des écuyers, des larbins et des serviteurs. Ceux-là faisaient la route à pied ; l'embarcation n'était réservée qu'à cette belle noblesse en mal de sensations fortes.

    La Loire est la rivière royale, rien de plus naturel en somme qu'elle ouvrît son lit à un tel équipage. Seul le voiturier et ses trois hommes d'équipage représentaient ce tiers-état, bien peu respecté par une noblesse de cour aux mœurs dissolues et au mépris hautain. Si nous étions sorti de l'époque féodale, la vie n'était pourtant pas facile pour les manants et les croquants, les gens de peu et de modeste condition.

    Plus d'une fois, lors de ce voyage aux mille et une étapes, les matelots avaient serré les poings et les dents pour se retenir de répliquer à une invective ou un propos insultant. La jeunesse et l'insouciance des passagers ne justifiaient en rien de manquer ainsi de respect à ceux qui s'arqueboutaient sur la bourde ou la piautre pour le bon plaisir d'oisifs dédaigneux.

    L'équipage soufflait quand la méchante troupe descendait du bateau pour aller envahir une belle demeure et y célébrer durant quelques jours des agapes sans fin. C'était alors au tour de la domesticité de subir les avanies des capricieux insouciants. Chacun avait sa part de misère ; seuls les   barons, ducs, princesses et vicomtesses à la particule ridicule ignoraient ce que signifiaient la peine et le labeur.

    Pourtant, vers le 25 avril de cet an vraiment de grâce, tout bascula pour eux. Alors que les martinets noirs étaient revenus dans le ciel ligérien pour annoncer le retour des beaux jours, un étrange personnage fit son apparition sur les rives de la Loire. L'homme était un de ces sages qui vont sur les chemins. Celui-ci avait dans son allure une dignité et une prestance qui imposaient le silence à son approche.

    Il était grand et mince, avait le visage clair et des yeux si sombres qu'ils semblaient vous percer au plus profond de l'âme. Il acceptait les offrandes qu'on lui faisait spontanément. Ni mendiant ni pèlerin, ni trimard ni vagabond, il se dégageait de sa personne comme une aura mystérieuse empreinte de mysticisme. Il avait toujours, depuis ce jour où on  le vit apparaître, un martinet noir  accroché à son épaule. Ce détail, plus que tous les autres, intriguait et inquiétait ...

    L'homme avait remarqué le manège de la troupe frivole. Il avait entendu les plaintes de ceux qui avaient eu à subir ses exigences et ses remarques acerbes. Que ce soit sur terre ou bien sur l'eau, jamais son comportement n'était conforme à ce qu'on était en droit d'attendre de jeunes gens, tous issus de bonnes et nobles familles. Quand cette jeunesse détestable passait à proximité de lui, son compagnon ailé se mettait à pousser  des cris perçants qui vous glaçaient le sang.

    Plus il suivait le parcours de ces bouffis d'orgueil , plus cet étrange personnage désapprouvait leur inconduite, leurs frasques et leurs propos vis-à-vis de ceux qui les servaient. Un mois durant, en effet, au cours de leurs déplacements, en les observant attentivement,  il avait compris que rien ici-bas ne leur ferait atteindre à la sagesse et à la modération. Il guettait son heure. Le martinet noir, désormais, à leur approche, s'envolait et continuait à crier en tournoyant autour d'eux !

    C'est une escale au château de Chaumont sur Loire qui servit de prétexte à son intervention. Les muscadins et leurs damoiselles énamourées s'étaient conduits plus mal encore qu'à l'accoutumée. Ils avaient fait une partie de colin-maillard dans le jardin de cette agréable bâtisse qui domine la Loire de sa grâce magnifique. Nul de ces histrions n'avait songé à admirer, de là, une vue aussi imprenable que magnifique.

    Leur jeu terminé, les étourdis et insouciants nobliaux avaient laissé le jardin en un désordre indescriptible. Les jardiniers avaient bien voulu protester alors qu'il en était encore temps mais le plus intrépide des noceurs avait souffleté un vieil homme en guise de réponse.  La joyeuse troupe avait achevé ensuite de détruire ce qui restait encore debout.

    Notre mystérieux marcheur des rives avait assisté à la scène. Il avait rasséréné les ouvriers de la terre, leur promettant qu'un jour, leur jardin serait le plus beau du pays, qu'il y viendrait des milliers de visiteurs admirer un spectacle unique et sans cesse renouvelé d'année en année. Pour l'heure, leur peine allait avoir sa vengeance : il se disposait à punir comme il se doit ceux qui foulent au pied le travail des hommes et celui de la nature ….

    L'homme était si sentencieux en prononçant ces paroles qu'aucun des serviteurs du château ne songea à les mettre en doute . Ils se turent et reprirent leur  travail, certains que le curieux prophète allait leur rendre justice d'une manière qui serait appropriée à l'injure qu'ils venaient de subir. La suite leur prouverait qu'ils avaient eu raison de lui faire confiance.

    Quand, après deux jours de beuveries et de banquets, la bande scélérate voulut remonter à bord de son embarcation, elle trouva, couché en travers de la passerelle, ce grand escogriffe que personne n'avait  même remarqué jusqu'alors. Le plus impertinent de ces lurons voulut le rudoyer de quelques coups du pommeau de sa canne. Aussitôt, le martinet noir vint tournoyer autour de lui, cherchant manifestement à lui crever les yeux.

    Le muscadin essaya  de se défendre avec sa canne mais, comme par magie, elle se transforma en un serpent redoutable qu'il lâcha immédiatement dans un cri d'effroi. Toute la compagnie se dispersa ; le courage n'étant pas la vertu première de ces écervelés irrespectueux. C'est alors que l'homme couché se leva, appela le martinet qui cessa d'agresser le piteux vicomte et vint se poser sur son épaule.

    Le calme manifestement revenu, ceux que la peur avait éparpillés s'étaient à nouveau regroupés, se sentant manifestement plus forts quand ils faisaient masse. C'est encore le vicomte discourtois qui prit la parole, demandant sur-le-champ à ce manant de laisser le passage à ses compagnons ainsi qu'à sa noble personne. Le ton était sans appel, piquant et dédaigneux comme il convient à un puissant de s'adresser au menu fretin.

    Le grand échalas au martinet perché s'écarta, un sourire sur le coin des lèvres et, dans les yeux, des éclairs qui auraient dû alerter des êtres plus attentifs aux autres. La troupe monta gaillardement sur le vaste chaland pour se rendre à l' étape suivante. L'équipage faisait grise mine : il n'était pas ravi, c'est le moins que l'on puisse dire, de retrouver ces maudits !

    C'est alors que le personnage, s'adressant aux mariniers et à leur facteur d'un ton qui n'admettait aucune contradiction, leur ordonna de descendre ; ce qu'ils firent sans sourciller. Il y avait dans l'ordre comminatoire de cet inconnu ce je ne sais quoi d'indéfinissable qui exige l'obéissance sur le champ.

    Alors, d'un coup de talon, il repoussa la passerelle, libéra les dernières amarres et d'une voix de tonnerre, les bras tendus vers le ciel, l'homme proféra des paroles qui résonnent encore sur la Loire. « Vous qui ne respectez rien ni personne,  vous qui vous pensez au-dessus des hommes et de la nature, je confie votre destinée à la Loire et à son bon vouloir. Malheur à celui ou celle d'entre vous qui voudra descendre du navire avant que le martinet n'ait posé le pied sur la rive. Je vous le confie, il sera votre ange gardien, si je puis le nommer ainsi. Bon vent et rendez-vous au quatre cents diables si vous êtes encore de ce monde ! »

    Le martinet alla se percher au sommet du girouet. Il considérait d'un air méprisant ses nouveaux compagnons dont aucun n'avait songé à regarder comment allait la manœuvre sur un tel bateau. Les dés étaient jetés : ils devaient apprendre ou bien périr au premier obstacle venu. La peur est souvent bonne conseillère et ils comprirent bien vite comment guider leur grande embarcation.

    Ils n'étaient pas arrivés à Amboise, étape suivante de leur périple des châteaux et des fêtes, que le maniement de la bourde et de la piautre n'avait plus de secrets pour eux. C'est au terme d'un accostage des plus réussis, pour des débutants, que la folle troupe aborda les quais de la cité. Le fameux vicomte, toujours le plus prompt à se mettre en avant, se moquant éperdument de la recommandation du sinistre personnage, sauta gaillardement sur le pierré  avant la fin de la manœuvre. Le martinet étant encore sur la vergue : il n'avait manifestement pas respecté la malédiction du vagabond.

    Dans l'instant où il mit pied à terre, le pauvre garçon tomba en poussière ! Ainsi, à la stupeur générale de ses acolytes, il s'avérait que les propos du maître du martinet n'étaient pas des paroles en l'air. Nul ne souhaita vérifier à son tour la véracité de la menace. Il fallait que l'oiseau quittât son perchoir et allât se poser sur le quai …

    Pour être de grands personnages ils n'en étaient pas moins d'une inculture totale en ce qui concerne les habitudes des animaux comme de toutes les choses de la nature. L'éducation dans un palais ne permet pas de se familiariser avec son environnement ; aucun d'eux ne savait que le martinet ne va jamais à terre.

    Ils eurent beau lui lancer du pain, l'appeler, l'amadouer ou le menacer, l'oiseau volait et revenait immanquablement se percher le plus haut possible pour échapper aux plaintes des matelots d'occasion. Les trois jours de la fête, ils les passèrent  à quai, loin des agapes et des musiciens. La menace était trop redoutable pour tenter le diable.

    Ils partirent d'Amboise ; le redoutable pont de Tours les attendait. Personne n'avait souhaité monter à leur bord ; ce qu'il était advenu du vicomte avait suffi à effrayer le plus redoutable marinier. Ils devaient se débrouiller seuls et espérer que dans la ville de Saint Martin, le martinet allait se décider à se dégourdir les pattes.

    Il y a de la chance toujours pour la canaille. Le bateau franchit l'obstacle sans encombre. Puis, voulant accoster en aval de celui-ci pour espérer enfin sortir de cette prison aquatique, nos pitoyables héros comprirent alors que se poser sur la berge le nez au courant n'était pas la bonne procédure. L'expérience ne s'acquiert que dans la nécessité : ils le découvraient à leurs dépens. Tout ce savoir marinier ne leur était pourtant d'aucune utilité : ils ne pouvaient pas faire commerce sur un navire dont il est impossible de sortir.

    À cette escale, une fois encore, le martinet resta sourd à leurs plaintes. Perché ou bien  volant en l'air, l'oiseau  ne posait jamais les pattes sur le sol. Cette fois encore, il fallut repartir sans avoir pu parcourir les rues d'une ville, pourtant si accueillante. Un rendez-vous se présentait à eux dans la forteresse de Langeais. La fille aînée de la duchesse était à bord et elle espérait pouvoir retrouver sa chère mère.

    Au pied du château, le martinet avait pris son envol pour se poster sur les créneaux d'une tour. La fille de la duchesse n'y pouvant plus tenir, crut que cela équivalait à poser les pattes à terre. Contre l'avis de ses camarades, elle descendit de leur prison flottante. Elle connut dans l'instant le sort terrible du vicomte. Elle se volatilisa sous les yeux d'une mère qui se ne remit jamais d'un tel chagrin. Non, le vagabond ne les avait pas trompés : son maléfice était des plus redoutables.

    Les pauvres comparses repartirent, la mort dans l'âme et ainsi, d'étapes en étapes, ils se sentirent de plus en plus englués dans un piège mortel. Le martinet, toujours en l'air, ne se posait jamais. Ils étaient condamnés à une mort lente, sur un bateau qui serait leur tombe. Heureusement pour eux, dans leur malheur, les braves gens dont, il y a peu, ils moquaient sans honte ni mesure, leur faisaient parvenir des paniers de victuailles …

    Le temps passa, le bateau allait d'étapes en étapes dans une avalaison insensée. Pourquoi ne restait-il pas en place ? C'est un mystère qu'il ne nous appartient pas de comprendre ici. C'est au premier août que le navire doubla Paimbœuf et  laissa derrière lui notre Loire. C'est aussi en ce jour que le martinet rejoignit ses congénères pour sa longue migration annuelle. Étrange coïncidence que ne remarquèrent même pas les malheureux, qui n'étaient plus que l'ombre de la joyeuse troupe du départ.
   
    Que se passa-t-il ensuite ? Nul ne le saura jamais. Ce fut le 25 avril de l'année suivante que le martinet retrouva le navire perdu au milieu des flots. Un silence terrifiant l'accueillit. Plus aucune trace  des jeunes gens insouciants d'alors. Perdus à jamais, ils avaient préféré la disparition dans les eaux profondes de l'Océan, à la malédiction du vagabond.

    Le martinet n'en fut pas surpris et s'envola dans l'instant pour rejoindre son maître. Quand il vint se poser sur son épaule, il lui fit comprendre en quelques cris aigus que la sentence était accomplie. L'homme n'en fut ni heureux ni soulagé. Il savait que cette aventure ne servirait jamais de leçon et qu'il retrouverait encore bien des fois sur son chemin des humains arrogants et méprisants à l'égard des plus humbles.

    Il lui faudrait encore, des siècles durant, punir ceux qui dépassaient les limites de la bienséance et du respect. La menace du martinet n'avait jamais infléchi  les plus vilains. Il le savait mais continuait son chemin car telle était sa mission qui risquait de ne jamais connaître de fin.

    Si vous êtes de ceux qui risquent de déclencher le courroux du vagabond au martinet, si vous avez un peu d'humanité, ne le contrariez pas et apprenez à voir dans ceux que vous prenez pour des marauds, des sacripants et des foutriquets, vos semblables en humanité. Vous ne deviendrez alors jamais homme politique et vous ne vous en porterez que mieux !

   
    Scélératement leur.


lundi 22 juin 2020

L'ancre de Loire …



Une bien longue histoire



Il était une fois une pièce essentielle à la navigation. Elle était si importante que sur certains navires, les capitaines la faisaient bénir et s'en remettaient à Saint Nicolas pour l'usage de cet objet de miséricorde. Pour être plus tranquilles, les marins en prenaient plusieurs à bord. De son bon usage, souvent, dépendaient leurs vies. L'ancre, car c'est naturellement d'elle dont il s'agit, a toujours été l'ultime sécurité de l'équipage.

Ne jetons pas la pierre aux marins antiques qui firent bien des essais et de nombreuses tentatives avant de mettre au point l'ancre que nous connaissons tous. Ce sont d'abord de gros cailloux, percés d'un trou qui firent tant bien que mal cet usage. Non seulement, il fallait éviter de l'avoir dans sa chaussure mais bien souvent ce lest n'était pas très efficace. La pierre roule au fond et ne s'accroche à rien.

De plus malins allièrent alors la pierre et le bois. D'une forme pyramidale et allongée, le lest était percé en son sommet pour y fixer le cordage et à sa base de deux orifices pour y glisser des branches qui allaient offrir des points d'appui dans les profondeurs. L'idée faisait son chemin tandis que l'embarcation était ainsi à poste.

La pierre venant à se briser, on chercha à peaufiner l'assemblage bois-minéral en une combinaison judicieuse. Nos ingénieux devanciers firent feu de tout bois. Il fallait bien s'arrimer au fond, de grosses branches fourchues firent l'affaire. On y fixait une pierre pesante et l'ancre remplissait son glorieux office. Bien vite on passa aux doubles fourches et nos premières ancres à jas ressemblaient de loin à leurs lointaines héritières.

Le métal s'imposa à tous comme une évidence. Si les bateaux restaient de bois, le fer, le cuivre ou le bronze vinrent apporter de la solidité à l'assemblage si précieux. Des clous furent utilisés pour remplacer les liens de cordes, des feuilles de métal vinrent solidifier les parties des bras qui pouvaient ainsi mieux pénétrer dans le sol.

Les premières ancres toutes de fer sont visibles sur la tapisserie de Bayeux. Mes ancêtres Vikings avaient une fois encore un temps d'avance sur ceux qui subissaient leurs assauts. L'astre et les « manes » étaient en place, l'ancre d'alors ressemblait comme deux gouttes d'eau à celles d'aujourd'hui. C'est dans le détail que se fit alors la différence au fil des siècles …

Sur la Loire, c'est un certain Octave François, grand forgeron devant l'éternel qui apporta le pas décisif à notre navigation ligérienne. Sous l'impulsion de Colbert, les forges du nivernais tournaient à plein régime et livraient sur la côte des ancres marines qui armaient nos glorieux navires de la Navale. Les forges de Cosnes sur Loire, Imply et la Chaussade étaient les meilleures du Royaume.

Le fer circulait sur la Loire, c'est ainsi que les moines de Fomorigny avaient cherché à rouler les mariniers en taxant le poids du fer à l'estime et toujours en leur faveur. Mais ceci est une histoire déjà contée. Ne perdons pas de temps en route avec les mesquineries de nos péages et occupons-nous de la fameuse ancre de Loire.

Le premier mouvement de nos mariniers fut d'utiliser les ancres qui étaient ainsi forgées avec amour pour les navires de haute mer. Octave fut de ceux-là car il aimait aussi à naviguer sur la rivière pour son plaisir tout autant que la livraison des ancres qui devaient aller jusqu'à Nantes.

Notre brave Octave utilisait alors, comme tous ses camarades, une ancre en tout point identique à celles qu'on livrait aux marins de l'océan. L'organeau, ce gros anneau au bout du jas permettait qu'on y fixe une lourde chaîne. Les ancres étaient de taille conséquente et d'un poids certain. Il fallait que la chaîne et le cordage aient une masse analogue …

La verge était aussi haute qu'un homme et les deux becs de l'ancre étaient des pieux redoutables. Si dans l'océan les fonds sont conséquents, dans notre Loire, le niveau est variable et souvent bien bas. Une ancre fichée dans le fond peut bien vite devenir un obstacle redoutable pour celui qui navigue dans ses parages.

C'est ainsi qu'Octave avait jeté l'ancre et s'en était rentré chez lui vaquer à sa forge. Quand il revint quelques semaines plus tard, il se trouva en butte à un procès. Un marinier furieux qui avait déchiré une bordée contre l'ancre de notre ami avait saisi la prévôté.

Octave, de se faire ainsi sonner les cloches et vider sa bourse pour une bourde que n'importe quel marinier aurait pareillement commis se mit à réfléchir à la manière d'avertir ceux qui naviguaient quand une ancre dormait au fond. L'idée lui vint de mettre un signal visuel au-dessus de ce piège redoutable. Pour évoquer la fonction de ce signal visuel, il le baptisa sonnette.

Lui fallait encore trouver une manière de fixer le cordage et le flotteur de sa sonnette. Après bien des essais infructueux, il s'emmêla les cordons en se fixant à la manille, fit des nœuds pas très malins en s'accrochant à l'organeau, il décida d'ajouter un second anneau à son ancre marine. La cincinelle était née. On se demande encore aujourd'hui pourquoi il lui donna un tel nom. Mais personne ne lui en fit reproche tant son idée valait son pesant de fer.

Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous nos ponts. Octave François est tombé dans l'oubli. On découvrit même depuis peu que bien avant lui et bien loin des rives ligériennes, des hommes avaient songé à ce double anneau. C'était l'ancre de Nemi qui a droit à l'antériorité. Nous n'en ferons pas une question de principe. L'ancre de Loire avait désormais les siens et pour se distinguer un peu plus encore des marins de mer, on dessinait deux ancres enlacées sur les vêtements des mariniers de chez nous.

Pour renforcer encore leur particularisme, nos lascars qui avaient bien des penchants inavouables représentèrent toujours ces deux ancres inclinées de manière symétrique. C'est ainsi que les mariniers d'hier comme ceux d'aujourd'hui, sur notre Loire, ne font jamais rien comme les autres. C'est bien la seule vérité qu'il faut retenir de cette histoire qui ne fera pas couler beaucoup d'encre !

Ancrement vôtre.

dimanche 21 juin 2020

La dame aux dés d'argent !


La boîte à ouvrage s'est refermée pour toujours.





Bernadette nous a quittés au crépuscule de la plus longue journée de l'année. La vie lui a fait le dernier cadeau, de s'en aller sans vraiment trop attendre. Elle qui depuis longtemps voulait rejoindre celui qui s'était éteint il y a déjà trente et un ans, son cher époux; notre père, votre grand père que vous n'avez jamais connu.

Tout a commencé en 1922, dans un pays de cocagne, un monde d'enfance qu'elle ne quittera jamais. L'affection des siens, de cette famille soudée autour d'une terre de Beauce qu'il fallait travailler. Un père vénéré comme un véritable Dieu, une mère courage qu'elle suppléait pour élever ses deux frères et ses trois sœurs. Ainée des filles, sa vie sera vouée au service et au travail.

Elle n'eut guère le temps de se consacrer à l'école. Elle avait tant à faire pour tenir la maison. Bien vite elle se mit à manier l'aiguille et débuta un apprentissage à Oucques la Joyeuse auprès d'une couturière qui lui traça sa vie. Même si elle ne termina pas sa formation, elle avait tout appris et gardera sa vie entière cette adresse inimitable de l'aiguille qui court sur une grande variété d'étoffes.

De la Haie Malterre à la Joignière, la famille a vécu au rythme des travaux de la ferme. Une guerre mondiale est venue perturber le cours des choses pourtant si tranquilles. Robert et Ness, deux réfractaires au travail obligatoire en cette Allemagne honnie, s'y sont cachés, partageant les peines, les travaux et la pitance, en ces temps difficiles. L'un d'eux eut sa préférence et le gars Robert épousa Bernadette.

De cette union secrète naquit un peu vite peut-être, votre tante Jacqueline. Le jeune couple a connu les débuts difficiles de la reconstruction avec le départ vers Sully sur Loire où il s'installa. Il ouvrit pignon sur rue. L'après-guerre était un temps hostile, les restrictions, la désolation et pourtant, une solidarité sincère soudaient ceux qui avaient échappé au chaos..

La boutique s'agrandit au fil des reconversions. Le bourrelier qu'on payait une fois l'an se fit sellier. Il devint par la suite matelassier et l'expansion aidant, devint tapissier. Bernadette suivit le mouvement, du matin au soir, elle était à son ouvrage. Cent fois sur le métier, elle créa des merveilles, merveilles de patience et de précision ; couvre-pieds en duvet et double-rideaux soyeux.

L'aiguille courait sur le tissu et la ville entière venait converser auprès de la couseuse accueillante. Elle abandonna un temps son travail pour donner sur le tard, un frère et une sœur à Jacqueline qui trouva un jeune homme pour l'aider à pousser la voiture d'enfant. Le premier arrivé des deux tardillons causa à Bernadette bien du tracas et des ennuis de santé qui allaient l'accompagner tout au long de sa vie.

Bernard et Christine profitèrent pourtant des années dorées. Un commerce prospère, une vie plus facile, la première télévision et la première auto. Une estafette qui devint La terrible pour sillonner la route. Un camping Car avant l'heure qui nous permit de découvrir la mer et retrouver le compagnon de cachette du côté de Fougères.

C'est le travail qui tenait Bernadette. Jamais inoccupée, elle s'activait de l'aube au crépuscule sur l'aiguille ou la serpillière. Elle était de ces femmes qu'on dit d'intérieur. Nul loisir, nulle sortie, le labeur était toute sa vie et le restera jusqu'à la fin.

Elle eut la douleur de perdre trop tôt son Robert. Avant qu'il n'atteigne la soixantaine, le cœur lui manqua. Elle dût garder le cap, conserver la boutique, faire bonne figure dans ce magasin bien trop grand. Elle a tenu courageusement plusieurs années, loin de ses enfants. Mais le commerce déclinait, cela ne pouvait plus durer. La mort dans l'âme, elle abandonna cette immense bâtisse, porte de la ville historique.

Elle eut alors le bonheur de sa vie. Ses petits-enfants arrivèrent dans la ronde. Ils allaient donner un sens à cette dernière partie de son existence qu'elle terminera à Saint jean de Braye.

La rue des œillets remplaça le boulevard du Champ de Foire. Au creux de sa maisonnette, elle reçut ses petits-enfants. À chaque problème de santé, de garde ou de sortie nocturne, elle se faisait nourrice bienveillante, grand-mère gâteau et mamie affectueuse mais un peu trop soucieuse.

Sa vie se régla aux rythmes de sa descendance. Travaux de couture en premier lieu pour eux mais aussi généreusement offerts à tout le quartier, les amis des amis, le rugby de son fils et tous ceux qui passaient par-là. Le stock inépuisable de la boutique sullyloise permettait des miracles,
l'ingéniosité de maman étant sans pareille.

Elle aimait réunir la famille Duraton chez l'un de ses enfants avec Jean Marie, Jeno et Anne leurs maris et femme. Et par dessous-tout, son plus grand bonheur par ordre d'entrée en scène :
« Tristan, Xavier, Lucille, Marie et Héloïse »

Les aléas de santé jalonnèrent son parcours. Il fallut refaire les deux hanches et les articulations du pouce usées par les travaux d'aiguille. Les prothèses succédèrent aux coups durs. Elle se faisait alors apprécier par sa gentillesse de tout le personnel des cliniques et des maisons de repos où elle séjourna souvent.

Tant bien que mal, elle se remettait au travail. Seule dans sa maison, elle tenait le cap et gardait le sourire pour tous les visiteurs en quête d'un menu service de voisinage. Pour les siens seulement, elle montrait parfois triste mine quand les douleurs dominaient sa volonté fragilisée par cette ombre profonde qu'on nomme dépression. Le quotidien se faisait morose le temps d'un nouveau traitement.

L'action la remettait en selle. Un service, des travaux de couture, le repas dominical pour ses petits enfants lui permirent d'égrainer les ans pour ne jamais rester à ne rien faire ! Son quotidien se peupla de personnes serviables qui chaque matin partageaient ses confidences et son incontournable part de gâteau au yaourt. Elles s'offraient une pause au milieu de leurs missions ménagères. Bernadette était hospitalière pour toutes celles qu'elle appelait « ses filles ! ».

Entourée elle le fut même si elle était, parfois exigeante. Elle trouva ses bâtons de vieillesse, sa famille resta à ses côtés et dans sa maisonnette, elle termina sa vie.

Sa santé déclinait, elle s'offrit son unique véhicule. Un escalier électrique pour monter se coucher. Chaque jour néanmoins, elle s'activait au-delà du raisonnable, le balai à la main ou dans son petit jardin. Aucun nettoyage ne la faisait reculer, même si, elle l'avouait bien souvent :
« Je ne peux plus courir …. ! »

Les pauses sur son fauteuil Voltaire étaient plus nombreuses. Le souffle court et les douleurs diffuses préfiguraient l'issue douloureuse. Elle n'eut plus le cœur d'attendre que ses petits enfants lui offrent le bonheur de devenir arrière grand-mère. Il lâcha au premier jour de l'été, cette saison qu'elle redoutait tant pour de multiples raisons !

Nous n'aurons jamais plus ses pommes de terre sautées ni ne retrouverons le rituel de la boîte à ouvrage ouverte pour des travaux d'aiguilles en fin de repas. C'est un point final qui se noue aujourd'hui et l'heure est venue hélas, de lui dire « Adieu ! »

À Ma Mère que par un curieux mystère je n'ai jamais su appeler maman …

SON FILS

samedi 20 juin 2020

21 juin 2020 : La dé-fête de la musique ...


La musique en questions



Faut-il se creuser la tête pour trouver un accord mineur ?
Parvient-on à s'accorder quand on est brouillés ?
Un chef d'orchestre est-il comparable à une direction assistée ?
Une note peut-elle être salée ?
Le piston a-t-il bénéficié d'un coup de pouce ?



La clef des chants est-elle ouverte ?
Est-ce de bon ton de chanter faux dans un chœur ?
Peut-on montrer du doigt un accord majeur ?
Est-on totalement certain d'une oreille absolue ?
Existe-t-il un salaire plancher pour les solistes ?



Une violoncelliste risque-t-il la prison ?
Faut-il sortir le triangle en cas de fausse note ?
Le professeur de tuba a-t-il automatiquement les palmes académiques ?
Le cornet reste-t-il de glace lors d'un fortissimo ?
La portée fera-t-elle des petits ?



Les chansons militaires se chantent-elles toutes en canon ?
Comment ce virtuose a-t-il pu tomber dans ce comma ?
Existe-t-il un trafic sur les cuivres ?
Un chef au piano peut-il être un demi-queux ?
Peut-on provoquer des répercussions en demandant un bis à un groupe de percussions ?



Que collectionnent les ensembles philharmoniques ?
Staline a-t-il vraiment joué de l'orgue ?
Un clairon peut-il se mettre en drapeau ?
Faut-il mettre sa main devant sa bouche pendant une quinte ?
Peut-on jouer une tierce dans le désordre ?



Que fait-on quand la tonalité a été coupée ?
Le timbalier a-t-il de la contenance ?
Faut-il rentrer les hautbois en prévision de l'hiver ?
Peut-on rester dans la mesure quand on est à contre-temps ?
Est-il raisonnable d'avoir un instrument à touches dans un orchestre de chambre ?



Que risque-t-on à jouer de la viole en réunion ?
Peut-on avoir la pêche avec un filet de voix ?
Comment mettre une quarte sur la table de la guitare ?
La valeur attend-elle le nombre des portées ?
Comment se comporter lors du dernier soupir ?



Dans une église, faut-il placer le saxo près de l'autel ?
Peut-on revenir sur scène après une fugue ?
Un musicien débutant peut-il se noyer dans une embouchure ?
L'harmonie supporte-telle la discorde ?
Le canard vient-il de la flute à bec ?



Peut-on faire un pain avec un mi ?
L'opéra bouffe se dirige-t-il à la baguette ?
Le canard préfère-t-il l'orgue de Barbarie ?
Le premier mouvement est-il toujours le bon ?
Est-il facile de se partager des partitions ?



Il était une fois Combleux

  Combleux et Rosalie      Elle s'appelle Rosalie. Cette gamine est la seconde fille d'un couple de paysans. L'homm...