vendredi 31 janvier 2020

Dans les pas de l’homme sage.


L’avers et le revers.





Il était une fois, une époque où les humains tiraient de la nature les leçons essentielles qui leur permettaient d’avancer la tête haute ou bien de choisir en connaissance de cause le versant obscur. L’enseignement était alors une simple transmission, un moment de partage et de réflexion qu’un vieillard offrait en créance à un enfant. Point d’argent dans l’héritage mais une belle et simple philosophie de la vie qui se recevait par le cœur.

L’enfant écoutait l’ancien. Ce temps était alors celui du respect et du mélange des générations. La parole avait encore une valeur : elle était la bibliothèque et le véhicule de la sagesse. Les sirènes de la modernité n’avaient pas encore détourné les plus jeunes de ce bien incomparable que constituent les expériences accumulées par toutes les générations précédentes. C’était une époque d’un passé révolu …

En ce temps-là, l’ancien prenait le plus jeune par la main et allait sur les chemins de la terre. Marcher n’était pas encore un sport ou une hérésie : c’était le temps de la discussion et de la connivence. L’un et l’autre avançaient tout en devisant gravement. Les mots pouvaient alors suivre le rythme des pas pour faire leur chemin, profondément, dans la conscience de l’enfant.

L’ancien dit au gamin : « Regarde la rivière. Son eau est la source de toute vie. Elle nous apporte l'élément indispensable à toutes les espèces et aux plantes. Elle est bienfait et beauté, nous permet d’aller loin sur le fleuve. Pourtant, quelquefois, elle apporte mort et désolation, destruction et danger. Il en va ainsi de toute chose sur cette Terre et c’est à toi de toujours démêler le bien du mal dans ce qui t’entoure ! »

Le gamin ne soufflait pas, il ne haussait pas les épaules. Il écoutait gravement le discours de son aïeul. Il savait qu’il avait beaucoup à apprendre de lui. Il était en mesure d’écouter mais plus encore de retenir ce qu’il lui disait. La mémoire était en ce temps-là, l’outil de la connaissance et le véhicule de la sagesse.

Le vieux continua : « Le feu est, quant à lui, le double et le contraire de l’eau. Naturellement, l’homme, spontanément, redoute cette bête sauvage qui dévore tout sur son passage. Il a pourtant su trouver le moyen de le dompter pour se réchauffer et préparer les aliments. C’est ainsi que jamais rien n’est entièrement mauvais ni totalement bon. »

Le petit souriait. Il savait tout ça et aimait la manière dont l’ancien lui parlait. Il puisait dans ses paroles l’énergie qui ferait de lui bientôt un adulte : un être responsable de ses actes et de ses choix. La vie s’ouvrait à lui et il lui appartenait d’en assumer la difficulté et la grandeur, la complexité et la beauté.

Le vieil homme passa alors devant des colchiques. « Regarde ces fleurs. Elles nous avertissent de la fin de l’été. Elles sont belles, elles nous attirent et pourtant elles recèlent en elles un poison mortel. Il ne faut jamais se fier aux apparences, certains êtres sont enjôleurs : ils te font de belles risettes et sont capables des plus terribles trahisons. D’autres sont au contraire sévères, froids et distants. Ce sera sur eux que tu pourras t’appuyer quand tu seras à la peine. »

L’enfant avait déjà remarqué cet étrange paradoxe. On l’avait mis en garde bien des fois et il s’était brûlé les doigts à suivre des beaux parleurs qui n’étaient pas toujours aussi fiables qu’on pouvait le supposer. La route qui s’ouvrait à lui était semée d’embûches ; il serait bien délicat de trouver les bons appuis. Le chemin serait toujours glissant et incertain en toute circonstance. Il l’avait compris au travers d’expériences malheureuses et de grandes désillusions.

Le vénérable vieillard poursuivit son discours. Il tenait fermement la main de l’enfant, voulant sans doute lui transmettre bien plus que des mots. Le plus jeune sentait une chaleur inhabituelle dans sa paume de main ; il se pensait traversé d’un flux mystérieux et bienfaisant. Il acceptait avec confiance ce curieux phénomène qu’il ne comprenait pas vraiment.

« Les animaux n’échappent pas à la règle de la dualité. Ne les classe pas les uns dans les utiles et d’autres dans le camp des nuisibles. Seuls, ceux qui cherchent uniquement à préserver leur intérêt , se permettent ainsi de condamner des êtres qui ne font que tenir leur place dans la nature. Chacun y a sa mission, son rôle et sa raison de vivre. Vouloir interférer en cela c’est jouer les apprentis sorciers. »

Le petit, cette fois, sembla ne pas saisir la force du propos. Il se retourna vers ce beau visage de cire et le questionna : « Grand-père, tu ne vas pas me faire croire que le loup qui s’attaque à mes moutons quand je les garde dans le pré, qui pourrait s’en prendre à moi si la faim le tenaillait, est un animal qui a sa place dans notre pays. Je trouve que les louvetiers font bien de le chasser et de lui tendre des pièges. »

Le vieux eut un sourire qui plissa son visage. « Tu répètes un peu trop facilement ce qu’on veut te faire croire. Que sont quelques moutons perdus quand le loup régule l’équilibre de nos forêts et dévore les gros cervidés quand ceux-ci sont malades et capables d’infecter leurs congénères ? Quand ils ne seront plus là, les cerfs, les chevreuils, les daims proliféreront et bien plus grands seront les dégâts pour les hommes. »

L’enfant comprit alors que toute chose avait un avers et un revers. La vie se jouerait parfois de lui lançant au hasard la pièce pour déterminer de quel côté elle tomberait. Il lui appartenait de ne pas avoir à laisser faire le destin. C’est lui qui devait être maître de ses choix. C’est ce que son grand père désignait souvent sous un étrange vocable qu’il n’avait pas toujours compris : «Le libre arbitre ».
Le soir à la veillée, il avait souvent entendu la plus vieille du village dire ces propos qui aujourd’hui lui revenaient en tête avec plus de netteté. « Chacun de nous a en lui deux loups qui se livrent bataille. Le premier représente la gentillesse, la bonté et l’amour. Le second porte en lui la peur, l’avidité et la haine. Dans la rude bataille qu’ils se livrent, celui qui l’emporte est toujours celui que nous nourrissons le plus ! »

Il venait de comprendre. La longue promenade prenait fin. Il embrassa tendrement son grand-père, courut voir la vieille femme pour la remercier, elle aussi. La vie s’ouvrait devant lui et il savait désormais quelle responsabilité était la sienne …

Les années passèrent ; l’enfant devint un jour ce vieillard qui voulait éclairer la route de son petit-fils. Il fit comme l’avait fait son aïeul. Il le prit par la main et voulut le conduire en bord de Loire. L’enfant grommela. Il n'aimait guère marcher. Il consentit à suivre son grand-père pour ne pas encourir les foudres de ses parents. Au détour de la maison, il se mit un casque sur les oreilles. Le vieux n’y voyait plus grand chose, il ne s’aperçut de rien.

Ce que le vieil homme avait à dire se perdit sur les berges de la rivière. L’enfant n’entendit rien de ce qui avait été enseigné ici même, soixante-dix ans plus tôt. Le monde avait bien changé depuis et les porteurs de parole sont désormais condamnés à parler dans le vent. D’autres ont pris le relais. Sont-ils bons, sont-ils mauvais ? c’est à vous de vous faire votre opinion. Jetez la pièce en l’air, vous aurez la réponse, à la condition qu’on lui permette de retomber. Elle pourrait tout aussi bien finir dans une poche et vous laisser sans réponse …

Moralistement vôtre.


jeudi 30 janvier 2020

La politesse du cœur.




La courtoisie fout le camp.
 
 


    Autrefois, la noblesse du cœur se traduisait par un comportement emprunt de générosité et de délicatesse vis-à-vis de ses pareils. Un individu, pour être honnête aux yeux de ses semblables, devait être porteur du talent social de la civilité. Aujourd'hui, dans nos cités, sur nos routes, dans les entreprises, dans les écoles ou dans les rues, ce noble sentiment est presque perçu pour un anachronisme improductif, inutile et parfaitement déplacé.

    La courtoisie, puisque c'est d'elle qu'il est question, était parvenue à s'émanciper des effets de cour, des aménités de classes et des courbettes de componction pour s'étendre à toute la population d'une société où chacun avait sa part de considération et voyait en l'autre son compatriote. Je vous parle d'un temps où l'individu ne se déterminait pas par une appartenance religieuse, un train de vie, une tribu vestimentaire, un groupe ethnique ou un clan idéologique.

    Contrairement à l'interprétation abusive des admirateurs du mari de la chanteuse, courtoisie n'a pas pour étymologie la juxtaposition de deux termes : « court et toise ». Bien trop de gens extrapolent et font, de cette merveilleuse qualité, l'affreuse capacité de considérer son semblable à l'aune d'une taille de référence : l'un de ces  innombrables marqueurs sociaux qui désormais nous distinguent, nous séparent en segments socio-professionnels, nous classent , nous compartimentent, nous catégorisent selon nos parcours scolaires, spirituels, culturels et surtout financiers.

    Cette approximation lexicale justifierait le mépris dont usent à loisir ceux qui se sont élevés dans notre société par la seule vertu de l'argent et qui toisent avec condescendance ceux qui n'ont pas le même train de vie. Elle peut tout autant expliquer les regards de haine que portent aux mécréants, ceux qu'une foi quelconque fait planer au-dessus des pauvres miséreux qui se refusent à croire en la transcendance.

     La courtoisie est cette  politesse raffinée qui, spontanément, fait de l'autre l'égal de sa propre personne, sans la moindre considération vaseuse, pompeuse et fallacieuse. Nul  besoin de connaître son prochain pour lui offrir  cette reconnaissance qui ne tient compte ni de la fortune ni de la réputation ni de l'origine pas plus que des croyances. Nul besoin  de  juger, jauger, évaluer  au préalable !  La courtoisie ne se mesure pas !

    Les insultes à l'affabilité sont nombreuses et le lieu de l'expression sublime de tous ses contraires n'est plus le seul espace routier. Si cette qualité, issue de la chevalerie,  n'avait sans doute pas supporté le passage au cheval-vapeur - la voiture étant vite devenue le réceptacle idéal de la grossièreté,  de la goujaterie, de l'égoïsme rustre- l'évolution de l'espèce a franchi, depuis longtemps, les limites de ce cadre, pour faire du piéton un malotru ordinaire.

    Croiser un humain est désormais une aventure risquée pour peu qu'il soit différent de vous. La taille, l'âge, la provenance, la vêture, la démarche et bien d'autres critères encore, font que vous serez ignoré, méprisé, insulté ou bousculé. Les chances d'être salué s'amenuisent de jour en jour ; la probabilité d'une agression verbale ou physique augmentant de manière inversement proportionnelle. Les risques explosent si vous avez l'idée saugrenue de vous aventurer dans un espace sur lequel un groupe humain a fait main basse .

    Même nos chers marchés sont devenus une mine de  grise mine. La multiplication des files d'attente permet à certains virtuoses de l'irrévérence de multiplier les occasions de discourtoisie. Des retraités, forcément pressés d'en finir, qui doublent, interrompent une commande pour demander, sur le champ, un prix pourtant ardoisé ou retrouvent leurs jambes pour «sauter » un client. Des gens importants qui passent là , simplement pour se faire voir et qui s'exaspèrent de cette insupportable promiscuité. Ils traversent du regard cette plèbe goguenarde : ces gens du peuple, ces gens de si peu..

    D'une manière quasiment systématique, c'est la file d'attente : la queue, le mal absolu. Juste retour des choses diront les tenants de l'à-peu-près. Triste incivilité de la bande, de la foule qui attend et doit en supporter d'autres qui entravent ce droit inaliénable à la ruse. On  se bouscule, on se marche sur les pieds ou les spatules, on rejoint un éclaireur opportun, on bloque un groupe rival pour favoriser les siens ; on ne se regarde pas, on se parle pas, on triche !

    Descendre d'un métro ou d'un tramway est devenue une opération guerrière. Face à vous, un mur de futurs passagers si pressés qu'ils ne pensent même pas vous laisser sortir. Ils vous barrent l'issue. Pire même, ils vous passent sur le corps pour entrer avant que vous ne puissiez esquisser le moindre mouvement de fuite. Ne vous aventurez pas à un sourire ou à bonjour : la ville est devenue un champ de bataille ! Face à vous, une horde innombrable d'ennemis potentiels ….

    L'art de bien vivre ensemble, cette amabilité générale, cette convenance des bonnes manières, cette aménité bienveillante a beau  multiplié ses synonymes ad libitum, elle se cogne désespérément à l'immense variété des grossièretés sociales, des impertinences comportementales que notre vocabulaire moderne a su synthétiser sous le vocable explicite de « Connerie ! ». Ce terme générique regroupe tout ce que nous sommes devenus, façonnés que nous sommes par une société qui divise, sépare, distingue, fragmente, émiette à loisir.

    Ne désespérons pas de l'humanité cependant ; des gens se lèvent de-ci de-là sur la toile pour élever le débat et refuser toutes nos bassesses, pour relever cette toise et sourire à tous leurs semblables. La Fraternité est inscrite sur les frontons de nos institutions, il est grand temps de lui redonner ses lettres chevaleresques. Commençons, dès aujourd'hui, par nous dire bonjour dans la rue. Voilà bien un geste révolutionnaire qui pourrait, à moyen terme, faire vaciller un système qui se nourrit de nos divisions.

    Courtoisement vôtre



mercredi 29 janvier 2020

Sur la route

Sur la route

 

J'ai largué les amarres
Un matin plein d'espoir
J'ai suivi les copains
Vers de nouveaux chemins
Trouvé d'autres ailleurs
Des jours enfin meilleurs

J'ai aboli mes doutes
Abandonnant en route
Mes chagrins,  mes regrets
A jamais oubliés
J'étais  homme nouveau
Soulagé des fardeaux

Le rêve en mes chaussures
J'allais à l'aventure
Je marchais au hasard
En espérant un  phare
J'ai sorti la grand voile
Pour suivre mon étoile

J'ai trouvé des cailloux
Laissés par d'autres fous
Ils m'ont tendu la main
Moi j'n'espérais plus rien
M'ont dit de poursuivre :
Mon rêve va survivre ...

Ne cesse de marcher
Suivant ma destinée
Vent pousse moi toujours
Je cherche un grand amour
Mes semelles ont des ailes
C'est pour aller vers elle

J'ai largué les amarres
Un matin plein d'espoir
J'ai suivi les copains
Vers de nouveaux chemins
Trouvé d'autres ailleurs
Des jours enfin meilleurs


mardi 28 janvier 2020

Sans tes souliers …


Rêve éveillé

 

Ami quitte tes souliers
Accepte ce jeu enfantin
J’ai envie de te guider
Vers un étrange destin

Tu va me suivre ainsi
En gardant les yeux fermés
Dans un merveilleux pays
Où l’on croise lutins et fées
Tu écouteras sans bruit
Ce que je vais raconter
Simples Bonimenteries
Venues d’un monde à rêver

Tu en seras le héros
Un gentil personnage
Descendu de ton bateau
Au milieu du voyage
Pour sauver la belle Margot
Et son précieux pucelage
Que de vilains saligots
Voulaient prendre en partage

Tu deviendras un marin
Partant à l’aventure
Vers l’Océan Indien
Après une nuit de biture
Sur un curieux parchemin
Tu posas ta signature
Mettant en jeu ton destin
Car tu es de bonne nature

Tu croiseras un vizir
Qui t’offrira d’être l’amant
En une seule nuit de plaisir
Des princesses de l’Orient
Puis quand tu voudras partir
Tu connaitras les tourments
Tu devras alors pâtir
D’un effroyable châtiment

Tu émergeras plus tard
Dans une forêt étrange
Poursuivi par des renards
Qu‘une fringale démange
Ce n’était qu’un traquenard
Fomenté par des anges
Qui dans ce vil lupanar
Proclamaient tes louanges

Quand arrivera la fin
De ce rêve éveillé
Tu seras bien plus malin
Tout au bout de la veillée
Tu te penseras devin
En trinquant à ma santé
Remettant tes mocassins
Pour revenir sur ton passé



lundi 27 janvier 2020

Rue de la main qui file.


La petite fugue de Pénélope.
 
 

     Il était une fois une brave femme qui voulait passer la main, usée sans doute par des années à s’épuiser les yeux sur ses travaux d’aiguilles. Elle désirait abandonner un métier qui avait été son cadre, son bureau, sa prison ; non pas qu’elle n’aimait pas ce qu’elle faisait, elle y avait mis toute son existence, tout son cœur et toute son énergie mais bien parce que l’ouvrage ne nourrissait guère celle qui s’échinait du mieux qu’elle pouvait.

    La couturière avait pris sa résolution, elle allait mettre les pouces, s’octroyer enfin l’autorisation de se les rouler, d’oser l’oisiveté pour le peu qui lui restait à vivre. De fils en aiguilles, elle avait passé sa vie clouée sur son ouvrage, ignorant tout de ce vaste monde dont elle ne percevait l’existence que par le truchement des canevas qu’elle n’avait cessé de réaliser pour les autres et du bruissement émanant du port tout proche de son échoppe.

    Ces merveilles, elle voulait les découvrir de ses propres yeux, du moins de ce qu’il en restait. Elle les avait érodés à piquer dans la pénombre, à travailler au petit matin ou bien tard le soir à la seule lueur d’une bougie vacillante. Quoique à bout de force, fort diminuée, sa résolution était intangible, elle allait prendre la poudre d’escampette, se laisser porter par le vent de l’aventure en dépit également d’une santé défaillante.

    C’est d’ailleurs ce qui la poussait à mettre le holà, à profiter de ce mince fuseau qui lui restait à dévider. C’est l’apothicaire qui un jour, alors qu’elle était si mal qu’elle n’avait pu faire autrement que de le consulter, lui déclara : « Ma chère, vous filez un mauvais coton ! Vous avez fort mauvaise bobine, vos jours vous sont comptés avant que le fil de votre existence ne vienne à se rompre ! » Elle voulait voir du pays avant son ultime voyage quitte à ne jamais revenir de cette folle équipée.

    Elle ne mit guère de temps à tout brader. Le dernier fil noué à son ultime ouvrage, elle planta  définitivement ses aiguilles dans sa pelote,  jusqu’alors éternellement  fixée au poignet de sa main gauche. Elle abandonnait pour toujours cet étrange bijou de si peu de valeur. Elle se sentit soudain libre, soulagée d’un poids qui au fil du temps avait fini par lui peser.

    Pas  le temps de faire le point, il n’était plus l’heure de réfléchir. Elle devait partir dans l’instant, tendre le pouce pour monter dans le premier bateau qui voudrait bien la prendre à son bord. Descendre la Loire, trouver un navire pour un ailleurs lointain, elle n’avait que ça en tête, dût-elle se glisser comme dans un chas d’aiguille ou un un trou de souris. Elle prenait la poudre d’escampette dans l’urgence d’un temps qui lui était compté.

    Elle trouva embarquement. Connue sur la place d’Orléans, les mariniers avaient plus d’une fois abusé de ses talents d’aiguilles pour obtenir réparation contre quelques possons de faux sel. Pénélope n’avait jamais refusé et ce jour-là, quand elle se présenta sur le quai, faisant un signe à tous les bateliers, leur faisant comprendre son désir de quitter le pays, pas un n’aurait songé à la refuser à bord.

    Elle se précipita sur le premier qui allait partir, descendant la rivière pour aller jusqu’à Nantes, un grand et beau Chaland chargé, ironie de l’histoire, de beaux rubans et de passementeries venus de Roanne. La couturière se faisait la malle parmi les étoffes. Dans toute la ville, ceux qui avaient toujours à se féliciter de son travail, voulurent la saluer. Il y eut ce jour-là grande presse sur le quai de Recouvrance.

    Les bourgeoises comme les petites gens, les couseuses et les lavandières avaient toutes la larme à l’œil, chacune de lui souhaiter le meilleur pour cette incroyable escapade sans retour. Il y avait sans doute un peu de jalousie mais surtout beaucoup d’admiration pour ce choix si rare à l’époque. Le « Grébiche », ironie du sort, le  bateau sur lequel elle avait jeté son dévolu, larguait les amarres. Tous de saluer la tapissière d’un ultime signe de la main. Le Chaland s’en alla à la vitesse du courant quand le Duc d’Orléans, en visite sur le port s’étonna de cette foule féminine en grand émoi.

    Il interrogea la première digne de sa condition, une dame de petite mais respectable noblesse en l’apostrophant ainsi : «  Pourquoi toutes ces femmes sur le quai de Recouvrance à cette heure et qui est donc cette personne au loin qui agite un foulard sur le bateau qui descend la Loire ? » Prise de court sans doute que ce noble personnage puisse pour la première fois s’adresser à elle, la dame ne sut que répondre :  «  C’est la main qui file ! »

    La réponse fit le tour de la ville. Chacun la trouvant d’une incroyable concision tout autant que d’une charmante tournure. La rue qui avait été celle où Pénélope avait installé sa modeste échoppe à deux pas de là, fut immédiatement baptisée ainsi, sans que quiconque en cette ville ne sut jamais jusqu’où cette main avait filé lors de sa première et ultime escapade.

    De cette histoire qu’il convient de considérer puisque écrite par le fils d’une tapissière, je fais le vœu que jamais plus on ne débaptise un vieux nom de rue pour honorer une canaille ou bien une vieille baderne qui bien souvent n’a même jamais vécu dans la cité. Nos anciens noms de rue portent une histoire et si parfois, il n’est plus possible de la retrouver, laissez donc le soin aux bonimenteurs et aux conteurs le soin de l’inventer.

    Patronymiquement sien.  





dimanche 26 janvier 2020

Tout en sifflant une bouteille.

Tout en sifflant une bouteille.

 

Tout en sifflant une bouteille
J'imagine des merveilles
Tout en vidant une chopine
Je taquine ses copines
Tout en trinquant à ta santé
Je déguste à pleine lampées
Ce nectar magnifique
Tout droit sorti d'une barrique

A résisté, maudit bouchon
Voulait sans doute que je croupisse
Sans atteindre ce doux flacon
À la lisière de ce délice

A traînassé ce vilain garçon
Voulait sans doute que je le maudisse
Ce merveilleux vin de Chinon
Qu'il a vidé dans un calice

Tout en sifflant une bouteille
J'imagine des merveilles
Tout en vidant une chopine
Je taquine ses copines
Tout en trinquant à ta santé
Je déguste à pleine lampées
Ce nectar magnifique
Tout droit sorti d'une barrique

A fredonné une chanson
Tout en assouvissant son vice
En m' vidant à p'tits gorgeons
Ce qui me mit'en supplice

A tout dégusté mon cruchon
Ne m'offrant qu'un goût factice
Ce n'est qu'un vulgaire poch'tron
Mais qu'on appelle la police !

Tout en sifflant une bouteille
J'imagine des merveilles
Tout en vidant une chopine
Je taquine ses copines
Tout en trinquant à ta santé
Je déguste à pleine lampées
Ce nectar magnifique
Tout droit sorti d'une barrique

Allez l'ami enfin vidons
Fais de moi ton nouveau complice
Toi qui sera mon vigneron
Moi qui me mets à ton service

Jusqu'au matin, nos verres levons
et toute la nuit sous ces auspices
À bout de force nous trinquerons
À notre ivresse initiatrice

Bateau pliable


Gigue du petit bateau




J’ai glissé quelques mots
Sur un petit bateau
Pliage de papier
Quêtant sa destinée
Magnifique bannière
Sur ma belle rivière
Portée par le courant
Pour se rendre au couchant

Vogue vogue petit bateau
File file sur le courant
Porte porte ce doux fardeau
Vole vole par tous les temps

J’y ai glissé mon cœur
Mes espoirs en couleur
C’est un petit message
Pour un si long voyage
Espérant en retour
Une marque d’amour
Un signe du destin
Un tout autre demain

Vogue vogue petit bateau
File file sur le courant
Porte porte ce doux fardeau
Vole vole par tous les temps

Ce n’est qu’une maquette
Partie en goguette
Une bouteille à la mer
Une pensée en l’air
Et mes rêves déçus
Sont encore revenus
Le papier a coulé
À la première ondée

Vogue vogue petit bateau
File file sur le courant
Porte porte ce doux fardeau
Vole vole par tous les temps


vendredi 24 janvier 2020

Mesmin et le dragon.



Que la lumière soit !



Le métier de Bonimenteur n'est pas nouveau en bord de Loire. D'autres, bien avant moi l'ont exercé avec bien plus de talent et sans souci de vérité. Ils firent même preuve parfois d'une imagination débordante devant laquelle je ne puis que m'incliner.

En voici la preuve en une époque lointaine où les ligériens d'alors avaient sans doute besoin de lumière pour distinguer la vraie foi des pratiques obscures de nos ancêtres. Des hommes de robes sollicitèrent alors des services d'un conteur pour la gloire d'un tison et la défaite d'un dragon !


Nous sommes au début du VI° siècle, en 511pour être précis. Notre brave Clovis dont le patronyme signifie « Illustre dans la bataille », vint tenir concile en notre bonne ville d'Orléans avec 32 évêques. Il fallait installer durablement la foi chrétienne, se débarrasser tout dans le même temps de l'arianisme et des vieilles croyances païennes.

Pour asseoir une autorité religieuse naissante et encore chancelante, Clovis avait préparé le terrain en bord de Loire, en envoyant, trois années plus tôt, Saint Euspice et son neveu Mesmin construire un monastère sur la presqu'île de Micy, en un endroit proche de la Pointe de Courpin.

Les moines ne sont pas manchots, ils se mettent bien vite au travail, défrichent à tour de herses et drainent ces terres humides grâce à des moulins. Ils endiguent la rivière, construisent des levées et des jetées pour faciliter le transport des marchandises par la Loire et assurer leur gloire

Pourtant, ce travail de romain ne plait pas alentour. Le bon peuple en a fini avec la domination des latins et voilà que d'autres envahisseurs, à moitié francs, viennent leur imposer croyances et manières de faire. Les ligériens sont rétifs, Clovis devine qu'il faut frapper les esprits et les consciences pour leur faire entendre raison. Abandonnant la force, il use cette fois de la parole pour venir à ses fins.

Nos moines cénobites, puisque tel était la règle collective de nos joyeux bâtisseurs, firent appel à un raconteur d'histoires, un certain Nabumus, fort connu dans le pays pour faire avaler des couleuvres et bien des sornettes par la seule force de son imagination. Pour agenouiller les gens du pays, rien de tel qu'une belle histoire ! Elle vous met les crédules et les naïfs dans la poche et en fait des proies bien commodes.

Nabumus était alors un sage anachorète vivant dans une grotte située juste en face du monastère. Il traversa le fleuve sur une plate marinière et vint passer quelques jours parmi les moines pour trouver inspiration et plaisirs de la chair. C'est quand on a la panse bien pleine que les menteries vous viennent facilement à l'esprit. Ventre affamé n'a ni oreilles ni imagination …

Là, il trouva largement de quoi satisfaire son appétit et remplir sa mission tout autant que sa sous-ventrière. C'est d'ailleurs en observant attentivement le petit Mesmin, neveu du maître de maison, préparer un gibier à la broche qu'il eut l'idée de servir le conte qui tiendra lieu de légende dans le pays. Plus les ficelles sont grosses, plus la fable a de bonne chance de prendre, il savait la chose et ne se priva pas de l'appliquer.

Notre Bonimenteur, connaissant intimement les lieux et les gens du pays, leur amour pour la Loire et le goût pour les animaux fantastiques. Il inventa une bataille farouche et magnifique entre Mesmin armé d'un tison et un dragon qui aurait élu domicile dans la grotte (là même où notre brave conteur avait son domicile) dans un village qu'on nommait alors Béraire.



La chose était si extravagante, le combat si parfaitement raconté que bien vite, le soir au coin du feu, elle passa de bouche en bouche dans toute la région. Le succès fut tel que la grotte devint lieu de pèlerinage. La vraie foi avait balayé les vieilles croyances, Mesmin, par le truchement de Nabumus avait apporté la lumière de son tison miraculeux. Les croyances celtes, les cultes païens venaient de subir un coup fatal par le truchement d'une menterie à peine croyable ...

Mesmin fut bien vite déclaré Saint. Le temps était propice à la béatification. Dans l'abbaye de Micy cette belle promotion toucha 26 des 30 pensionnaires (on s'interroge sur les travers des quatre oubliés). Outre Eustache et Mesmin, saint Avit, saint Théodemir, saint Doulchard, saint Lyé, saint Fraimbault, saint Urbice, saint Sénard, saint Amatre, saint Calais, saint Pavas, saint Viatre, les deux saints Léonard, saint Rigomer, saint Liphard, saint Dié, saint Eusice, saint Almire, saint Ulphace, saint Romer, saint Ernée, saint Front, saint Gault et saint Brice démontrèrent tous que les temps étaient à la promotion rapide dans la maison.
L'histoire aurait pu se terminer là, entièrement à la gloire des moines et à la plus totale déconfiture pour notre conteur. Mesmin, à la santé fragile (qui était bien naïf pour l'imaginer terrassant un dragon) mourut en pleine gloire en 520 en réclamant à être inhumé sur le lieu de ses exploits mirifiques. Son tombeau devient un lieu de pèlerinage et des miracles, cela va de soi, devaient s'y produire.

C'est encore vers Nabumus que se tournèrent les moines pour tailler fable sur mesure pour faire la légende dorée d'un vil gredin. L'histoire d'Agylus, grâvce à lui, est arrivée jusqu'à nous. L'homme est notable d'Orléans. Nous sommes en 564, le vicomte rend une justice sévère et prélève l'impôt avec une grande gourmandise Un de ses serviteurs, un pauvre esclave, commet alors une faute grave. Il sait qu'il va encourir la vengeance terrible de ce maître sans pitié. Il s'en sauve afin de se réfugier dans le sanctuaire sacré. Il réclame le droit d'asile en une époque où il était respecté.

Agylus voit cela, fou de colère, il menace de faire un exemple. Il avance, l'épée à la main, mais parvenu auprès de la grotte, son cheval s'arrête et Agylus tout comme sa monture se sent frappé de paralysie. Alors, comprenant sa faute, il supplie par la prière saint Mesmin de lui rendre la santé et lui fait vœu de construire une église au-dessus de la grotte. Agylus tiendra sa promesse et héritera lui aussi de la récompense suprême. Désormais, il sera saint Ay et frappé par la grâce passera le reste de sa vie en bontés diverses.


Nabumus eut fort à faire en ces années de gloire. Il lui fallut tailler sur mesure des miracles pour tous les saints du monastère. Il y avait de l'ouvrage ! Personne jamais, ne lui attribua le mérite de toutes ses somptueuses légendes. Ceux qui vivent de belles paroles sont rarement récompensés en retour ! C'est la seule morale de cette histoire que nous n'êtes naturellement pas obligés de croire.

Hagiographiquement vôtre


jeudi 23 janvier 2020

Emabrquement immédiat


La course des nayons !




C'dimanche là, sans m'enfeignanter,
De boumn heur j'm'avons déyeucher
J'm'en allons, pauv' gars de Loire
Me distraire un brin, à not'foire

Tout afisltolé pour la fête
J'espère trouver une charlusette
M''berlancer au bord de l'iau
Boire et faire le fierot

An huit, au concours des nayons
des bourseoisiaux s'enseayeront
À ramer à rebrous'-courant
Pour not'seul contentement !

Tout l'monde est ben gaitiau
les mangeux d'terre aux gros sabiots
La belle assemblée d'not' bourg
Et queq' gens d'peu d'alentour

On s'retrouve pour s'encanailler
S'mett'e dans le gosiers des godets
Sur le pierré si benaises
Tertous à brailler tout not' aise

Sur l'iau les rames s'cabossent
Sur l'bord les gens s'en bagossent
Les nayons vont à Hue ou à Dia
Pour d'chavirer à grand fracas

Des rameurs bigent les garnazelles
Ça vaut mieux qu'nos demoiselles
On s'met à beugler comme des viaux
Pi à s'berlaiser ben berlauds

Les aime-bouillons sont tous gaïtieaux
C'est de n'avoir jamais bu d'iau
La troupe alave à grosses lampées
Not' bon auvernat au pichet

Ce dimanche là, pour clabauder,
J'étions à la foir' à la louée
À trop bagouler sur le zinc
j'avons fini tout brindzingue


mercredi 22 janvier 2020

En Orléans


En Orléans





Sur les quais d’Orléans
Des mariniers rêvaient
De voyages au levant
Sur les quais d’Orléans
Des gabiers espéraient
La reprise du vent
Sur les quais d’Orléans
Des lavandières lavaient
Le linge sale des gens
Sur les quais d’Orléans
Des gredins détroussaient
Les bourses des marchands

Une histoire du passé
Un souvenir d’antan
La légende dorée
De nos vieux chalands

Dans le port d’Orléans
Un voyageur descend
Du vapeur de Nantes
Dans le port d’Orléans
Un muscadin s’éprend
D’une dame galante
Dans le port d’Orléans
Un matelot gourmand
Prend une mauvaise pente
Dans le port d’Orléans
Un coche d’eau attend
Une belle élégante

Une histoire du passé
Un souvenir d’antan
La légende dorée
De nos vieux chalands



Sur les quais d’Orléans
Des portefaix livraient
Un nouveau chargement
Sur les quais d’Orléans
Des catins espéraient
Alpaguer des clients
Sur les quais d’Orléans
Des haleurs s’échinaient
Pour vaincre le courant
Sur les quais d’Orléans
Des marins embarquaient
Des tonneaux de vin blanc

Une histoire du passé
Un souvenir d’antan
La légende dorée
De nos vieux chalands

Dans le port d’Orléans
Un jeune garçon s’éprend
D’une femme avenante
Dans le port d’Orléans
Un passant se détend
D’une manière étonnante
Dans le port d’Orléans
Une bêcheuse se fend
D’une chanson charmante
Dans le port d’Orléans
C’était à tout instant
Une vie bouillonnante

Une histoire du passé
Un souvenir d’antan
La légende dorée
De nos vieux chalands




mardi 21 janvier 2020

Petits pois deviendront grands.

 

Jardinière de légumes au Château de Villandry.




Il était une fois une gousse qui élevait amoureusement ses petites graines. La belle plante que voilà, qui rêvait d’un destin royal pour les siens. Il est vrai que, cultivée dans le jardin de Villandry, elle ne pouvait rêver plus bel écrin pour atteindre ses fins. Elle était entourée des plus belles plantes du jardin de France : cette Vallée des Rois à la si belle douceur de vivre.

Notre gousse avait voyagé dans sa vie de graine. Elle avait eu le privilège de naviguer sur la grande mer océane par un curieux hasard que le destin aime à offrir à ceux qui ont des rêves plein la tête. C’est ainsi qu’elle avait fait la connaissance d’une huître. Cette dernière lui avait glissé à l’oreille un bien étrange secret qui germa en son esprit de fort belle manière.

La graine plantée en terre, elle avait acquis la certitude qu’elle parviendrait, elle aussi, a métamorphoser le plomb en or. Il faut dire que les alchimistes étaient légion dans nos châteaux, cloîtres et monastères tout du long de cette rivière sublime. Il n’y avait pas de raison que le petit pois ne se fît pas, également, Grand Invité à la table des Roys.

L’huître avait transmis une formule magique que la gousse exécuta à la perfection. En son sein, elle nourrissait onze petits pois élégants, parfaitement ronds et brillants à souhait. Elle fit des merveilles, puisant dans le sol tous les éléments propres à faire grandir les siens dans un parfait équilibre. Jamais on ne vit par ici plus belle cosse, réceptacle plus charnu, plus gonflé, plus large que celle qui avait un grand dessein en tête.

Quand son tour vint d’être récoltée, la gousse se fit langoureuse. Elle voulait absolument que Camille, la petite-fille du jardinier, fût celle qui viendrait recueillir les fruits de ses entrailles. Elle captait le soleil, elle se frottait contre la tige et les feuilles pour produire une douce mélodie. Camille n’était pas si sotte : elle avait repéré son manège ; elle avait compris qu’il y avait dans cette plante un curieux message qui lui était destiné.

La jeune fille , toujours pieds nus, en haillons, car il n’était pas moyen de l’habiller convenablement, cette sauvageonne qui traînait en tous temps dans cet immense jardin, sentit qu’il était temps de récolter cette cosse et nulle autre. Pourquoi avait-elle conscience de cette étrangeté ? Les mystères sont insondables ou bien ils perdent tout intérêt.

Camille la détacha avec précaution, avec douceur, avec une gratitude dans le cœur qui aurait fait rire des adultes s’ils l’avaient entendu remercier la plante en lui parlant aimablement. Mais qu’importe ce que peuvent penser les autres ! Camille avait dans ses mains le plus beau des trésors. Elle se réfugia dans les bois voisins, chez une vieille femme , Irène, que les gens de la région tenaient pour sorcière. Depuis sa plus tendre enfance, Camille avait pris l'habitude de lui rendre visite et d'échanger des confidences quand elle s'offrait une escapade.

La jouvencelle attendit d’être avec sa vieille amie pour ouvrir le réceptacle végétal. Ce que les deux femmes virent les fit s’exclamer d’émerveillement. Les onze petits pois étaient nacrés, scintillants, translucides. D’une rondeur parfaite, ils ressemblaient à des émeraudes plus qu'à des perles avec leur délicate teinte verte. La vieille Irène sourit de son grand sourire édenté qui plaisait tant à la gamine :« Voilà la chance de ta vie ! »

Toutes les deux passèrent la journée en d’étranges préparatifs. Quand vint le soir, c’est une Camille transfigurée qui sortit de la masure d’Irène. Elle portait belle robe, parure délicate, bottines fines et gracieuses, coiffe discrète et élégante. Mais par-dessus tout, on percevait le scintillement de son collier de petits pois.

Elle se rendit directement au château où ce soir-là, justement, il y avait bal avec tous les muscadins du coin. Son apparition fit sensation ; elle fut reçue bien que personne ne sût qui elle était. Sa mine et sa grâce avaient ouvert des portes qui, jusqu’à ce jour, étaient toujours restées hermétiquement closes pour elle. Les cavaliers ne regardaient qu’elle, n’avaient d’yeux que pour son cou élancé et fin, orné de cette merveille de pureté. Elle eut, ce soir-là, tous les hommes à ses pieds.

Quand les douze coups de minuit sonnèrent, Camille prit congé de l’assistance médusée. Beaucoup de jeunes gens voulurent la suivre, lui firent des avances, des propositions, curieusement toutes plus honnêtes les unes que les autres. À tous ceux-là, elle déposa un tendre baiser sur le front en murmurant : «  Je choisirai celui qui saura cultiver sa différence ! »

Elle disparut, laissant les jeunes gens désemparés et intrigués. Mais rapidement la surprise devint pour beaucoup de la stupéfaction, de la colère et même de la consternation . En effet ,voulant tous la suivre , ils se précipitèrent vers leurs carrosses. Hélas, à la place de leurs fiers véhicules, il n’y avait plus que des tas grossiers de légumes sur chacun desquels trônait une magnifique citrouille.

Tous les muscadins, à l’exception d’un seul, partirent dans une rage folle, insultant le diable et la terre entière. Ils piétinèrent les légumes et rentrèrent, outrés et piétons, dans leurs demeures respectives. Seul, le jeune Brillat- Savarin comprit le message énigmatique de la beauté. Il ramassa tous les légumes, y compris ceux qu’avaient massacrés ses collègues. Le lendemain , il alluma un grand feu et confectionna une soupe succulente, un brouet comme jamais plus on n’en goûterait !

Il porta sa soupe au village voisin. Il en fit grande et généreuse distribution. Brillat venait de se découvrir une passion dévorante pour la cuisine. Il en ferait son métier en dépit de l’interdiction qui était faite aux gens de son état de travailler. Il n’en avait cure. Il avait pris tant de plaisir à confectionner ce mets qu’il voulait explorer tous les mystères de la gastronomie.

Il en était là de ses réflexions quand la dernière villageoise à quérir un bol de soupe l’intrigua par son sourire en coin. Il lui servit ce qu’elle était venue réclamer mais la jeune fille en haillons ne le remercia pas. Au lieu de ça, elle découvrit sa gorge et Brillat vit, en évidence, le collier qui lui avait fait tourner la tête. Camille s’adressa alors au jeune homme : « Grande et bonne est ta différence. Cultive toujours ton art, tu seras mon mari et un formidable cuisinier. Je serai ta femme et cultiverai pour toi les légumes ! »

Ainsi fut fait. Le collier resta au cou de Camille la jardinière. Brillat devint ce grand cuisinier que chacun connaît. Son consommé de petits pois resta dans les mémoires comme le plus délicieux qui soit. Pour tous les deux , ce n’était pas dans la vie oisive des nobles et des puissants qu'ils espéraient trouver la plénitude et le bonheur. Ils se marièrent, travaillèrent et ainsi furent-ils les plus heureux du monde. Ni les titres ni les positions acquises ne font le bonheur. L’épanouissement se trouve dans l’amour et le travail ; menteurs sont ceux qui affirment le contraire.

Macédoinement leur.





lundi 20 janvier 2020

Faire un trou dans la rivière


Faire un trou dans la rivière



Il n’y avait pas plus belle fille à marier
Que Marina, la gentille lavandière
Mais elle posait une condition : pour l’épouser
Il fallait faire un trou dans la rivière

De tout le pays, des prétendants accourent
Pour relever le défi de la demoiselle
Beaucoup perdirent leur honneur dans l’aventure
Ils ne percèrent pas le secret de la belle

Quand un plus malin que les autres la convia
À venir le rejoindre en haut du pont Royal
Gentiment lui demanda de se pencher là
Un tourbillon creusait l’eau en son chenal

Ce n’est pas cette anneau que me fera céder
Tu n’es pas responsable de sa formation
J’attends de celui qui voudra m’enlever
De faire preuve d’un peu plus d’imagination

Un autre se présenta muni d’une pioche
S’attaqua sans tarder à percer la levée
Bientôt la rivière laissa place à la roche
Face à ce carnage, la fille était désolée

Tu penses ainsi parvenir à me séduire
En arrivant avec de vilaines manières
Tu ne risqueras jamais de me conquérir
En faisant un désert de ma chère rivière

La fille ne trouvait pas chaussure à son pied
Les mois passaient et elle restait célibataire
Quand l'embâcle figea les flots en janvier
Dans tous le pays il faisait un froid polaire

Muni d’un bâton un galant vint lui faire face
Lui offrit sa demande en propos gracieux
Puis se mit en demeure de briser la glace
Il gagna son cœur par ce trou astucieux

Il n’y avait pas plus belle fille à marier
Que Marina, la gentille lavandière
C’est le charmant Saturnin qui l’a épousée
Pour elle, il creusa un trou dans la rivière


Les « tailleux de douzils »

  Les « tailleux de douzils » Notre Vardiaux, beau et fier bateau Oh grand jamais ne transportait de l'eau Rien qu...