samedi 31 août 2019

La Tamise, berceau des bateaux à vapeur.

Révision avant le Festival de Loire



Rendons à Albion ce qui lui revient de droit car en effet c’est un ingénieur anglais, Thomas Newcomen, qui imagina l’exploitation commerciale de la puissance de la vapeur en 1712, faisant entrer le monde dans ce qu’on nommera « La Révolution Industrielle ». Le mariage du feu et de l’eau dut cependant attendre un siècle pour convoler sur les flots avec le premier bateau à vapeur, le PS Comet. C’est à un autre anglais : Henry Bell que l’on doit cette invention. Nos amis londoniens furent ainsi les premiers à jouir de ce nouveau mode de propulsion sur l’eau.
Les premiers « Vapeurs » commerciaux virent le jour sur la Tamise qui dès 1815servit de fonds baptismaux pour cette nouvelle marine. Durant plus de 25 ans, ce fut d’ailleurs le moyen de transport de passagers le plus couru à Londres. En cette période, il était possible de dénombrer jusqu’à 80 bateaux à vapeur en activité sur le fleuve.

Les britanniques, soucieux d’établir des règles édictèrent en 1819 le « Steamboat Act » afin de codifier les règles de sécurité pour l’usage de ce nouveau mode de transport. Les vapeurs de l’époque, naturellement en bois, disposaient de roues à aubes pour transformer l’énergie en mouvement. Pour le transport de passagers dans l’estuaire de la Tamise, ils se montraient plus rapides et efficaces que les bateaux à voiles ou les canots à rames. À Londres, le premier service passager fut assuré par le SS Margery, un vapeur naviguant sur la Long Ferry route, entre Gravesend et Londres.
À l’époque, il était possible d'identifier trois axes principaux de transport de passagers. La Long Ferry route, la ligne reliant Londres à Richmond et la troisième de Londres à Margate, à la pointe de l’estuaire de la Tamise. Cette dernière route était la préférée des voyageurs venus du continent ou des riches Londoniens qui gagnaient les côtes du littoral.

Ces trois voies fluviales dataient du 17e siècle. Avant les navires à vapeur, elles étaient exploitées pour le transport des passagers par bateau à voile (des hoys) ou par canot à rames (des tilt-boats). Généralement ces embarcations pouvaient embarquer 40 passagers pour un voyage très inconfortable dès que les vagues se mêlaient de l’affaire.
Au début du 19e siècle, jusqu’à 20.000 personnes faisaient le trajet Londres – Margate durant la belle saison. L’arrivée des bateaux à vapeur constitua pour les opérateurs en place un véritable danger commercial. Les exploitants des bateaux à voile et des canots à rame réagirent férocement à ce nouveau concurrent: les navires furent nettement améliorés et on renforça les équipages pour améliorer la qualité du service à bord sur les différentes routes.

Les vapeurs prirent naturellement le dessus sur ces anciens modes de transport. Des embarcadères leur furent dévolus tout au long de la Tamise. En dépit de nombreux accidents comme la Loire elle aussi en connut, ce nouveau service reçut un formidable accueil chez les usagers.
Dès 1815 la Margate Steam Packet Company vit le jour. D’autres compagnies de bateaux à vapeur arrivèrent sur le marché : la Gravesend Steam Packet Company puis la General Steam Navigation Company. La Compagnie des Bateliers et Allégeurs, dont nous avions narré l’histoire, dépassée par ce nouveau mode de propulsion, attendit 1841 pour créer sa propre compagnie.

Le trafic devint véritablement important dans les années 1830 avec la création de trois autres compagnies et le lancement de dizaines de nouveaux vapeurs. La navigation sur la Tamise avait particulièrement bénéficié de cette guerre commerciale qui n’eut de cesse d’améliorer la qualité du service. Chaque compagnie transportait plusieurs centaines de milliers de passagers chaque année.
Comme chez nous, le chemin de fer dès 1838 et l’ouverture du South Eastern Railway jusqu’à Douvres en 1844 constituèrent une menace commerciale pour les bateaux à vapeur de la Tamise. Le coup fatal fut l’ouverture de la ligne ferroviaire Londres – Gravesend en 1849. À partir de 1851, les Vapeurs n’étaient ni les plus rapides ni les plus économiques, le train avait gagné la bataille commerciale comme sur la Loire.

Les vapeurs eurent encore des adeptes durant les vacances d’été et pendant les weekends. Hélas pour eux, les contraintes financières ne permirent plus de maintenir en activité ces beaux navires. Petit à petit les bateaux à vapeur durent leur survie que pour satisfaire aux exigences touristiques.
Espérons que pour le prochain festival de Loire l’inexplosible sera en capacité de saluer nos amis britanniques en retrouvant les flots. Un petit clin d’œil de l’histoire qui s’impose !
 
 

C’est justement sur un bateau à vapeur : L’Inexplosible n° 22 que le Groupe
Les Aquadiaux se produira hors programme le samedi 21 septembre à 15 heures, lors du Festival de Loire 2019.
Le Bonimenteur racontera peut-être la folle épopée des Vapeurs de Loire ....
 
 
 
 

vendredi 30 août 2019

Souffleur de vent

La tête dans les étoiles ...

 

Un curieux personnage, barde de son état, se déplaçant à grand fracas de notes et de percussions, flanqué d’un colosse et sa cornemuse, s’arrêta à mes côtés pour me glisser cette curieuse phrase : « Tu es un souffleur de vent ! Ta parole portera toujours au-delà du brouhaha ambiant ! » En quelques mots, Rohan, cette belle âme m’avait indiqué le chemin à suivre, la tête dans les étoiles, loin des contingences du moment.
 
Le barde de poursuivre : « Dans la multitude indifférente, il y a toujours quelques belles rencontres qui offrent des moments de grâce. C’est à celles-là qu’il convient de s’attacher, sans chercher à toucher une foule qui depuis trop longtemps s’est habituée à suivre, les yeux fermés, les prescripteurs de la culture formatée. » Il est vrai qu’il y avait dans sa voix tant de conviction que je ne pouvais que le croire.

Seul mon orgueil démesuré m'avait poussé à me persuader qu'il était possible de toucher la multitude par quelques belles histoires de Loire. Mégalomanie délirante qui persuade celui qui en est victime, que les mots ont encore une importance dans ce monde de l’image et des apparences. Le diseur est un être à part, un décalé de la modernité, un égaré des temps anciens, un échantillon d’une espèce en voie de disparition.


Rohan alors de poursuivre sa leçon. En parfait saltimbanque, il avait tant à m’enseigner : « Le Souffleur de vent doit suivre son propre chemin sans se soucier du succès ou de la sécurité du lendemain. Il va, en homme libre, là où le vent le pousse. Il s’impose dans la foule indifférente pour y trouver quelques auditeurs attentifs. Les autres passeront leur chemin, haussant les épaules, devant l’artiste, cette fonction devenue totalement déplacée dans un monde de marchands. Les consommateurs ne savent plus entendre, comment veux-tu qu’ils écoutent ! » Le diable avait un drôle de sourire aux lèvres. Je ne pouvais que me laisser envoûter par ses propos.
Il était intarissable sur le sujet. Il reprit la parole non sans avoir ameuté les foules avec son compère Vincent à grand fracas musical : « Tu ne dois pas perdre de vue un point sensible mais déterminant dans l'acte du souffle des vents contraires à la marche de la nef des fous. Tu mènes un acte subversif qui est une des caractéristiques de l'artiste qui joue et jongle avec les mots. Tu es exactement dans ton rôle et n'a point à en rougir. Le conteur n'arrange pas, il dérange, il déroge et s'arroge un droit élémentaire et premier : celui de la parole, celle qui vole, s'envole et survole les contingences du temps, des modes et des usages conventionnels. » J’étais émerveillé par ce qu’il venait de me dire. Le Barde se faisait Merlin et me montrait le chemin.

Après avoir réagi à la remarque d’un quidam par une réplique philosophique au milieu de la foule : « Descartes et Leibniz ont prouvé l'existence de l'intelligence préexistante et succédant à la matière ainsi que l'infini de l'univers, donc la réalité d'une force causale. Il n'y a pas d'effet sans cause et la grandeur de l'effet renvoie à la grandeur de la cause. La vie, l'univers et tout ce qui y est contenu ainsi comme lois et comme principes n'est pas l'œuvre de l'homme, c'est donc celle d'une puissance créatrice qui lui est infiniment supérieure », ce sage se retourna vers moi pour me convaincre encore d’oser suivre la voie qu’il m’a toujours indiquée : « Rien ne t'empêche d'être libre de te trouver sur la voie publique et faire ce que tu dois. A toi de conjurer le sort que t'a réservé le "programme", d'ailleurs je ne pense pas que l'on puisse programmer totalement un électron libre. » C’est ainsi qu’un impromptu naquit au milieu de la foule, les agités du Bouzin sonnèrent le rassemblement pour que le conteur dispose d’un auditoire. La ruse avait fonctionné.
Il était temps pour nous de séparer nos chemins. Le Barde et le sonneur allaient sur scène, le Conteur partait en quête d’oreilles attentives. Rohan me glissa encore une recommandation ou plus exactement un encouragement : « Seule la quête des perles rares qui se présentent en chemin, doit préoccuper le souffleur de vent, cet orpailleur des lisières et des marges. Une seule rencontre, à la marge du flot, suffit à éclairer la journée. Un passant qui prend la peine de retenir une tirade, de comprendre une histoire, d’apprécier une chute sera ta plus belle récompense ! »
 
Pour parfaire cette merveilleuse leçon de vie, une main gigantesque se posa sur mon épaule. Vincent qui jusque-là, avait écouté son ami, voulut me regonfler le moral. Rien de mieux qu’un joueur de cornemuse pour remplir une outre, fut-elle vide. Avec sa malice habituelle il me dit : « Quand le vent souffle, rien ne l’arrête, pas même les décibels artificiels dont se parent les tenants de l’uniformité. Personne n’entrave la liberté d’une parole qui vagabonde sans se soucier des règles et des convenances, des obstacles ou des interdictions. Le zéphyr est indomptable, fut-il réduit parfois à un simple courant d’air allant à l’envers de la mode ! Le vent n’a ni tribu, ni clan, ni attaché de communication ni impresario. Il souffle jusqu’à décoiffer ceux qui se dressent sur son passage, bousculer les forteresses de la suffisance, abattre les idées reçues : paravent de l’absence de curiosité. »

Les deux lascars reprirent leur rôle. Invités d’honneur de l’endroit, ils faisaient grand bruit dans la foule. La grosse caisse et la cornemuse sont de nature à regrouper le troupeau. Pourtant, ces deux bergers de la fête, avaient laissé sur la rive un curieux mouton noir. Ce n’était pas un oubli, ils savaient désormais que les conseils qu’ils lui avaient distillés lui redonnerait force et courage.
 
Éoliennement leur.

jeudi 29 août 2019

Ses habits de lumière


Une passion à ne pas croire




J'aimerais tant vous parler d'elle
De ses habits de lumière
Des reflets qui la font si belle
Dans les yeux des lavandières



Elle se glisse dans son lit
Majestueuse et docile
Se donne à toutes vos envies
Quand elle se fait gracile

Elle vous chasse sans pitié
Coléreuse et farouche
Gronde le long des sentiers
Arrachant toutes les souches



J'aimerais tant vous parler d'elle
De ses habits de lumière
Des reflets qui la font si belle
Dans le creux des sablières 

 

Elle se répand sans retenue
Gracieuse et câline
Se montre alors toute nue
Pour une nuit coquine

Elle se refuse soudainement
Frondeuse et violente
Repousse sans ménagement
Celui qui la croyait dolente



J'aimerais tant vous parler d'elle
De ses habits de lumière
Des reflets qui la font si belle
Le long de ses gravières



Elle se prélasse sans détour
Paresseuse et offerte
S'abandonnant à votre amour
Sans vous avouer sa défaite

Elle vous chasse un peu plus tard
Rageuse et cinglante
Affirmant sans aucun fard
Qu'elle ne sera plus votre amante



J'aimerais tant vous parler d'elle
De ses habits de lumière
Des reflets qui la font si belle
Au détour de la rivière



Vous l'avez sans doute compris
Elle est ma merveilleuse Loire
Aimée beaucoup, à la folie
D'une passion à ne pas croire

Vous l'avez sans doute compris
Et il vous faudra bien me croire
Je l'aime plus qu'à la folie
Ma si douce et tendre Loire



J'aimerais tant vous parler d'elle
De ses habits de lumière
Des reflets qui la font si belle
A mes envies marinières


mercredi 28 août 2019

À la barbote


La pêche de mon enfance.



Nous attendions la remise des prix pour nous savoir en vacances. Nous abandonnions alors le chemin de l’école que nous prenions le jeudi et le samedi aussi, tant nos maîtres, adeptes de la méthode Freinet, nous avaient scotchés à l’imprimerie et aux diverses activités extérieures à la classe. Cette fois, Maurice, Marcel et leurs épouses partaient pour leur Sud natal et nous confiaient à la Loire quand nous n'étions pas en colo.

C’est la pêche à la barbote qui occupait nos journées. La technique en est simple, le bonheur incomparable et le résultat souvent au-delà de nos compétences en matière halieutique. Pour les béotiens et les urbains – à moins qu’ils ne soient les deux à la fois – il s’agit de se munir d’un scion : une canne courte et souple d’un mètre environ, munie d’une ligne, la plus fine possible.

L’instrument essentiel à cette pratique était la laitière qui pendait à notre ceinture. Une laitière en alu argenté que nous remplissions d’eau pour recevoir le fruit de notre activité, de merveilleux petits poissons au corps en fuseau, musclés et colorés ; les goujons. Qui n’a jamais mangé une friture de Loire exclusivement composée de goujons ne peut savoir la gourmandise que recèlent ces petites merveilles.

Le couvercle de la laitière était quant à lui tout autant indispensable pour y mettre les précieux vers de vase, bien à l’abri dans une mousse verte que nous prenions soin d’humidifier régulièrement. Tout cela devait être parfaitement arrimé car c’est au milieu de la rivière que nous allions, de l’eau jusqu’aux cuisses, pour nous mettre en action.

Il nous fallait trouver un fond sablonneux dans une passe où le courant, point trop violent, laissait un peu de temps à notre coulée. Les pieds nus, nous passions nos journées à mouver le sable pour provoquer un nuage qui brouille l’onde en offrant aux petits poissons, un sentiment de protection et de nourriture.

Les goujons se précipitaient, venant souvent nous caresser les arpions. Alors, toutes les trois ou quatre coulées, une prise se faisait et venait rejoindre ses collègues dans la laitière. Nous découvrions le mouvement perpétuel, le plaisir de barboter et de pêcher, la liberté d’être dans cette Loire que les adultes déclaraient - pour nous faire peur- dangereuse.

Nous n’en avions cure, nous remuions le sable tant qu’il y en avait et allions chercher un autre endroit un peu plus loin quand le filon semblait s’épuiser. Combien de fois nous l’avons traversée ? Je ne sais ! Nous y étions en notre domaine, notre terrain de jeu et de gourmandise. Chacun rentrant le soir, sa laitière pleine, pour se mettre en devoir de vider les poissons avant qu’ils ne soient frits ou bien préparés dans une pâte à beignet.

La condition était la même pour nous tous, nous devions assumer la préparation de notre récolte ligérienne. Nous en étions si friands que peu s’exonérait de ce plaisir supplémentaire. Un seul échappait à la règle, c’était le fils du garagiste derrière l’église Saint Germain, le quartier marinier d’autrefois. Jean-Michel, lui était un expert, un professionnel de la pêche en Loire.

Ses goujons, qu’il prenait à une cadence largement supérieure à la nôtre, regagnaient la table du restaurant de monsieur Houdré, son voisin. Nous admirions ce camarade d’un an plus vieux que nous qui savait tout prendre dans cette rivière qui coulait juste derrière chez lui. La nuit, en automne, il se cachait dans les rauches pour prendre des anguilles qui allaient,elles aussi, sur le menu du chef cuisinier.

Qui n’a jamais barboté ou bien pêché à la mouve, ne peut savoir ce lien charnel, unique que nous avions avec la rivière. Les années ont passé, les générations suivantes ont progressivement abandonné cette technique et même la pêche en Loire. Il faut avouer qu’on nous avait fermé l’abattoir qui nous offrait lui aussi de fameuses parties quand le sang se déversait dans le courant et que nous remplissions des sacs à pommes de terre de barbeaux et de hotus. Une folie, une pêche de légende, absurde et meurtrière car nous ne faisions rien de ces pauvres poissons.

Parfois nous allions sur un cul de grève pour aller taquiner les carnassiers. Là encore, Jean-Michel nous donnait une telle leçon que bien vite, nous préférions le bain imprudent à l’aveu de notre incompétence. Personne ne nous avait avertis que le danger rôde en cet endroit, nous savions suffisamment notre Loire pour ne jamais commettre d’imprudence. On peut aussi se dire que Lug veillait sur nous et que tout se passa toujours le mieux du monde.

La rivière avait été notre nourrice. Je vous l’ai souvent répété. Vous comprendrez aisément maintenant que c’est par le truchement d’une laitière qu’elle mérite cette dénomination. Je referme une fois encore la boîte à nostalgie de mon pays d’en-France.

Barbotement vôtre.
Barbote

Mouve, mouve, mouve tout au fond
Pour attraper les goujons
Va dans la rivière
Pour remplir ta laitière

Quand arrivaient les vacances
Nous étions tous en transe
Préparant un petit scion
Afin de prendre des poissons
Tout l’été à barboter
Jusqu’aux cuisses étions trempés
Les pieds mouvant le sable
Pour ces proies délectables

Refrain

Nous y passions nos journées
Sans jamais nous inquiéter
Cette rivière poissonneuse
Pour nous pas dangereuse
Nous savions ses secrets
Ses pièges et ses gués
Nous lui étions fidèles
Ayant grandi tout près d’elle

Refrain

C’est pour prendre le brochet
Qu’il fallait se méfier
Car dans les culs de grève
Que se brisèrent des rêves
Le carnassier bénaise
Dans le trou avait ses aises
Gare à celui qui tombait
Certains hélas s’y noyaient

Refrain

Un petit grain de sable
Un souvenir qui accable
Une pensée à oublier
Pour retrouver la gaieté
D’une joie sans pareille
Pour ces tendres merveilles
Petits goujons en friture
Bien mieux que vos confitures

Mouve, mouve, mouve le fond
Pour attraper les goujons
Va dans la rivière
Pour remplir ta laitière



mardi 27 août 2019

Brèves de Berlaudiot


Quand le Bonimenteur fait l'âne




C’est not’Brave bredin qui s’en va à la foire des cours à Gien. Le malheureux n’a personne qui veut l’y conduire, faut ben reconnaître que le gredin refoule un peu de tous les bouts. Mais pour l’occasion, espérant trouver enfin une drôlesse, lui qu’est encor à cet’heure vieux gars, s’est soigneusement lavé les pieds. On ne sait jamais !
Il se met en chemin, la route est longue. À Lion-en-Sullias, il trouve sur route le gars La Malice qui marche d’habitude d'aussi bon pas que lui. Mais anhuit, c’est Berlaudiot qui traîne la patte. Son compère est obligé de l’attendre un peu et s’en inquiète :
« Qu’as-tu donc aujourd’hui pour lambiner pareillement ! »
Berlaudiot tout penaud de lui répondre : «  A chaque fois que je me lave les arpions, j’ai beau bien les essuyer, je flotte toujours dans mes godillots ! »

Le gars La Malice, un brave gars certes mais grandement pingre et peu compatissant pour ses collègues, s’en va au marché de Sully emportant des cochons à la foire. Il a chargé la troupe des gorets sur un tombereau qui lui sert de calèche rudimentaire. Il s’approche de la côte de Logneau quand il double Berlaudiot chargé comme une mule qui s’en va à pied au marché vendre quelques lapins. Le tombereau double le marcheur quand celui-ci gueule de toutes ses forces :
« Hé La Malice ! T’as perdu quelqu’chose en chemin ! »
L’autre d’arrêter son cheval et se retourner vers lui :
« Hé quoi donc j’ai ti perdu mon gars ? »
Berlaudiot tout sourire, prenant l’air le plus niais qui soit de lui répondre :
« Ben tu l’vois pas par toi-même grand nigaud ? T’as perdu l’occasion d’me rendre service en t’arrêtant pour me monter à bord ! »
La Malice furieux donna un grand coup de fouet au cheval, sans ren dire au quémandeur qui il faut ben l’avouer, est trop gaillard pour lui chercher querelle.

Une autre fois, encore un lundi, jour de marché, Berlaudiot devait se rendre à Vérote pour y livrer des dames Jeanne. Il y a grande chasse au domaine, c’est pour alimenter des gosiers en pente de bourgeoisiaux qu’il se rend à l’office. Là il tombe sur le garde chasse, flanqué de quelques rabatteurs, tous en train de licher une bonne bouteille. Berlaudiot livre son vin et essuie son front pour bien marquer l’effort qu’il vient de consentir.
Le garde lui fait alors remarquer qu’il a un peu de retard sur l’horaire prévu. Notre homme de lui répondre du tac au tac :
« Mille excuses monsieur le garde de chasse, mais ma vache vient de vêler et elle a mis au monde cinq viaux. Ça pas été une mince affaire pour les faire têter ! »
Le garde, tout assermenté qu’il est, n’a pas vu venir le traquenard que lui tend le gredin.
« Mais une vache, ça n’a que quatre mamelles. Comment fait le cinquième veau ? »
Berlaudiot tout sourire de répliquer, piquant :
« Ben il est emberlaudé. Il doit faire comme moi. Il regarde les autres boire ! »

Le village est en émoi. Le Sénateur rend visite à la cité. Il y a tout un cérémonial organisé pour l’occasion et le grand personnage est perché sur une estrade et trône sur un superbe fauteuil en velours rouge. Un tapis de la même couleur est installé au pied de l’estrade et chacun a reçu la consigne de n’y mettre point les arpions.
Berlaudiot autant par dérision que pour faire briller les autres notables de la cité fait partie de la liste de ceux qui vont être présentés au parlementaire. Naturellement, il passe en dernier, un peu pour la bonne bouche diront les esprits moqueurs.
Un conseiller souffle à l’oreille du Sénateur le compliment qu’il doit adresser à son visiteur. Quand arrive notre lascar, l’important lui glisse à l’oreille que le village a voulu honorer son imbécile. Le grand élu s’en amuse et regarde un bon moment le pauvre garçon qui chiffonne son béret dans ses mains.
Voulant faire le malin comme tout notable qui se respecte, le Sénateur pose une question alambiquée à Berlaudiot : « Dites moi mon brave, vous qu’on présente ici comme un homme sage, j’aimerais savoir ce qui sépare un homme important d’un pauvre imbécile ? »
Berlaudiot sans se démonter et puisqu’on l’avait piqué au vif de répondre :
« C’est tout simple votre Grandeur, simplement un tapis rouge même si les rôles qu’on prétend attribuer à l’un et à l’autre sont dans le cas présent inversés »

Berlaudiot se rend à la grande ville. Il est tout émerveillé par ce qu’il voit d’autant que c’est la grande foire exposition à la préfecture. Il y a même des curiosités venues d’un lointain continent. En effet l’Amérique est à l’honneur cette année-là.
Il déambule parmi les stands quand il s’arrête devant une drôle de cabane en tissu avec des piquets qui dépassent sur le haut. Personne ne lui dit que c’est un Tipi, il semble sans doute trop bête pour retenir le mot. Notre homme se rend compte de la chose tout en feignant de ne rien voir .
Il insiste donc quand une hôtesse, se moquant ouvertement de lui, lui donne enfin réponse à sa question : «  Mon brave, ceci est la grotte de la squaw ! »
Berlaudiot se gratte le crâne le sommet du crâne cherchant une réplique à la hauteur. Puis, décochant un sourire parfaitement stupide il répond : « C’est donc pourquoi il y a des peintures rupestres sur la toile ! »

Berlaudiot est un bon voisin à la condition de n’avoir pas besoin de lui demander un service. Pourtant ce jour-là, Archimède, le plus pauvre du village vint vers lui. Le malheureux avait absolument besoin d’un âne pour porter du blé au moulin. Il avança humblement vers Berlaudiot et le plus poliment du monde lui demanda si par bonheur il pouvait lui prêter son âne.
Berlaudiot de se désoler, levant les bras au ciel et de répondre : «  Mon Brave Archimède, me voilà bien ennuyé mais mon épouse est partie ce matin avec notre bourrique pour se rendre au marché. Ça aurait été avec grand plaisir que je vous aurais rendu ce petit service »
Archimède s’en retourna chez lui. Il n’avait pas parcouru deux cents mètres qu’il entendit braire un âne, qui à n’en point douter était celui de Berlaudiot. L’homme fâché revint chez son voisin afin de lui signifier son mécontentement. Berlaudiot de lever les bras au ciel, de s’indigner,de montrer du doigt l’importum : « Quelle déception mon voisin. Vous me traitez de menteur car vous croyez davantage mon âne que moi ! »

L’âne de Berlaudiot s’était encore perdu. Cette fois, il était introuvable. Les jours passaient, tous ses élèves en riaient. Pour se moquer du pauvre maître, un garnement lui dit : « N’êtes-vous pas au courant ? Votre âne est parti faire le maître d’école dans le village voisin ! »
Sans s’émouvoir, Berlaudiot répondit au chenapan : «  Voilà qui me réjouit grandement. Quand je vous faisais classe, j’ai bien remarqué que c’était lui le plus attentif. Il avait toujours ses oreilles dressées alors qu’aucun de vous n’écoutait vraiment. C'est bien le seul à avoir profité de mes lumières. »

Le châtelain du pays part à la chasse. Il pleut tellement ce jour-là que l’homme rentre complétement trempé dans son domaine. Berlaudiot arrive tranquillement sur son âne, les vêtements totalement secs. Le châtelain s’interroge : «  Comment se fait-il que ne tu sois absolument pas mouillé après une telle secouée ? »
Le gentil niais de répondre : «Mon maître, c’est que ma mule est plus vive que l’éclair  » Sans plus d’explication, le puissant achète à prix d’or cet âne qui passe entre les gouttes.
Une semaine plus tard, une nouvelle averse surprend le châtelain à la chasse. Quoique monté sur l’âne miraculeux, il rentre totalement trempé. Furieux, il convoque Berlaudiot pour le sermonner : « Gredin tu m’as trompé ! Ton âne n’évite pas la pluie ... »
Berlaudiot de répliquer : « Si vous aviez retiré vos vêtements pour les ranger dans le bas de l’âne durant la pluie, vous seriez rentré aussi sec que moi l’autre jour ! »

Berlaudiot, tout grand imbécile qu’il est, se plait à gruger les plus naïfs que lui. C’est ainsi qu’un jour, il alla emprunter à son voisin La Malice une hache pour faire du bois. Le soir, il revint rendre la hache en lui donnant une petite serpette. La Malice de s’étonner : « Comment se fait-il mon ami que vous me donniez votre serpette ? » Berlaudiot de répondre : «  Elle est nullement mienne. Tandis que je coupais du bois, votre hache mit au monde cette serpette. Elle vous revient de droit ! » Sans chercher à comprendre, La Malice pris sa hache et sa serpette.
Une semaine plus tard, Berlaudiot retourna emprunter la belle hache du voisin. Trois jours plus tard, ne voyant pas revenir son outil, l’homme alla chez son emprunteur. Berlaudiot alors d’expliquer, des larmes aux yeux, que la hache avait rendu l’âme durant son ouvrage. Elle était morte et enterrée comme il se doit »
La Malice de s’indigner : « Tu me prends pour un imbécile. Une hache ne meurt pas. Rends la moi ! » Berlaudiot de répondre le plus calmement possible : «  C’est curieux que tu aies pu penser qu’elle pouvait mettre au monde une serpette et aujourd’hui tu refuses de croire à sa mort ? Qui donc est le plus sot des deux ? » Et Berlaudiot ferma la porte au nez du pauvre voisin qui venait de perdre un bel outil pour le prix d’une bonne leçon.

Sagement sien.


lundi 26 août 2019

Festival de Loire


Rendez-vous du 18 septembre

au 22 septembre 2019

Sur les quais d'Orléans

 

 



Quand notre Loire, en habit de Lumière
Revit au rythme de son glorieux passé
Des amoureux aux mœurs marinières
En Orléans aiment à se retrouver

Tous ces mariniers au grands chapeaux
Se pressent sur le quai pour célébrer
La belle dame Liger au fil de l'eau
Pour un festival de l’amitié
Pour les visiteurs, leurs vieux bateaux
Parés de leurs habits de fête
Invitent la foule des badauds
À tenter de faire leur conquête

Ici tous les marins sont d'eau douce
Ils ont des voyages plein les yeux
Capitaine, matelot ou bien mousse
Dans cette foule, ils font des envieux
Ils accueillent sans trop de manières
Tous les curieux sur leurs gréements
Offrant des récits peu ordinaires
Qui abolissent à jamais le temps

Des chansons entraînent les curieux
Sur des refrains tous à la gloire
De ces seigneurs qui étaient les gueux
De notre glorieuse marine de Loire
Si nos bons vins se laissent boire
Tous les coteaux de nos régions
Libèrent des récits qu’il faudra croire
Lors de soirées sans modération

S’ils se donnent ainsi en spectacle
C’est pour que vous ayez le tournis
Car sur la Loire, maudit tabernacle
On n’a pas à subir le roulis
Les amoureux de notre Loire
Sur la rivière vont se réunir
Pour que bien loin de nos déboires
Chacun puisse à son tour la chérir

Quand notre Loire en habit de Lumière
Revit au rythme de son glorieux passé
Des amoureux aux mœurs marinières
En Orléans aiment à se retrouver



dimanche 25 août 2019

Le mystère de la langue.



La Loire source de toute chose.



Il était un temps si lointain que nul ne peut en témoigner de nos jours. Le monde n'était pas soumis aux mêmes forces que celles qui animent notre planète aujourd'hui. Les lois de la physique ne répondaient pas aux mêmes règles. Ainsi, les eaux ne coulaient pas sous les ponts qui d'ailleurs n'existaient pas. Seuls les mages, les fées, les sorcières et les elfes vivaient alors au bord de notre rivière nourricière.

Nous sommes en un lieu que l'on nommera par la suite le Val d''Or. Les hommes pour y commémorer ce que je vais vous conter y bâtirent ensuite la Basilique de Fleury. Des forces mystérieuses y célèbrent le mariage de la lumière et des eaux de la Loire.

Mais alors, en cette époque reculée, bien au-delà des hommes, nul mouvement dans les eaux comme dans le ciel. Un paysage figé, une immobilité parfaite de carte postale. Merlin ne pouvait plus supporter ce qu'il prenait pour une absence de vie, une image factice. D'autres prétendaient vivre au paradis, c'est sans doute parce qu'on n'y manquait de rien. Mais la vie suppose des envies et des frustrations, des désirs et des refus. Il fallait mettre un peu de mouvement dans ce décor figé.

Merlin eut alors géniale intuition. Rien ne bougeait en cet Éden magnifique car les choses n'étaient pas nommées. Il prit alors sa baguette magique et d'un geste solennel entreprit de donner un nom à tout ce qu'il voyait. Chaque partie du décor ainsi désigné se mettait à se mouvoir au gré du vent et des eaux. Car, en bon ligérien qu'il était, c'est la Loire que Merlin baptisa en premier.

De ce jour mémorable d'entre tous, des noms désignent toutes les plantes, les animaux et les idées qui venaient à notre mage en regardant son œuvre. Arbres, fleurs, insectes, poissons, nuages, paysage, chacun avait son appellation et tout semblait prendre de la vie.

Pourtant bien vite, Merlin comprit qu'il manquait encore quelque chose. Que s'il y avait mouvements et variétés dans ce décor en évolution, il semblait lui manquer un peu de fantaisie, un souffle de volupté. Rien de nouveau n'apparaissait. Après quelque temps, quand il eut finit de constituer son lexique initial, il ne se passait plus rien de neuf et de surprenant.

Merlin réfléchit longuement. Il fallait apporter un petit brin de folie, un désir qui venait du plus profond de chaque chose. C'est une petite fée friponne qui lui souffla dans le cou ce petit frisson qui le mit dans le droit chemin. Il créa alors des petits mots qui, placés devant les noms, leur donna un genre et un nombre. Voilà une idée fort singulière et si déterminante. Il y avait des garçons et des filles, du désir et des attirances. La vie pouvait prendre un tout autre essor.

Une fois encore, après une longue période d'euphorie et de volupté, Merlin comprit que sa création manquait encore de vérité. Si les mouvements et les amours étaient désormais partie intégrante du décor, il lui semblait que rien ne changeait, que tout restait en l'état. Il manquait des différences, des variations, des débuts et une fin. Mais comment s'y prendre ?

C'est en observant la Loire qui n'est jamais tout à fait pareille, tout à fait la même qu'il se dit qu'un mot devait se parer de mille et une facettes. Son monde avait besoin de nuances, de couleurs et de caractère. Il créa, pour notre plus grand bonheur l'immense troupe des adjectifs. Il y avait des plus jeunes, des plus vieux, des moins gros, des plus grands, des lestes et des balourds, des gentils et des méchants …. La vie était désormais pleine de surprises comme de déceptions.

Encore une fois Merlin n'était pas encore tout à fait satisfait de son œuvre. Si de ses yeux, il assistait à un merveilleux spectacle, il ne parvenait pas trouver tous ses mots. Il lui fallait une autre catégorie de termes pour décrire le mouvement. Contrairement à ce que prétend la bible, c'est Merlin qui inventa le verbe bien après avoir donné un nom à chaque chose de la création.

Il pouvait désormais jouir du spectacle qu'il avait créé tout en ayant le bonheur de pouvoir le traduire en mots pour en faire part aux autres mages. Les eaux roulaient, grondaient, s'endormaient, se réveillaient, brillaient. Le vent soufflait, tombait, tempêtait. Le soleil pouvait enfin se lever ou se coucher et le ciel s'empourprait. La vie était devenue cette merveille pour laquelle la Loire constituait un écrin.

Merlin était fier de ce qu'il avait accompli. Il prit grand plaisir à se raconter des histoires, à s'inventer des aventures merveilleuses qui se passaient en bord de Loire. Il s'arrêta pourtant au milieu du gué. Il n'avait pas inventé les adverbes et les prépositions, les pronoms et les conjonctions. Mais c'était là besoins bien trop complexes pour nos mages. Il lui semblait en avoir assez fait ! Tout le monde n'écrit pas des bonimenteries ...

Grammaticalement sien.


samedi 24 août 2019

Aide toi, le ciel t'aidera.



Notre Dame de Bon secours.



Il était une fois, il y a bien longtemps de cela, un brave curé de village qui avait la foi chevillée au corps. Il passait pour un saint homme et personne ne songeait à médire de lui. Il était apprécié de tous ses fidèles et même de ceux qui l'étaient beaucoup moins. Quand venait le jour de la Saint Nicolas, personne ne songeait à bouder la procession dans cette paroisse ligérienne.


Nous sommes en 1755 à la Chapelle-sur-Loire, ville qui fut hélas martyrisée par la rivière un siècle plus tard. Notre brave curé est dans son presbytère, il s'applique à la rédaction de son sermon. Dans le pays bruissent les rumeurs d'une prochaine et redoutable montée des eaux. Chacun se prépare à fuir les flots sauf notre curé qui est persuadé en toute circonstance que Dieu lui viendra en aide.

Dans une église baptisée Notre Dame de Bon Secours, il a de bonnes raisons de croire en la protection divine, d'autant que Saint Nicolas, le patron de tous ceux qui vont sur l'eau, trône en majesté dans la nef. Alors, quand l'eau commence à venir lécher les marches du parvis, il ne s'inquiète pas autre mesure. Il se réfugie près de l'autel, confiant en sa bonne étoile.

À la Chapelle-sur-Loire pourtant, les villageois se préparent à fuir. Chacun emporte ce qu'il peut et s'en va dans l'arrière-pays. Le village est alors désert. Seul l'homme de Dieu reste à la barre, écrivant son sermon pour la messe du lendemain. Il croit dur comme fer que le miracle aura lieu et qu'à l'heure de l'office tout sera revenu dans l'ordre.

Mais si les voies du Seigneur sont impénétrables, les colères de la Loire sont toutes aussi redoutables. Bien imprudent celui qui veut s'opposer à la violence des flots. Bien vite, le niveau d'eau monta et notre curé a les pieds mouillés. Des gens, alarmés de sa situation, envoyèrent un pêcheur le quérir sur sa petite barque, une plate du pays.

Le pêcheur arriva devant l'église et appela le Saint Homme. « Mon père, venez bien vite vous mettre à l'abri. Les nouvelles ne sont pas bonnes, vous devriez vous mettre au sec ! ». L'entêté en soutane lui répondit alors : « Laissez-moi donc mon ami, le tout puissant veille sur moi. Demain c'est dimanche et je dirai ma messe quoiqu'il arrive. »

Le pêcheur s'en retourna un peu dépité de n'avoir pas rempli son office. Mais que peut-on faire face à l'obstination d'un homme qui bénéficie d'une conviction inébranlable. Il s'en retourna d'où il était venu, prenant sur le chemin quelques animaux qui avaient été laissés eux aussi en mauvaise posture.

Dans la journée, l'eau monta encore. Le curé dut monter en chaire sans qu'il n'y eût personne dans l'église pour écouter ses plaintes. Si son sermon était maintenant au point, il se trouvait bien malin sans le moindre auditoire. Sur les hauteurs plus lointaines, on s'inquiétait de plus en plus pour le berger de cette petite communauté.

Cette fois, c'est un gros fûtreau qui fut dépêché à son secours. De bonnes âmes avaient pensé que leur curé ne voulait pas abandonner son équipement sacerdotal. Un bateau de plus grande taille leur permettrait de sauver la face, les instruments de l'office et sa garde robe. C'est donc en cet équipage que deux braves mariniers vinrent chercher celui qui défiait la raison.


Le curé ne les reçut pas mieux que le pêcheur. Il avait les idées aussi arrêtées que la foi ancrée au plus profond de lui. Il répondit de la même manière, renvoyant au diable ces deux gaillards qu'il n'avait pas souvent le plaisir de voir en son église. Qu'ils fussent venus jusqu'à lui en bateau dans son église, était une offense qu'il ne pouvait accepter. À ces deux mécréants il dit également que Dieu seul pouvait lui venir en aide ! Les deux mariniers s'en retournèrent non s'en avoir chargé sur leur fûtreau la statue de Saint Nicolas. Il y a pour les gens de Loire des éléments à ne pas oublier, le bon Saint était de ceux là.

À la tombée de la nuit, la Loire montait encore. Les eaux étaient tumultueuses. Il y avait grand danger à se mettre en mouvement sur son flot. Cette fois, c'est un grand chaland qui fut envoyé. Long de trente mètres, le bateau pouvait sans frémir se rendre jusqu'à l'église. L'équipage avait été averti de la folie du prêtre. Le capitaine, fort de la certitude qu'il était seul maître à bord après Dieu, se faisait fort de rendre à la raison ce pauvre fou.

Il n'y parvint pas plus que les autres et je m'interdis ici de reproduire le dialogue qui opposa les deux hommes. Les murs de l'édifice sacré en tremblèrent et le diable, sans doute présent en ce jour de malheur, dut en rire sous cape. Le curé ne voulait rien entendre, dimanche il dirait sa messe. Seul Dieu pouvait lui venir en aide !

L'équipage s'en alla horrifié. Le prêtre avait perdu la raison, il hurlait des propos à ne pas mettre entre toutes les oreilles. C'est sans doute ce qui causa sa perte. La chaire trembla sur ses bases et s'effondra en un terrible vacarme. Les mariniers ne s'en retournèrent pas, c'était désormais trop tard pour venir en aide à ce pauvre fou. Sa messe était dite !

Au petit matin, notre curé se réveilla dans le ciel. Il avait quitté cette vallée de larmes et d'eau débordante. Et c'est devant Saint Pierre qu'il faisait le pied de grue. Lorsque son tour arriva, le brave homme d'église se prosterna humblement avant que d'émettre cependant une petite réclamation : «  Saint Pierre, comment se fait-il que Dieu n'ait pas répondu à mes prières. Me voilà mort alors que je l'avais tant prié. Pourquoi n'a-t-il rien fait pour moi ? »

Saint Pierre éleva alors la voix, courroucé on s'en doute par cette récrimination peu habituelle. «  Homme de peu de foi ! Tout prêtre que tu fus, tu n'as pas su voir les signes que t'a envoyé le ciel. Dieu ne peut pas tout gérer et tu devrais bien le savoir. Il avait confié ton dossier au brave Saint Nicolas. Celui fit tant et plus pour toi. Il t'envoya un pêcheur, des mariniers et tout un équipage. Tu leur as tourné le dos, préférant t'accoquiner avec le malin en jurant comme un charretier ! »

Alors, le pauvre curé comprit bien trop tard que le ciel lui avait tendu une main secourable. Il espérait une manifestation miraculeuse quand sa sauvegarde était venue de braves gens envoyés par le très haut. Il comprit bien tard le proverbe «  Aide-toi, le ciel t'aidera ! » À trop prier le ciel, on en oublie souvent les secours qui viennent des hommes. Cette morale vaut en bien des circonstances …

Moralistement vôtre



Les « tailleux de douzils »

  Les « tailleux de douzils » Notre Vardiaux, beau et fier bateau Oh grand jamais ne transportait de l'eau Rien qu...