vendredi 31 mai 2019

Pan sur le bec …


La véritable histoire des courses de canards.



Il était une fois une belle cité ligérienne, prise d’un étrange malaise. Imperceptiblement, dans les grandes maisons bourgeoises, les maîtresses des lieux, se sentant délaissées par leurs époux, toujours plus affairés, toujours plus accaparés par la volonté impérieuse de s’enrichir sans trêve ni repos, sans se passer le mot, trouvèrent toutes le même dérivatif, la même manière de combler leur solitude.

C’est sans doute en se souvenant de leur tendre enfance que ces dames, dans le secret de la salle de bain, se munirent toutes de ce qui pouvait aisément passer pour un hochet, un simple jouet innocent. Elles avaient l’âge d’avoir connu les aventures de Saturnin dans ce petit écran alors en noir et blanc. Elles pensaient que leurs époux ne verraient pas malice à la présence de ce charmant anatidé en plastique dans l’espace dédié aux ablutions et autres délectables bains.

Elles furent exhaussées. Durant une longue période, les compagnons de ces dames, trop préoccupés par le cours de la bourse, la croissance de leurs filiales, la pérennité de leur patrimoine ne se soucièrent absolument pas de ce qui se tramait ainsi quand le verrou scellait la porte de ce merveilleux espace ouaté. Puis, au hasard de conversations autour d’un alcool fort dans un de ces clubs distingués pour ceux de la haute société, la coïncidence ne permettait plus d’expliquer une telle généralisation de ce petit gadget.

Les notables, ceux qui tenaient les affaires de la cité, pressentirent qu’il y avait là matière à scandale si l’affaire venait à fuiter. Mais avant tout, il leur fallait tirer les choses au clair, en savoir plus sur l’utilisation que leurs femmes avaient de ce petit canard. Ces gens-là, monsieur, on ne parle pas franchement, on ne met jamais cartes sur table à moins qu’elles ne soient bancaires. C’est donc un cabinet de détectives privés qui fut sollicité pour éclaircir le mystère.

L’office agit promptement d’autant plus du reste qu’elle avait dans son personnel un jeune éphèbe qui, bien au fait de l’évolution des mœurs, avait sa petite idée sur les évolutions intimes du canard en plastique. Il mena une enquête de terrain, ne recula devant aucun sacrifice pour pénétrer les demeures et plus si affinités. Il rendit un rapport détaillé, oubliant simplement de préciser qu’en bien des maisons il avait suppléé agréablement, semble-t-il, l’objet du délit.

Devant l’évidence, les hommes outrés et horrifiés de ce qu’ils venaient d’apprendre, décidèrent de parer rapidement à ce scandale qui pouvait ternir les prochaines échéances locales. Il convenait de trouver un dérivatif pour mettre le canard sur le devant de la scène médiatique en évacuant totalement les vibrations intimes qu’ils avaient pu occasionner.

Comme tous ces messieurs étaient membres de sociétés caritatives, de celles qui permettent de se donner bonne conscience tout en bénéficiant de quelques exonérations fiscales, ils eurent une incroyable idée qui fera date dans tout le pays et même hors de ses frontières. Le canard devait retourner à son élément naturel, la rivière. De ce postulat de base, les propositions fusèrent pour lui trouver une utilité susceptible de faire des sous, une préoccupation incontournable dans ce milieu.

Immédiatement il fut évoqué la possibilité d’organiser une immense danse des canards au moment des fêtes johanniques. Hélas, le succès du « Set Électro » interdisait de proposer une alternative plus conforme à l’esprit de la Sainte. L’usage précédent du canard rendant même totalement impossible sa conversation durant les cérémonies dédiées à la Pucelle. Il fallait trouver occasion plus opportune.

De la baignoire à la bassine, il était facile d’établir un pont. Fort de cette réflexion, une voie royale s’ouvrit à nos décideurs. La Loire leur tendait les bras, le pont Georges V, jadis inauguré par la Pompadour allait pouvoir se refaire une virginité dans l’affaire. Ne manquait plus qu’à trouver une carotte pour suppléer à la fonction scabreuse de ces maudits canards. La suggestion d’ailleurs ne fit pas rire ces maris dont les carences en la matière avaient été largement démontrées.

C’est pourtant par le truchement d’une belle récompense que la fameuse course des canards fera vibrer les foules et un peu moins les dames des organisateurs. Le concept naquit dans la fièvre d’une séance de tempête dans des crânes peu habitués, il est vrai aux cogitations intellectuelles. C’est ainsi qu’elle s’imposa alors que le whisky avait troublé bien des esprits.

Il fut décidé de vendre les canards délictueux ou plus exactement de les proposer à l’adoption. Ainsi, ils quittaient la tête haute les baignoires de ces dames. Les petits Saturnins artificiels, privés de cette pile qui pouvait nuire aux eaux de la rivière, seraient tous jetés à la Loire lors du Grand Festival de Loire à deux pas des Tourelles, afin de bénéficier de l’onction de Jeanne. Le premier canard qui franchira la ligne d’arrivée permettra à son parrain ou sa marraine de partir avec une belle voiture neuve.

Ne manquait plus qu’à valider la farce en lui donnant un nom en Anglais. Dans cette ville, tout ce qui se fait de grand et de nouveau doit se référer à la langue de Shakespeare. C’est sans doute un complexe local, dans une cité qui ne s’est jamais pardonnée d’avoir ouvert les portes de son Université à ce détestable persifleur que fut Jean Baptiste Poquelin. La « Duke Race » était née et devait clouer le bec aux mauvaises langues.

Voilà la véritable histoire de cette hérésie environnementale. Je me devais de vous en informer au risque de déclencher le courroux de ces beaux messieurs. Quant à leurs dames, privées de leur petit compagnon en plastique, j’aimerais leur proposer mes services mais je crains de ne pouvoir remplir leur immense besoin de délicates attentions.

Sarcastiquement leur.


jeudi 30 mai 2019

Le feu sacré


Le feu sacré



De quelques mots, il vous offre une histoire
Sur un radeau, en partance pour la gloire
Péripéties, qui deviennent des légendes
Des inepties, qu’il vous livre sur commande

Dans sa tête, il y a des étoiles
Qu’il s’entête, à glisser sur la toile
Fragments de rêves, accolés au réel
Récits sans trêve, du clochard éternel

Au fond de l’eau, il installe un décor
Dans un chapeau, en surgit un trésor
Deux grains de sable, aux vertus angéliques
Traits détestables, d’une ville colérique

Taille de guêpe, Attila le barbare
Au bras un crêpe, ne fait plus de chambard
Le bon Aignan, en le piquant au vif
Pendant mille ans, en sera le calife

C’est la pucelle, innocente bergère
Qui sera celle, dans la même galère
Qui boutera, le coup sera fatal
Le vieux prélats, de son piédestal

La fin du siège, la cité délivrée
On brûle un cierge, la victoire célébrée
Du feu sacré, pour la pauvre sorcière
La fin navrée, de cette cavalière

Le défilé, sortez les oriflammes
Par vanité, des invités infâmes
Pour les anglois, on déroule le tapis
C’est pour le Roy, les plus grands ennemis

Mélimélo, d’un conte qui déraille
Un mégalo, qui sème la pagaille
Sera brûlé, au milieu d’un grand feu
Autodafé, en deux mille vingt’ deux



mercredi 29 mai 2019

La Paillote du Port

La Paillote du Port




Quand tu es triste, copain de bord
Que tu cherches une main tendue
Ne crois pas que tout es perdu
Rejoins la Paillote du port

Il y a des gars de passages
Des fidèles accrochés au bar
Des amis, des gens de hasard
Des marins en plein naufrage

D’autres matafs arriveront
Gars du pays ou naufragés
Compagnons de mer en bordée
Du capitaine au moussaillon

La bière le rhum coulent à flot
Des chopes se vident à ta santé
Des cœurs se lient en amitié.
Fraternité de matelots

« Oh tavernier on veut danser
Avec ces filles au blanc jupon
Joue donc un air d’accordéon
Ces dames nous feront rêver

Par tes chansons de tous pays
Nous naviguerons avec elles
Avec ces belles demoiselles
Nous échouerons au paradis

En quittant la Paillote du Port
Aux premières lueurs du jour
Les yeux rougis de tant d'amour
On se sent triste et seul à bord

Dans chaque port est un endroit
Un lieu si chaud un peu blafard
Un repaire qui tient lieu de phare
A tous ces hommes qui ont froid

Quand souffle le vent du large
Une lanterne bouge encore
C'est celle d’la Pailotte du port
Qui t'accompagne dans ton voyage

Photographie de Clodelle

mardi 28 mai 2019

Traverser la rue.


La Chaussée en marche



Il fut un jour pas comme les autres durant lequel une horde d’oisifs, des êtres se contentant de vivre de la générosité publique, ce que d’aucuns appellent habituellement l’assistance ou bien encore les allocations chômage, se mirent en quête de la dignité élémentaire que constitue un emploi. Ils avaient ouï, de la part d’un personnage haut placé, une nouvelle incroyable, une prophétie à moins que ce ne fut une galéjade cynique : « Il suffit de traverser la rue ! »

Le premier à se lancer de l’autre côté de ce vaste espace incertain, fut ce qu’on nomme aujourd’hui un martyre de la crédulité. Il avait été jardinier, un humble travailleur de la terre. Il aimait ce métier qu’il avait choisi, il y avait été formé. Il avait besoin de se sentir en contact avec la nature et voilà qu’un guide, un gourou des temps modernes, un être supérieur sans doute, issu d’une caste d’élus, lui demandait d’affronter le bitume et l’asphalte, d’oser franchir cette zone incertaine sur laquelle roulaient des véhicules devenus fous.

Le brave jardinier ignorait alors que loin de l’humus, du terreau, il allait perdre ses racines, se mettre en péril et surtout affronter un monde sans règle ni pitié. Ses premiers pas sur ce territoire inconnu furent facilités par le chef suprême. Sa parole l’avait galvanisé, il avait foi en ce jeune personnage à la détermination extrême. Il avait mis un pied sur la chaussée, puis un second, poussé par sa confiance aveugle en celui qui devait changer le monde …

À son tour, le jardinier était en marche, il découvrait que c’était possible, qu’il suffisait d’un peu de conviction pour franchir l’obstacle. Des caméras étaient braquées sur lui, les télévisions de tout le pays relayaient l'événement. Dans la nation toute entière, chacun retenait son souffle. Ses semblables, ceux qui depuis si longtemps avaient été laissés sur le bord du chemin, cette route réservée aux seuls privilégiés, bien à l’abri dans leurs limousines aux verres teintés, le suivaient des yeux, espérant eux-aussi, jouir de cette folle espérance.

Chacun était gagné par l’émotion. Le suspens était grand. L’homme allait-il parvenir à vaincre cette course d’obstacles ? Pourrait-il se faufiler dans le flot des nantis, des électeurs du grand marcheur ? Sortirait-il entier de ce trafic endiablé ? Il était là, au milieu de la circulation tel un toréador dans l'arène. Un frisson parcourait spectateurs comme téléspectateurs tandis que son guide avait depuis longtemps tourné le dos.

L’homme conseilleur en effet avait d’autres chats à fouetter. Les finances de sa petite entreprise étant dans un état déplorable, il était contraint de profiter de cette journée Portes ouvertes pour jouer les colporteurs, les marchands de colifichets. Il devait vendre des babioles, toutes fabriquées par des sous-hommes dans des nations lointaines et défavorisées, pour un salaire de misère. L’important personnage n’avait cure de cette sordide réalité, l’essentiel pour lui était de réaliser des bénéfices substantiels pour refaire à la fois la façade de son palais et celle de son épouse.

Pendant ce temps, le jardinier était planté au milieu de la route. Ayant échappé plusieurs fois au pire, il était pétrifié, incapable d’aller plus loin. Des bolides passaient de chaque côté, tous klaxons hurlants. Il avait trouvé refuge, si ce terme avait encore un sens dans sa situation, sur un clou, ultime vestige d’une époque lointaine où les piétons traversaient en sécurité, simplement pour aller de l’autre côté de la rue.

Le jardinier aurait aimé se sentir pousser des ailes. Il aurait pu ainsi se sortir du mauvais pas dans lequel l’avait placé ce beau parleur. Maintenant, il n’avait plus le choix. Ne plus bouger et il risquait de rentrer dans la catégorie des chômeurs de longue durée, non indemnisés. Avancer encore et il allait être broyé par cette société dans laquelle il n’avait jamais trouvé sa place. Sur le trottoir, les cris d’encouragement semblaient le pousser à oser ce saut dans l’inconnu, cette multitude active et en mouvement qu’il avait regardée jusqu’alors de trop loin.

Il écouta la foule, il fit un pas de plus, un pas de trop. Il fut écrasé par un transport de fonds. Son corps passa sous les roues, il fut laminé. Il n’était plus que de la charpie, happé, broyé, éviscéré par tous les autres véhicules, indifférents, qui passaient, négligemment sur ses restes. Face à cette horreur, les autres, ceux qui auraient pu suivre ses pas se retournèrent contre celui qui l’avait poussé dans cette équipée sauvage …

L’homme important, tout en comptant et retenant les bénéfices de son opération de promotion patrimoniale, se retourna alors vers la terrible scène qu’il avait indirectement provoquée. Surpris qu’on puisse s’indigner de ce qui venait de se passer, il déclara : « Que me reprochez-vous ? En lui proposant de faire de la cuisine plutôt que du jardinage, je ne me suis pas trompé. Voyez le résultat, il est au-delà de mes promesses. L’homme courageux qui m’a écouté a réalisé son projet. Il ne pouvait espérer au mieux qu’une jardinière de légumes et son projet est consommé, un potage vaut mieux qu’un potager ! »

Cette fois, Freluquet, puisqu’il s’agissait de lui, était allé trop loin. Il venait de montrer son véritable visage tout autant que le profond mépris qu’il avait pour cette plèbe dont il prétendait faire le bonheur sans jamais croire à cette affirmation. Ceux qui avaient avalé sa promesse d’emploi de l’autre côté de la rue, le poussèrent dans le flot de la circulation. Il fut à son tour écrasé, non pas par le flot des véhicules mais par la colère des laissés pour compte.

Traversièrement sien.


lundi 27 mai 2019

Le coq en Pâte



Sur ses ergots



Un coq se désolant de son sort
Voulut s’octroyer de la hauteur
S’il était enchanté de son corps
Ses ergots lui causaient du malheur

Se percher sur un tas de fumier
Situation peu honorable
Le plaçait au dessus du fermier
Personnage bien peu aimable

C’est vers la cour que son cœur penchait
Non pas là où vivent poulettes
Mais celle des puissants qu’il vénérait
Ceux-là qui ont la crête en goguette

Le coq se grandit tant qu’il le put
Usant de mille et un stratagèmes
Il voulut s’approcher de la nue
Pour rivaliser avec la crème

Ces beaux parleurs si prétentieux
Qu’on doit leur ériger un perchoir
Eux qui se prennent pour les rois des cieux
Lorsqu’ils s’adressent à l’auditoire

Pour cet emblème national
Son statut impose qu’une estrade
L’éloigne de toute cette volaille
Les gueux aiment tant la parade !

Il se grandit sur des échasses
Modestes tribunes pour l’orateur
Quand la police le prit en chasse
Craignant qu’il trouble les beaux parleurs

Dévoilant à tous le pot aux roses
Il devenait ennemi public
Car en prenant ainsi la pause
Il dépassait les politiques

Hélas, son sort en était jeté
À la demande de notre président
Ce petit prétentieux fut extradé
Sans ménagement par deux flamands



dimanche 26 mai 2019

L’obstination d’une sterne


L’instinct maternel


Il était une fois une sterne naine qui fidèle à l’immuable cycle de la vie, revint début mai sur la petite île qui l’avait vue naître, quelques années plus tôt. Elle n’était qu’un maillon d’une chaîne qu’elle n’entendait pas interrompre, reproduisant ainsi ce que l’instinct lui commandait d’agir comme l’avaient fait avant elles tous ses ancêtres.

Sa petite île, comme lors de chaque année avait subi quelques changements, des modifications qui ne l'empêchaient nullement de venir y pondre une fois encore. Elle s’était déplacée de quelques mètres vers l’aval, il y poussait désormais une espèce invasive : l’érable négundo, qui ne manquerait pas de réduire à néant la plage, mais ça, la Sterne n’en avait pas conscience. Elle se méfiait de plus en plus des goélands, qui venaient lui contester sa présence. Ceux-là, elle les craignait terriblement, les nouveaux arrivants à l’instar des cormorans, sont parfois mauvais coucheurs …

Un peu par insouciance, beaucoup par admiration pour ce beau mâle qui avait su la séduire, elle pondit trois œufs magnifiques au début du mois de mai. Elle n’avait pas traîné en chemin, l’amour donne parfois des ailes y compris aux sternes. Elle était très occupée à couver ses œufs quand, du côté de l’amont, il d’énormes orages se déclenchèrent dans les Cévennes. La pauvrette n’en savait rien, ne disposant pas encore des chaînes météo. Elle aurait compris alors que la Loire allait gonfler et noyer ses pauvres petits pas encore sortis de leurs coquilles.

Qu’à cela ne tienne, elle se remit à l’ouvrage avec son compagnon, ne tardant pas à pondre une nouvelle nichée. Deux œufs cette fois, tout aussi jolis que les précédents qu’elle couvait autant du regard que de son corps gracile. Mais hélas pour elle, la saison touristique avait débuté, les loueurs de canoës se frottaient les mains tant les touristes désireux de descendre notre rivière étaient d’année en année plus nombreux.

Ceux-là n’avaient sans doute pas écouté les consignes du loueur ni pris la peine de se documenter sur la rivière. Ils choisirent l’île pour s’arrêter pique-niquer, y laisser en partant, les reliefs de leur repas et pire encore, permettre à leurs enfants de se dégourdir les jambes en courant sur le sable. La Sterne avait fui, effrayée par ses intrus et le malheur fondit sur son nid. Les gamins écrasèrent les deux œufs dans l’indifférence et l’ignorance de ces gens en goguette.

Quand les embarcations repartirent, ils laissèrent la désolation derrière eux et ces panneaux de mise en garde et d’interdiction, qu’ils n’avaient même pas pris la peine de lire. De toute manière, c’était trop tard, l’irréparable avait été accompli. La Sterne et son époux pour la saison décidèrent de quitter l’île natale et d’aller chercher un nouvel espace plus tranquille.

Nous étions fin juillet, la Loire à son étiage leur offrit une plage parfaite, une île discrète, sur un boire, à l’abri des flots incessants de canoéistes, loin du batillage des quelques abrutis en Jet ski qui se moquaient tout autant de la flore que du silence en ces lieux enchanteurs. La belle eut cette fois plus de chance. Son unique œuf donna naissance à un bel oisillon qui à son tour reviendra là, pour reconduire ce cycle de la vie pourvu que l’eau puisse encore arriver jusque là.

Ainsi va la vie en bord de Loire, fragile et soumise aux aléas de la météorologie, de la nature et pire que tout, des étranges animaux qui vont debout sur leurs jambes arrières. Les sternes font avec tous ces impondérables, elles s’obstinent à maintenir la vie quand parfois les circonstances sont toutes défavorables. Celle-ci plus que les autres encore montra une extrême détermination et déjoua les règles de la nature pour pondre une troisième fois.

Quant à vous qui lisez cette histoire, ne marchez jamais de mai à août sur nos îles de sable, c’est là que viennent se reproduire bon nombre d’oiseaux migrateurs. Ils ont bien assez de soucis comme cela pour que vous ne veniez à votre tour, les tracasser dans leur désir d’enfanter. C’est la seule leçon à retenir de ce récit que j’ai pris garde de ne pas écrire avec une plume d’oiseau. Bon vent à la petite Sterne et à l’année prochaine si Dieu et les hommes lui prêtent vie.

Aviairement sien.

samedi 25 mai 2019

Descendre la Loire en canoë.



Conseils d’un béotien pour les néophytes.



Une aventure au long cours en canoë sur la Loire ou un de ses affluents réclame quelques précautions préalables. L’hiver va arriver à propos pour vous laisser le temps de vous préparer à ces vacances originales.

La première consiste dans le choix de votre embarcation. Un compromis entre poids, taille, stabilité et maniabilité s’impose. Chacun trouvera midi à sa porte mais l’essentiel est d’essayer votre futur compagnon de route au risque d’un divorce ou d’un chavirement inopiné. Votre position à son bord doit être confortable, vous allez y passer des heures. À titre personnel, j’ai toujours pensé qu’une rame symétrique avec pagaie était préférable à la pelle du canoë même si en disposer d’une permet de varier les plaisirs. Les spécialistes et les puristes s’insurgeront contre cette hérésie.

Essayer votre canoé ou votre kayak suppose de le faire en conditions réelles avec tout le barda. Ce n’est qu’ainsi que vous jugerez de la faisabilité de votre projet. N’ayez aucune crainte, comme pour les grandes randonnées pédestres, vous embarquez toujours beaucoup trop et vous finissez par vous délester au fil du voyage. Pensez donc à user des conseils d’une personne ayant effectué un raid comme celui que vous envisagez.

Le matériel transporté doit supposer un examen rationnel de la chose. Non seulement il faut des bidons étanches mais vous devez apprendre à les repérer, à organiser un rangement dans cette étrange valise mal commode. Vous devez encore penser à l’amarrage des bidons afin de ne pas les voir disparaître en cas de chavirement. Pour moi, la chambre à air de motocyclette découpée en lanières est l’objet idéal à l’utilisation rapide et efficace.

Autre gros problème, la sécurité de vos trésors. S’éloigner du bateau c’est prendre le risque de tout voir disparaître. Il convient non seulement de trouver une chaîne et un cadenas pour votre destrier mais également un dispositif dissuasif pour les petits larcins. Pour les véritables actes de pirateries, vous serez totalement démunis, le mieux étant de ne jamais trop vous éloigner de votre compagnon.

Ce qui suppose donc des roulettes afin qu’il puisse vous suivre dans un terrain de camping ou bien un passage trop délicat qui nécessite une sortie de l’eau. Là encore le choix est primordial et la qualité en ce domaine très inégale suivant les modèles. À vous de penser la chose solide, efficace et surtout d’une mobilité aisée.

Maintenant, sur l’eau il convient de ne jamais oublier le gilet de sauvetage en dépit de la tranquillité supposée de la rivière. Choisissez un modèle confortable, seyant, capable de vous permettre d’aller dans les villages traversés sans passer pour un extra-terrestre. Ceci est une question d’esthétisme mais aussi de capacité à ne pas être repoussé par les autres.

Les chaussures étanches et sécurisées s’imposent. Aller pieds-nus pour une telle aventure est pure folie. Cailloux, verres, canettes et autres surprises sont là qui attendent sournoisement leur heure. Un pied blessé, c’est la fin du parcours. La crème solaire est également dans l’indispensable panoplie de l’aventurier ligérien. Méfiez-vous des ciels trompeurs et n’oubliez pas non plus les lunettes de soleil qu’il convient d’attacher.

Tout attacher, c’est la règle sinon tout finit immanquablement par tomber à l’eau. Chacun trouvera ses petites astuces qui vous viendront au gré des sorties préparatoires. Le sac à dos étanche est indispensable lui aussi pour avoir avec vous vos trésors personnels : carte bleue, argent liquide, appareil photo, ordinateur ou téléphone.

Maintenant place à la navigation. Ne soyez pas galérien. Donnez-vous un programme qui laisse le temps aux rencontres, à la flânerie et aux visites. Ce n’est pas une épreuve sportive. Six heures de navigation sont assez, au-delà ce n’est plus du plaisir surtout si c’est ainsi des semaines durant. N’oubliez pas non plus que toutes les opérations de la vie quotidienne demandent dans pareille aventure plus de temps, de la toilette aux besoins pressants, des repas aux achats pour le ravitaillement. Un véhicule d'assistance vous simplifiera la vie mais vous fera sortir du cadre aventureux. C’est à vous de voir.

L’hébergement réclame une grande capacité d’adaptation. Des opportunités se présenteront à vous pour un hébergement, une nuit sur une toue, un campement sauvage ou bien une proposition insolite. Il convient de ne pas se couper de tels bonheurs par un plan de route trop rigide. Les campings sont pour autant des points de chute très convenables.

Dormir sur une île n’est pas toujours recommandé ni même autorisé. Vous risquez encore de déranger la faune et de provoquer quelques désagréments. Vos besoins naturels supposent alors respect et organisation. Je doute que chacun soit disposé à faire ce qui convient en ce domaine. Même si le sujet peut prêter à rire, il est fondamental et ne pas y songer c’est devenir à votre tour un souilleur de rivière.

La navigation demande connaissances et prudence. Des guides existent, nous pourrions vous les conseiller mais nous préfèrons que vous alliez vous renseigner auprès d’un club de canoë Kayak. C’est ainsi que vous aurez en plus des conseils bien plus précis que ce bref petit texte. La distance que vous allez parcourir est si grande que bien peu pourront vous enseigner tous les pièges qui seront sur votre trajet. C’est ainsi qu’il vous faudra souvent interroger ceux qui connaissent les lieux.

Le passage des ponts est parfois périlleux. Un repérage s’impose quand ceux-ci sont anciens. N’hésitez jamais à accoster en amont et vous rendre sur le pont pour voir d’en haut ce qui vous attend en bas. Si le passage vous parait trop dangereux, les roulettes vous sauveront la mise car un chavirement dans pareil cas peut tout remettre en cause.

Voilà, vous pouvez préparer votre aventure. Elle mérite d’être vécue. Nous sommes de ceux qui pensent qu’elle mérite d’être réalisée en solitaire. Si vous préférez un compagnonnage, choisissez bien votre ami et disposez d’un bateau chacun. Pensez à votre confort. Bien dormir est nécessaire, pouvoir s'assoir confortablement durant les repas et les pauses aussi. N’oubliez pas de nous raconter votre périple, de partager clichés et sensations, rencontres et anecdotes. Votre voyage deviendra alors une occasion d’évasion pour ceux qui n’ont ni la possibilité ni les moyens de le faire. Le partage sera un cadeau que vous leur ferez.

 

vendredi 24 mai 2019

Mesmin et le dragon.



Que la lumière soit !



Le métier de Bonimenteur n'est pas nouveau en bord de Loire. D'autres, bien avant moi l'ont exercé avec bien plus de talent et sans souci de vérité. Ils firent même preuve parfois d'une imagination débordante devant laquelle je ne puis que m'incliner.

En voici la preuve en une époque lointaine où les ligériens d'alors avaient sans doute besoin de lumière pour distinguer la vraie foi des pratiques obscures de nos ancêtres. Des hommes de robes sollicitèrent alors des services d'un conteur pour la gloire d'un tison et la défaite d'un dragon !

Nous sommes au début du VI° siècle, en 511pour être précis. Notre brave Clovis dont le patronyme signifie « Illustre dans la bataille », vint tenir concile en notre bonne ville d'Orléans avec 32 évêques. Il fallait installer durablement la foi chrétienne, se débarrasser tout dans le même temps de l'arianisme et des vieilles croyances païennes.

Pour asseoir une autorité religieuse naissante et encore chancelante, Clovis avait préparé le terrain en bord de Loire, en envoyant, trois années plus tôt, Saint Euspice et son neveu Mesmin construire un monastère sur la presqu'île de Micy, en un endroit proche de la Pointe de Courpin.

Les moines ne sont pas manchots, ils se mettent bien vite au travail, défrichent à tour de herses et drainent ces terres humides grâce à des moulins. Ils endiguent la rivière, construisent des levées et des jetées pour faciliter le transport des marchandises par la Loire et assurer leur gloire

Pourtant, ce travail de romain ne plait pas alentour. Le bon peuple en a fini avec la domination des latins et voilà que d'autres envahisseurs, à moitié francs, viennent leur imposer croyances et manières de faire. Les ligériens sont rétifs, Clovis devine qu'il faut frapper les esprits et les consciences pour leur faire entendre raison. Abandonnant la force, il use cette fois de la parole pour venir à ses fins.

Nos moines cénobites, puisque tel était la règle collective de nos joyeux bâtisseurs, firent appel à un raconteur d'histoires, un certain Nabumus, fort connu dans le pays pour faire avaler des couleuvres et bien des sornettes par la seule force de son imagination. Pour agenouiller les gens du pays, rien de tel qu'une belle histoire ! Elle vous met les crédules et les naïfs dans la poche et en fait des proies bien commodes.

Nabumus était alors un sage anachorète vivant dans une grotte située juste en face du monastère. Il traversa le fleuve sur une plate marinière et vint passer quelques jours parmi les moines pour trouver inspiration et plaisirs de la chair. C'est quand on a la panse bien pleine que les menteries vous viennent facilement à l'esprit. Ventre affamé n'a ni oreilles ni imagination …

Là, il trouva largement de quoi satisfaire son appétit et remplir sa mission tout autant que sa sous-ventrière. C'est d'ailleurs en observant attentivement le petit Mesmin, neveu du maître de maison, préparer un gibier à la broche qu'il eut l'idée de servir le conte qui tiendra lieu de légende dans le pays. Plus les ficelles sont grosses, plus la fable a de bonne chance de prendre, il savait la chose et ne se priva pas de l'appliquer.
Notre Bonimenteur, connaissant intimement les lieux et les gens du pays, leur amour pour la Loire et le goût pour les animaux fantastiques. Il inventa une bataille farouche et magnifique entre Mesmin armé d'un tison et un dragon qui aurait élu domicile dans la grotte (là même où notre brave conteur avait son domicile) dans un village qu'on nommait alors Béraire.

La chose était si extravagante, le combat si parfaitement raconté que bien vite, le soir au coin du feu, elle passa de bouche en bouche dans toute la région. Le succès fut tel que la grotte devint lieu de pèlerinage. La vraie foi avait balayé les vieilles croyances, Mesmin, par le truchement de Nabumus avait apporté la lumière de son tison miraculeux. Les croyances celtes, les cultes païens venaient de subir un coup fatal par le truchement d'une menterie à peine croyable ...

Mesmin fut bien vite déclaré Saint. Le temps était propice à la béatification. Dans l'abbaye de Micy cette belle promotion toucha 26 des 30 pensionnaires (on s'interroge sur les travers des quatre oubliés). Outre Eustache et Mesmin, saint Avit, saint Théodemir, saint Doulchard, saint Lyé, saint Fraimbault, saint Urbice, saint Sénard, saint Amatre, saint Calais, saint Pavas, saint Viatre, les deux saints Léonard, saint Rigomer, saint Liphard, saint Dié, saint Eusice, saint Almire, saint Ulphace, saint Romer, saint Ernée, saint Front, saint Gault et saint Brice démontrèrent tous que les temps étaient à la promotion rapide dans la maison.

L'histoire aurait pu se terminer là, entièrement à la gloire des moines et à la plus totale déconfiture pour notre conteur. Mesmin, à la santé fragile (qui était bien naïf pour l'imaginer terrassant un dragon) mourut en pleine gloire en 520 en réclamant à être inhumé sur le lieu de ses exploits mirifiques. Son tombeau devient un lieu de pèlerinage et des miracles, cela va de soi, devaient s'y produire.

C'est encore vers Nabumus que se tournèrent les moines pour tailler fable sur mesure pour faire la légende dorée d'un vil gredin. L'histoire d'Agylus, grâvce à lui, est arrivée jusqu'à nous. L'homme est notable d'Orléans. Nous sommes en 564, le vicomte rend une justice sévère et prélève l'impôt avec une grande gourmandise Un de ses serviteurs, un pauvre esclave, commet alors une faute grave. Il sait qu'il va encourir la vengeance terrible de ce maître sans pitié. Il s'en sauve afin de se réfugier dans le sanctuaire sacré. Il réclame le droit d'asile en une époque où il était respecté.

Agylus voit cela, fou de colère, il menace de faire un exemple. Il avance, l'épée à la main, mais parvenu auprès de la grotte, son cheval s'arrête et Agylus tout comme sa monture se sent frappé de paralysie. Alors, comprenant sa faute, il supplie par la prière saint Mesmin de lui rendre la santé et lui fait vœu de construire une église au-dessus de la grotte. Agylus tiendra sa promesse et héritera lui aussi de la récompense suprême. Désormais, il sera saint Ay et frappé par la grâce passera le reste de sa vie en bontés diverses.

Nabumus eut fort à faire en ces années de gloire. Il lui fallut tailler sur mesure des miracles pour tous les saints du monastère. Il y avait de l'ouvrage ! Personne jamais, ne lui attribua le mérite de toutes ses somptueuses légendes. Ceux qui vivent de belles paroles sont rarement récompensés en retour ! C'est la seule morale de cette histoire que nous n'êtes naturellement pas obligés de croire.

Hagiographiquement vôtre

jeudi 23 mai 2019

Houlippe, la fée ligérienne


Songe d'une nuit de brouillard.


Quand la Loire s'est parée de brouillard
Un manteau blanc recouvre la rivière
C’est le moment choisi par les sorcières
Qui donneront leur grand Sabbat ce soir

Les animaux n’iront pas à ce bal
Le mystère sera maître des lieux
Chacun devine que ce n’est plus Dieu
Qui préside aux destinées de ce val

Un cri déchirant vous glace le sang
Des remous à la surface de l’eau
Laissent entrevoir un curieux rafiot
Surgi des profondeurs en un instant

Voici la princesse Houlippe en personne
Elle dirige son bel attelage
Deux cygnes noirs dans la force de l’âge
Emportent dans les airs notre luronne

C’est le signal attendu dans la nue
De toutes parts surgissent des balais
Les dames blanches et leurs galants valets
Se souhaitent joyeuse bienvenue

On entend un orchestre aux mille cordes
Qui entame une folle farandole
Et la vallée se couvre de lucioles
Pour illuminer la sublime horde

Les danseurs dessous la voûte céleste
S’entremêlent en de furieux ébats
Tandis que Lucifer rit aux éclats
Réjoui de ce spectacle funeste

Cette nuit résonnera des murmures
Des âmes de tous les pauvres noyés
Qui une fois l’an sont ainsi choyés
En cette fête aux milliers de fêlures

Quand au matin le calme revenu
Le Soleil se lève sur notre Loire
Aucune trace de la folle foire
Ne révèle ce qui est advenu


mercredi 22 mai 2019

La Loire en canoë



Première sortie de l’année.




Avec mon compère Georges, nous avions décidé d’effectuer une sortie en canoë sur la rivière. C’est bientôt la fin mai, pourtant jusqu’alors les circonstances n’étaient guère favorables pour nous octroyer une petite fenêtre météo. La pluie et le froid s’invitèrent au programme des réjouissances qui attestent d’un dérèglement climatique certain. Le vent se mit également de la partie, lui qui constitue un redoutable adversaire quand il souffle ainsi à rebrousse courant ou bien dans l’avalaison. Dans un sens ou bien dans l’autre, il aime à pivoter l’embarcation, l’empêche de garder sa route et parfois lui joue de vilains tours. Ajoutez à ces contraintes extérieures, les diverses obligations d’une vie de saltimbanque et le pauvre canoë dépérissait au fond du jardin comme une âme en peine.

Cette fois, toutes les conditions étaient réunies. Nous nous retrouvions enfin sur cette chère Dame Liger, à remonter son courant sur quelques kilomètres en amont de la Binette. La fin mai est l’une des périodes les plus agréables pour tenter pareille aventure. Les peupliers nous envoient leurs laines cotonneuses semblables à la neige quand une rafale de vent agite leurs cimes. La rivière est couverte de petits moutons blancs tandis qu’autour de nous, les arbustes sont en fleurs. Ce spectacle réconcilie avec la nature jusqu’à ce que la sottise des humains ne viennent nous ramener à une vision plus prosaïque.

Des poteaux électriques brisés, gisent là, sur les bords de la Loire. Jetés ici pour ne pas compliquer le travail d’une entreprise soucieuse de ses coûts de production, avec gravats et ferrailles diverses. Le forfait a été accompli depuis quelque temps déjà, la nature semble reprendre ses droits, des arbres se moulent à ces immondices indécentes d’une société qui n’a que faire de la planète.

Les plastiques font cortège à ce béton désincarné. Ils jonchent les abords, font curieuses taches colorées sur la rive. Parfois, ils troublent la vision, passant pour un cygne au repos, une embarcation amarrée avant que de laisser voir leur vulgarité désolante quand on s’approche un peu plus. Pourtant, nombre d’initiatives ont permis un ramassage régulier des détritus d’une civilisation du mépris, ces reliefs de la modernité sont anciens et finissent par resurgir du sol, comme une promesse de cataclysme prochain.

La rivière se joue de nous, nous impose de la remonter en longeant la rive. Même si elle manque cruellement d’eau, elle nous résiste, nous surprend par des mouvements erratiques de ses flots. Ici un rocher qui affleure tant le niveau est bas, là un amas de branchages, plus loin un gigantesque arbre déraciné qui s’est planté au milieu de la rivière et qui offre spectacle envoûtant et remous inquiétants.

Ce sont surtout les amoncellements d’arbres qui nous impressionnent. Ils sont véritablement très nombreux. Une crue subite risquerait de provoquer bien des dégâts tant leur nombre ne cesse d’augmenter tandis que l’entretien des berges a été réduit au minimum. Ils constituent une sourde menace que nous percevons, sans pouvoir rien y faire. Nettoyer la Loire est certes utile, la désencombrer le serait tout autant.


Nous profitons du soleil pour jouir du spectacle, des reflets, des nuances de cet incroyable camaïeu de verts sur la rive. Hélas, une nuance, plus claire domine désormais. C’est l’érable négundo, un invasif notoire qui s’impose partout. Il décourage les castors, met à mal les espèces anciennes, prend toute la place tandis que la renouée nous vient du Japon pour nous jouer la même partition.

Au terme de notre lente remontée nous pénétrons la Darse de Darvoy pour y découvrir un paysage d'apocalypse curieusement d’une beauté à vous couper le souffle. Des arbres par centaines, fracturés à mi-tronc, gisent là, les pieds dans l’eau sur la rive. Ils sont noirs, étranges cadavres qui surveillent l’endroit tandis qu’à leurs pieds, une myriade de fleurs blanches dans l’eau font refuge aux garnazelles, nos grenouilles qui nous régalent de leurs chants. Les épineux sont en fleurs : églantiers et acacias. Nous faisons provisions de fleurs pour préparer de délicieux beignets.

Nous dégustons notre pique-nique sans imiter nos devanciers qui se sont amusés à laisser souvenirs indélicats de leur visite. Les canettes de bière jonchent les rives, semblant indiquer que les consommateurs de cette boisson houblonnée sont partout sur la planète fâchés avec la nature. Elles sont la marque de notre décadence. C’est désolant.

Nous reprenons notre canoë pour cette fois nous laisser porter par le courant. Sans effort, nous pouvons mieux admirer les mouvements et les passages des poissons. Nous sentons les parfums de la rivière. Il y a une légère inflexion de la météo. L’odeur ne trompe pas, elle annonce un passage orageux. Nous profitons de cette explosion de fragrances, le ciel n’est pas encore hostile. Les petites risées de vent nous couvrent de pollen. Tous nos sens sont en éveil. Quel bonheur !

Nous rentrerons assez tôt pour éviter la grosse averse. Nous avions deviné sa venue en nous saoulant des sensations qu’elle nous octroya. Je ne peux que vous inviter à faire de même, allez sur la Loire, sans moteur de préférence et laissez-vous porter par toutes vos gourmandises : olfactives, visuelles, auditives sans rien laisser derrière vous qui soit de nature à prouver votre passage. Nous ne sommes que des invités de passage sur la Loire.

Ligériennement vôtre.

Photographies de Georges A

 

mardi 21 mai 2019

Un pêcheur de Loire



Petit entrefilet pour Robert





Robert est un pêcheur de Loire. Professionnel en son art halieutique, il pratique avec passion un métier qui nourrit juste son homme et quelques gourmets privilégiés qui fréquentent les quelques restaurants ligériens qui reçoivent le fruit de son labeur. Pour Robert, tout a commencé sur le solex paternel. Du célèbre galet à notre Loire, il y a un monde et quelques grains de sable. C'est perché fièrement sur le marche-pied du célèbre vélo motorisé que Robert, flanqué de deux autres de ses cinq frères et sœurs, partait tôt le matin en compagnie de son pêcheur de père.

C'est à la pointe de Courpin, confluence de la Loire et du Loiret, que l'homme avait sa modeste barque en bois. Il y embarquait la part de sa famille qu'il avait réussit à placer sur son intrépide engin et la partie de pêche à la ligne pouvait commencer. C'est ainsi que Robert aima le fleuve et ses poissons … C'était un temps où les eaux étaient sombres, elles charriaient alors tous les égouts de nos villes. Une pollution organique spectaculaire, certes, mais bien moins insidieuse que celles qui suivirent, sournoises et invisibles, lourdes de métaux et de produits toxiques. Depuis, la Loire s'est faite plus présentable, ses eaux sont souvent claires sans pour autant que le poisson y soit plus abondant qu'autrefois. La faute à tous ces oiseaux pêcheurs qui n'ont jamais été aussi nombreux et qui font souvent vilaine concurrence à Robert …

Robert a pratiqué un autre métier. Jadis, il posait des faux plafonds dans une entreprise qui ferma ses portes en 1977. « Ma boite a coulé, j'ai choisi la Loire ! » Quoi de plus naturel en somme ? Sans aucune aide, sans subvention ni prime de départ, Robert s'est lancé dans la pêche professionnelle. Il a remporté une adjudication de pêches aux engins, il s'est mis à son compte. Depuis, sa longue et belle d'histoire d'amour avec le fleuve continue et elle durera encore quatre années avant qu'il pose ses filets et ses nasses pour une retraite méritée, de pécheur à la ligne.

Il est un peu moins de 18 heures 30 quand nous embarquions sur un futreau. Robert est monté à bord avec neuf cachettes en plastique, quelques bidons, un gros poids, une gaffe et sa tenue de marin pécheur. Des bottes, une paire de cuissards (bien imprudente sur un bateau) , un bonnet sur la tête ; un vieux loup de Loire … Au loin, la ville se pare de ses lumières du soir, la nuit s'annonce déjà !

La Loire roule un flot chargé, une eau sombre. Le niveau monte, les pluies récentes ont gonflé le fleuve. Il gronde, il mousse, il est vivant. Robert est inquiet. Il va falloir trouver coin calme, à l'abri de ce flot tumultueux pour y poser ses filets. L'homme est debout, il scrute chaque mouvement d'eau, il recherche des signes, par lui seul visibles, des indices de la présence des ablettes. Il a promis 3 kilogrammes de fritures pour un restaurateur de la ville.

Il m'évoque son métier passion, les heures qu'il ne compte pas, les levers au petit matin naissant pour aller lever les engins, recueillir ces gros poissons blancs qui vont aller constituer les terrines de Loire dans les restaurants du coin … Il décrit son travail, qu'il aime comme au premier jour, sa Loire compagne compliquée et si changeante !

Il a repéré une courbe près du tumulte du pont Thinat. Il espère que le filet, tenu par un poids de 10 kg va se lover dans le remous, se placer en arc de cercle pour prendre les petits poissons qui vont chercher le calme du contre-courant. C'est un pari, l'art du lanceur de filet. Nous allons aussi, sous le ponton, laisser un filet préservé des remous et du courant tout près du quai. Ailleurs, l'eau qui gonfle ne laisse pas d'autres endroits tranquilles.

Puis, c'est au tour du filet dérivant, un filet tendu au milieu du chenal, tenu par deux flotteurs qui vont accompagner sa lente descente paisible. Le bateau suit lui aussi cette progression du piège. C'est un moment étonnant, la nuit nous enveloppe maintenant, nous sommes une tache sombre au milieu de la Loire. Un moment merveilleux, paisible, irréel. Quel bonheur !

Au terme de cette lente descente, il faut lever le filet. C'est à chaque fois la surprise ou la déception. Le filet est vite rangé avec ses petits prisonniers dans une cagette, elle sera déposée dans une chambre froide ce soir et le poisson sera trié et livré le lendemain. La première levée est décevante, la seconde plus satisfaisante, la troisième levée marque la fin des espoirs, ce n'est pas le bon soir, la Loire monte trop, elle est trop troublée ce soir …

Il est plus de 20 heures, sur le quai la vie a presque cessé. Nous avons encore à lever les deux filets à poste. Le premier sous le ponton donne une relative satisfaction. C'est pour le dernier que Robert se pose bien des questions. Va t-on retrouver le filet en boule, pris par le courant violent à cet endroit ? Miracle, il n'a pas bougé, il a même merveilleusement rempli son office. La pêche est sauvée sur ce seul filet jeté un peu à l'improviste. Ce n'est jamais une science exacte nous avoue Robert, surpris. Le filet est déchiré au milieu, un gros poisson s'est libéré.

Nous rentrons au port, il fait nuit noire. La ville est déserte, nous déchargeons la récolte du jour. Robert s'en retourne ranger sa pêche pour la nuit dans ses chambres froides. Demain, il reviendra livrer le restaurant du produit de cette pêche à laquelle j'ai eu l'honneur d'assister. Avant, à 7 heures, il lèvera ses nasses, celles-là même qui lui ont permis de porter dans la soirée un beau silure, 1 aspe, 2 barbillons respectables, 1 chevesne et 1 brochet. Les poissons blancs finiront leur carrière en terrine. Le silure et le brochet orneront des assiettes plus gourmandes.



J'aime le vin d'ici : notre bon petit gris ...

  Que bois-tu Chalandier ? Que bois-tu Chalandier ? Ton verre est tout vidé Quel est ce doux délice Qui te met en supp...