mardi 30 octobre 2018

La dernière prophétie.



Le devin ligérien




Il y a deux siècles de cela, un vieil homme vivait reclus sur une île de Loire. Un jour, pour des raisons inconnues de tous, l'homme avait abandonné son métier de marinier, en même temps que son épouse et sa maison. Il avait choisi de mener une vie d'ermite dans une cabane sommaire qu'il avait construite dans le plus grand des arbres de son nouveau royaume.

Si étrange qu'il fût, il n'en avait pas moins gardé la sagesse des gens des bords de la rivière. Il connaissait ses débordements et avait prévu ainsi de se mettre à l'abri des crues en prenant de la hauteur. Si au début de sa réclusion volontaire, ses voisins le regardèrent d'un drôle d'œil, ils s'accoutumèrent peu à peu à lui rendre visite, à tour de rôle, pour lui porter de quoi se sustenter et survivre dignement.

Bientôt, ils n'eurent plus besoin de lui venir en aide. L'homme, pour inhabituel qu'était son comportement, avait désormais une réputation qui dépassait largement les rives de la Loire. Sa solitude, sa vie austère avaient peut-être modifié son rapport au monde. Il en avait gagné une acuité incroyable sur les choses de la rivière tout comme sur les humains, ces curieux animaux.

Il commença par annoncer la mort de la marine marchande sur la Loire à une époque où nul ne trouvait la chose concevable. On se gaussa d'abord de lui, puis les années passant, on fut bien obligé de reconnaître que le vieux fou avait eu raison. Bien d'autres révélations d'ailleurs, avaient été écoutées avec le même effarement par les Ligériens de l'époque.

Ainsi, il fut le premier à annoncer la disparition des saumons, l'abaissement du lit du fleuve, la rupture d'un barrage qui n'existait pas encore, l'empoisonnement des eaux et l'apparition d'étranges cheminées le long de nos berges qui un jour sèmeraient la mort et la désolation. A toutes ces prophéties, personne ne pouvait accorder le moindre crédit. Pourtant, à chacun, il prédisait des évènements personnels qui ne manquaient jamais d'advenir. C'est ainsi qu'en peu d'années, sa réputation de voyant fut telle, qu'il recevait chaque jour, des visiteurs venus de tout le pays.

Il fallut organiser ce défilé incessant, mettre en place une charrière pour venir deux fois par jour, amener le flux des curieux en mal de leur avenir. C'est toujours avec justesse qu'il leur indiquait une naissance ou un mariage, un deuil cruel ou bien un procès, une bonne nouvelle ou une catastrophe à venir. Jamais personne n'avait eu à prétendre que ses supputations s'étaient révélées trompeuses …

Pourtant, nul dans le pays ne crut aux propos si noirs sur le devenir de la rivière. Avec un peu plus de clairvoyance, bien des maux eussent été empêchés mais les humains ne se préoccupent bien souvent que de leurs intérêts propres et trop rarement du bien collectif et de la nature. Ce qui était vrai en ce temps-là, l'est toujours à notre époque et ceux qui annoncent à présent les drames à venir, ne sont pas plus écoutés aujourd'hui que notre personnage alors …

Les années passèrent, l'homme se faisait vénérable mais refusait néanmoins de revenir à terre. Il s'accrochait à son arbre et à sa vie insulaire avec obstination et vigueur. Il espaça seulement les visites de la charrière et exigea qu'on réduise le flot des visiteurs en mal de bonne aventure. Il fallut établir un tirage au sort pour choisir ceux qui auraient l'honneur de l'interroger. De mauvaises langues prétendirent, à l'époque, qu'il y eut des dessous-de-table pour accorder ce privilège et que bien des notables réclamaient une priorité qui ne se justifiait nullement.

C'est justement un jour de 1929, qu'un groupe de puissants de cette planète obtint l'exclusivité de la traversée vers le devin ligérien. L'homme bien qu'affaibli, reçut néanmoins ce groupe, inhabituel en un tel lieu. Ces hommes en noir, respectables et imbus de leur personne, ces puissants de la finance et de la politique internationale, pataugeaient donc dans la boue en ce lundi 28 octobre 1929 …

C'est alors qu'à bout de force, le devin tint à ce bel aréopage distingué des propos d'une extrême gravité. Il leur dit en substance que le lendemain, le soleil ne se lèverait pas sur la Loire. Sans attendre une minute de plus, ces personnages, enjoignirent au passeur de les ramener sur la berge et se précipitèrent pour donner des ordres dans leurs pays respectifs. Le 22 septembre 1928 avait été installé le premier central téléphonique automatique et la nouvelle fit le tour du monde économique.

Nos hommes, incapables de tenir leur langue, divulguèrent à tous la terrible prophétie. De partout en ce modeste village, les gens se ruèrent dans les tavernes, abandonnant leurs travaux pour une dernière nuit de bombance. D'autres se renfermèrent chez eux pour profiter, en compagnie de leurs proches, de ces derniers instants qui leur restaient à vivre.
Il se dit que jamais on ne connut dans la région une telle nuit de folie. Hommes et femmes buvaient et forniquaient frénétiquement sans retenue ni pudeur. Pendant ce temps, les hommes en noir donnaient des ordres étranges pour récupérer tout leur argent de l'autre côté de l'Atlantique.

Au petit matin, il y avait bien peu de gens capables de se tenir debout. Les buveurs et les noceurs gisaient là, à même le sol, enivrés et fourbus par des débordements sans nom. Seuls nos hommes d'affaire étaient encore à œuvrer pour sauver leurs avoirs, afin de partir riches pour un autre monde. De ces gens, il n'est rien d'autre à attendre que leur appétit inextinguible pour l'argent, fût-ce sur leur lit de mort.

C'est l'un de ces maudits personnages qui découvrit alors que, comme les autres jours, le soleil se levait en majesté sur la Loire. Il se garda bien d'en avertir ses collègues trop affairés à donner des ordres et se hâta de prendre un bateau pour aller demander des comptes au vieil homme. Il le découvrit sans vie sur son arbre. Le devin ligérien n'avait pas menti ; le soleil ne s'était pas levé pour lui …

Quand tous les gens de la contrée se réveillèrent avec la gueule de bois, la nouvelle de la fin du monde ne leur apparut plus si évidente. Pour la première fois, le vieux fou s'était trompé et il emportait dans sa tombe la responsabilité de cette nuit de folie. Beaucoup lui pardonnèrent cette ultime sortie, ils gardaient en effet un merveilleux souvenir de cette nuit d'ivresse !

Hélas, il fallut plusieurs jours pourtant pour que chacun comprenne que le devin n'avait pas eu tout à fait tort. En effet, c'est bien le mardi 29 octobre que se produisit, par la faute des visiteurs du pauvre défunt, le plus violent krach boursier que l'économie ne connût jamais. Un monde s'écroulait, une guerre terrible allait naître de ce séisme boursier.

Une fois encore, le vieux sage avait eu raison mais nul n'avait compris son message. D'autres catastrophes sont à venir si l'homme conserve sa terrible soif d'argent et de puissance. Si vous preniez la peine d'écouter les histoires d'un bonimenteur de Loire, héritier lointain de ce devin ligérien, vous comprendriez qu'il est plus que temps de changer nos pratiques si l'on veut continuer à voir le soleil se lever sur notre Loire et partout ailleurs.

Quant aux puissants et aux importants, il y a bien longtemps qu'ils n'écoutent plus les paroles des sages et c'est tant mieux. Rien ne peut être sauvé tant qu'ils se mêlent des affaires du Monde. C'est à nous, gens de peu, de prendre en main le destin de la planète et d'écouter enfin les prophéties de tous les devins lucides. Voilà une vérité qui ne se discute pas et je vous prie de bien la conserver dans la besace de votre raison …

Prophétiquement vôtre.



Le darwinisme ligérien



Une leçon de choses




Il était une fois une petite espèce endémique à nos rives de Loire. Petit mammifère de la famille des Apodemus, il était appelé autrefois mulot des rives. Ce petit rongeur bien sympathique vivait alors tranquillement à proximité de ses grands cousins castors, qui en cette époque lointaine, pullulaient sur la rivière.

Contrairement aux castors, le mulot des rives vivait un peu à l'écart de l'eau. Il faut avouer qu'il n'aimait guère se retrouver les pattes dans l'eau et qu'il était incapable de nager. Les scientifiques ne se penchèrent jamais sur cette étrange particularité qui par la suite, expliquera la curieuse évolution constatée chez les rares survivants de l'espèce.

Le mulot des rives cherchait refuge dans les varennes, lande qui jouxte le lit moyen du fleuve, où il pouvait se réfugier en cas de montée des eaux. Il connut une vie paisible jusqu'au moment où les hommes, à partir des années 1600, se lancèrent dans l'aménagement des berges de la Loire car il était nécessaire de préserver les belles demeures installées dans le lit supérieur. C'est ainsi que furent dressées des barrières de terre d'abord, de pierre ensuite, qu'ici on nomma turcies puis levées.

Contraint de changer d'habitat, notre mulot des rives ne pouvait se rapprocher de la rivière à cause de sa phobie de l'eau, pas plus qu'il n'osait se risquer de l'autre côté des monticules, dans ce Val qui lui semblait hostile. C'est donc sur les nouvelles constructions qu'il établit domicile.

Obligé de s'adapter rapidement à son nouveau domaine, notre petit rongeur fut cependant mis en difficulté par ce territoire pentu où il devait affronter une déclivité de fort pourcentage. Certains jours de mauvais temps, avec la pluie, le gel ou la neige, le pauvre animal ne pouvait ni descendre ni remonter la pente sans risquer la culbute.

Les générations se succédèrent; la nature faisant toujours bien les choses, les familles qui survécurent à la nouvelle donne furent celles qui évoluèrent en perdant la symétrie de leur train de propulsion. Petit à petit, de portées en portées, un particularisme étonnant surgit de la formidable loterie génétique. Des animaux naissaient avec les pattes plus longues d'un côté que de l'autre, s'adaptant ainsi parfaitement à la vie sur les levées qui devenaient d'ailleurs de plus en plus hautes.

Ce petit miracle d'adaptation ne fut pourtant pas sans désagrément pour l'espèce et les individus eux-mêmes. Le mulot des rives qui naissait « gaucher » ( avec les pattes gauches plus longues que celles de droite) ne pouvait se déplacer qu'avec la Loire à gauche tandis que son homologue droitier devait aller dans l'autre sens. De là, la disparition progressive et presque totale de l'espèce représentée dans nos régions tout au plus par de rares spécimens .

Les pauvres bêtes, non seulement ne pouvaient revenir sur leurs pas, mais le plus grave étaient qu'elles éprouvaient de plus en plus de difficultés à se reproduire . En effet, un mâle gaucher et une femelle droitière étaient dans l'impossibilité technique de copuler sans se retrouver cul par dessus tête. Il leur eût fallu inventer des postures complexes mais malheureusement ces pauvres animaux ne pouvaient consulter le Kamasutra.

Ainsi donc, l'espèce se spécialisa entre gauchers et droitiers qui ne se croisaient qu'une fois dans leur existence. Se posa alors le terrible problème de leur migration à sens unique. Arrivés au terme de leur long chemin , les gauchers tout comme les droitiers ne pouvaient faire demi-tour …

Tant que la marine de Loire exista, les mulots des rives avaient trouvé une astuce. Il leur suffisait de se glisser comme passagers clandestins sur l'un des magnifiques bateaux qui allaient sur la rivière pour revenir à leur point de départ. Malheur pourtant à ceux qui débarquaient sur la mauvaise rive quand le chaland arrivait à Nantes ou bien à Roanne.

Certains individus découvrirent l'usage du pont pour retomber sur leurs bonnes pattes. Mais avez-vous songé à traverser un pont avec une jambe plus courte que l'autre? Rien n'est, la plupart du temps, plus plat qu'un pont. Bien des mulots des rives finirent leur vie devant ce problème insoluble. Heureusement, il y avait sur la rivière quelques ponts en pente, comme ceux de La Charité sur Loire, Gien et Blois qui sauvèrent assez de mulots des rives pour que l'espèce parvînt à survivre.

Le vingtième siècle fut, de toute évidence fatal à ces pauvres petits rongeurs. Plus de bateaux sur la rivière, des automobiles sur les ponts, même ceux qui sont en pente, le mulot des rives connut un tel déclin que l'espèce disparut. C'est du moins ce qui se dit sur les rives de Loire car personne, depuis bien longtemps n'en a vu un seul.

Le petit rongeur des rives trouva pourtant une manière de survivre de manière symbolique. Nos amis les solognots, toujours un peu jaloux des gens du fleuve, inventèrent une fable à dormir debout pour attraper les touristes et les Parisiens qui aimaient à venir chasser ou pêcher dans leur belle région.

C'est ainsi que le Dahut, animal mythologique, animal de farce et de pleine lune fit son apparition dans les histoires à ne pas croire. À bien des égards, ce sont les malheureux mulots des rives qui avaient inspiré les diseurs de menteries au ventre jaune. Nous ne pouvons leur en tenir rigueur car grâce à ce joli subterfuge, ils ont maintenu la mémoire de cet étrange petit animal qui avait su s'adapter à l'aménagement des rives de la Loire.

Charles Darwin n'aurait pas eu besoin d'aller si loin pour trouver sa théorie. Mais il faut avouer qu'on ne voit jamais d'un bon œil un Anglais déambuler sur nos rives. Souvenons-nous, qu'à la même époque, le pauvre Stevenson, l'homme du chemin éponyme, goûta de la prison à Chatillon-sur-Loire. C' est un fait avéré: au pays des mulots des rives, on n'aime guère ceux qui roulent de l'autre côté !
Quant à trouver une morale à cette histoire, on en serait fort embarrassé. Si ce n'est que pour se croiser, il est bien compliqué de le faire avec une ou un partenaire qui va dans l'autre sens. Je crois que la remarque vaut certainement plus pour les mulots des rives que pour les humains. Mais qui sait ?

Naturalistement vôtre.

Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet, chevalier de Lamarck fut celui qui étudia le mulot des rives et jeta les bases de la théorie de l'évolution. Dans son célèbre Mémoires d'histoire naturelle paru en 1797, il cite à plusieurs reprises cet étrange animal. Il n'a malheureusement pas pu en fournir un illustration acceptable. Nous pouvons le déplorer puisque le mulot des rives disparut bien peu d'années plus tard. 

 

dimanche 28 octobre 2018

Le cadeau empoisonné.



Quand l'amour vous fait perdre la tête.


Il était une fois en bord de Loire un modeste village à l'écart des richesses de ce monde. On y vivait chichement. Les gens de ce pays étaient des Valerots, habitants d'une modeste vallée soumise régulièrement aux assauts de la rivière. Sur l'autre rive, les Berlots ignoraient les rigueurs de la pauvreté. Ils profitaient du commerce fluvial, récoltaient la vigne et s'enrichissaient aussi vite que ceux d'en face s'appauvrissaient.

C'est ainsi qu'en cette époque lointaine, la Révolution n'avait pas réduit les inégalités de la nature ou de la destinée. L'a t-elle fait un jour ? Ceci est une autre histoire qu'il ne nous appartient pas de juger ici. Nous avons mieux à faire que de nous soucier de telles préoccupations d'autant plus qu'en cette année 1795, les paysans ont encore à souffrir d'un hiver terrible.

Celui de 1788 n'était pas encore oublié qu'il fallait supporter des rigueurs plus effroyables encore. On se souvenait des montagnes de glace, des arbres se fendant sous l'effet du gel, des terres qui ne voulaient plus rien donner. Il fallait encore supporter de pareils assauts. La vie était un long fleuve de larmes de ce côté-ci de la rivière …

Aux rigueurs climatiques, il fallait encore ajouter les folies des hommes. Le village avait largement payé son tribut à la ponction des hommes. Les agents de ce qu'on appelait encore la Royale avaient, à force de boissons et de menteries, convaincu bien des pauvres bougres de s'engager sur les bateaux de guerre qui allaient libérer la Nouvelle Angleterre.

Ils furent nombreux à partir, bien peu à revenir et certains en bien piteux état. Il leur manquait un membre à moins qu'ils n'aient perdu la raison. Dans l'église du village où se dénouera l'histoire que nous allons enfin vous conter, un exvoto étrange rappelle cette douloureuse mémoire. Un navire de guerre puissamment armé, un 3 mâts et ses 120 canons, trônent en guise de prière au dessus de la nef.

C'est encore sous cette maquette que se déroulera le drame qui va enfin nous occuper. Mariette est une paysanne, belle et attirante, la langue aussi pendue qu'elle met du cœur à l'ouvrage pour subvenir aux besoins de ses vieux parents. Elle a tant à faire que malgré ses attraits qui font tourner plus d'un regard concupiscent, elle n'a guère de temps pour se préoccuper de la bagatelle ou des promesses de mariage.

Parmi ses soupirants silencieux, il y avait un sabotier, aussi adroit de ses mains que malhabile de sa langue. Jamais le pauvre Marcel n'osa lui avouer sa flamme, une passion fort incommode quand on fait commerce du bois. Un jour pourtant, Mariette ne pouvant faire autrement, fut contrainte de mander à Marcel une paire de sabots neufs.

La dépense était considérable pour elle. Elle n'avait d'autre choix de la faire, ne pouvant aller nus pieds de par les champs et les chemins. Elle choisit le modèle le plus simple, le seul qu'elle pouvait s'offrir au prix de nombreux sacrifices. C'est du moins ce qu'elle avait réclamé … Marcel quant à lui avait les yeux de l'amour pour la belle.

Timide et taiseux, il mit toute sa passion dans ces modestes sabots. Il choisit le bois le plus solide, il les creusa avec amour et lui dessina des formes que jamais on n'avait vu dans la contrée. Quand Mariette revint chercher sa commande, elle ne fut pas dupe. Elle comprit le message que le sabotier lui envoyait, d'autant que le prix réclamé n'avait aucun rapport avec la qualité des souliers.

Pourtant l'heure n'était pas au batifolage. La rigueur des temps contraignait chacun à user de toutes les ressources pour trouver un peu de pitance. La famine menaçait. Il fallait trouver de quoi manger et cela occupait fort Mariette et tous les autres du village. Jamais misère plus cruelle n'avait frappé le pays Valerot. On espérait même quelques gestes de compassion des voisins Balots.

C'est dans ce contexte douloureux que la nouvelle République imposa un impôt aussi injuste que terrible. La colère fut à son comble quand, en dépit des rapports et des requêtes, le receveur impitoyable vint réclamer son dû au nom d'un état qui n'a jamais entendu les plaintes des plus humbles. Malgré le contexte révolutionnaire, c'est dans l'église qu'une assemblée de 1 500 villageois se regroupa pour exprimer sa colère et son incapacité de payer l'impôt inique.

Mariette était l'une des plus virulentes du lot. Elle était dans une rage que seule la misère peut expliquer. Elle élevait la voix, injuriant celui qui voulait achever de les ruiner. Le receveur se montrait si arrogant que la pauvre Mariette perdit tout contrôle. Elle empoigna l'un de ses sabots tout neuf. Elle l'éleva au-dessus de sa tête et en frappa le receveur d'un coup si violent que l'homme en mourut ! Jamais il faut le reconnaître, Marcel n'avait fait des sabots aussi parfaits …

La suite, hélas, ne se soucia ni du contexte ni de l'amour. La pauvre fut prise et emportée par les gardes républicains. Malgré les doléances et les plaintes de toute la paroisse, Mariette fut jugée à la hâte et c'est pieds nus qu'elle monta sur l'échafaud. L'amour secret du pauvre Marcel lui avait fait perdre la tête. Elle appliqua à la lettre cette étrange expression et jamais plus elle n'eut la crainte des lendemains difficiles.

L'impôt fut perçu, rien n'arrête jamais une décision de la puissance publique. Marcel resta inconsolable même si la mort du receveur fit beaucoup pour la réputation de ses sabots. Son artisanat fut prospère, il n'en vendit plus qu'il n'en pouvait faire sans jamais profiter de cette manne financière. Il n'avait plus le cœur à rire, Mariette n'était plus là pour remplir son bas de laine …

Voilà mon histoire est terminée. Il est bien difficile d'en établir une morale. Que l'amour fasse perdre la tête, nul n'en a jamais douté. Que la faim soit un argument frappant, les hommes raisonnables ne le remettent pas en cause mais il est plus sage de ne jamais viser la tête, les responsables de cette odieuse injustice. C'est toujours les humbles qui en paient les sabots cassés !
Fiscalement vôtre.

samedi 27 octobre 2018

La folie des grandeurs …


Le premier à avoir la banane !


Nous sommes au balbutiement du commerce triangulaire. Les Antilles servent de base française pour la culture du cacaoyer et du caféier. De riches marchands entrevoient des perspectives remarquables pour faire fortune sans être bien regardant sur l'utilisation d'une main d'œuvre contrainte et humiliée. Parmi ceux-ci, un jeune loup, originaire d'Orléans, veut tenter sa chance de l'autre côté de l'Atlantique.

Notre homme s'appelle Barier, il a décidé de s'implanter sur le nouveau continent pour faire fortune et revenir au pays réaliser le rêve fou qui ne l'a jamais quitté : devenir échevin de la cité johannique. Mais pour ce faire, il lui faut se faire.... un nom dans la grande confrérie des Marchands, réussir en affaires, devenir un personnage influent sur la place.

L'homme dénué de scrupules, était prêt à tout pour assouvir son désir de gloire. Ainsi fut-il l'un des premiers à exploiter le travail des esclaves dans ce joli coin des Caraïbes. Les indigents, les pauvres hères qui arrivaient aux Antilles étaient des collaborateurs idéaux pour tenir à peu de frais une plantation. De plus, les travailleurs forcés venant d'Afrique étaient parfaitement adaptés au climat des tropiques et avaient la réputation de résister bien mieux aux maladies que leurs homologues européens.

Il faut reconnaître que seulement 13 % d'entre eux mouraient lors de ce terrible trajet alors qu'ils étaient attachés à fond de cale dans des conditions épouvantables tandis que les marins européens étaient atteints en plus grand nombre, touchés par les maladies tropicales. On estime que les pertes s'élevaient à 40 % pour un équipage qui pourtant vivait au grand air …

Le sieur Barier, fin observateur des données évoquées ci-dessus, en conclut qu'il y avait avantage non négligeable à exploiter ces gens dans sa grande propriété. Bien vite, il put envoyer sa production jusqu'en Orléans, sa bonne ville. Le cacao et le café, à l'issue d'un long voyage, arrivaient à Nantes et, après transbordement, remontaient la Loire sur des chalands.

Pour ombrager les plantes précieuses, bien vite, on importa dans les colonies des bananiers, non pour en récolter le fruit mais pour profiter de leurs grandes feuilles . Quelques tentatives de transports de bananes vers l'Europe avaient échoué. Le trajet ne permettait pas d'acheminer un fruit délicieux mais ô combien fragile …

Le sieur Barier, enivré par son rapide succès commercial, fut en proie à des délires de grandeur. Il avait lu-car l'homme sous des aspects d'affairiste diabolique n'en était pas moins un lettré honorable, capable de puiser dans la littérature des exemples édifiants- qu' Alexandre le Grand avait été le premier européen à manger une banane trois siècles avant l'avènement de Notre Seigneur miséricordieux. C'est ainsi que naissent les grands destins et les plus folles aventures …

Notre homme se prit alors du désir de manger une banane sur les bords de la Loire. Chacun a, au plus secret de son cœur, une ambition qui nourrit ses rêves et ses phantasmes. Bien souvent, cela reste un doux songe qui revient à l'esprit quand la vie vous joue quelques vilains tours ; chez Barier ce devenait véritable obsession. Et c'est fidèle à sa devise : « Ce n'est pas parce que c'est impossible qu'il ne faut pas oser, mais parce qu'on n'ose pas que ça devient impossible ! », que notre homme se mit en tête d'importer, dans la cité johannique, un bananier.

Nous étions en 1690 ; il lui fallut faire bâtir un espace végétal au sud de la Loire avec de grandes serres pour réaliser son rêve. Le jardin des plantes était né pour favoriser le dessein du grand homme. Un bananier traversa à nouveau l'Atlantique à destination, cette fois, de la vieille Europe, de la cité johannique.

L'homme avait, durant son séjour aux Antilles, pris goût à se faire servir par des hommes dociles sur qui il avait pouvoir de vie ou de mort. Pourquoi ne pourrait-il pas, se dit-il alors, dans son domaine d'Orléans, au lieu de quérir main-d'œuvre qu'il lui faudrait payer, ne fût-ce qu'avec un lance-pierre, aller chercher à l'Hôtel-Dieu, quelques vagabonds ? Il les emploierait le temps de les remplumer un peu et les rejetterait à la rue avant qu'ils n'aient velléité de prendre leurs marques.

Ainsi fut fait par cet homme sans scrupule. Il faut lui reconnaître que c'est sans doute la meilleure disposition qui soit pour réussir dans son ambition municipale. Les gens de bien, les honnêtes et les respectueux de leurs semblables sont certains d'échouer dans cette rude bataille du pouvoir. Il avait donc tout pour réussir.

Toute sa stratégie reposait sur ce bananier, couvé du regard par les nécessiteux et un jardinier qui n'avait jamais vu pareille plante dans ses serres. Qu'il lui fût demandé de chauffer l'orangerie lui paraissait totale fantaisie d'homme devenu riche sans avoir transpiré pour cela. Mais ce que le maître veut est exécuté surtout si celui-ci dispose des moyens de surveiller l'accomplissement de ses ordres.

Ce n'était pas le cas du lointain Barier. Les Antilles étaient suffisamment éloignées des rives de la Loire pour ne pas faire craindre une visite inopinée. Le malheureux bananier en exil dépérit dans son grand pot ; dans sa serre jamais chauffée, il prit froid, s'étiola et finit par perdre ses feuilles sans donner le plus petit régime. Triste fin pour une plante qui découvrait la douceur de la Loire.

Quand Barier revint de ses îles avec l'envie de tirer les marrons du feu, fort de sa fortune amassée sur le dos des esclaves, il se précipita dans la serre pour réaliser le geste d'Alexandre le Grand. Devant la plante desséchée et agonisante, il fut pris d'une immense colère. Que n'avait-il confié cette culture à un homme de confiance ? Il déplorait amèrement sa pingrerie.

Le bananier était si maladif qu'un jardinier d'occasion avait déclaré : « Il n'a que la peau sur les os ! » Tout le monde avait bien ri ; l'expression avait amusé toute la ville et bientôt il se murmurait à Orléans que le sieur Barier avait glissé sur une peau de banane, sans que personne n'ait jamais vu ce mystérieux fruit.

Si avoir mauvaise réputation n'est pas un handicap quand on aspire à de grandes fonctions, faire rire de soi est bien plus mauvaise propagande. C'est ainsi que l'homme, toujours moqué, à force d'entendre sans cesse des gens rire sous cape à son passage, se résolut à retourner vivre le reste de son âge dans ses chères Antilles. N'est pas Alexandre Le Grand qui veut : le sieur Barier l'avait appris à ses dépens !

Hélas, l'homme était mauvais ; il retrouva ses esclaves qu'il traita de la plus vile des manières. Il passait sur ces pauvres gens sa frustration et son dépit. Ainsi, devenu le maître le plus effroyable, il fut confronté à une révolte de ses sujets. Même si celle-ci fut réprimée dans le sang, elle fit tant de dégâts dans l'exploitation comme dans les têtes, que bien vite la ruine succéda à la fortune.

Le sieur Barier dut vivre de mendicité et de charité. Il avait tout perdu et jamais ne revit les rives de la Loire. On oublia vite ce méchant homme qui se voyait Prince et avait fini dans la plus grande misère. Encore heureux qu'il ait eu, dans son naufrage, la chance de rencontrer de braves âmes pour lui offrir de quoi manger. Tous ne sont pas comme lui, disposé à toutes les bassesses pour s'élever dans le Monde !

Bananement sien.

A la manière de Gaston Couté


Quèques Berdouillements de ch'eux nous !



« C'dimanche là, jour pour s'enfeignater, je m'avons pourtant déyeucher dès le chant du coq ! J''avions cassé la croûte de boumn heur , pouill'é ma biaude et quéri moun couémiau et mon palquiot, j'afisltole en dimanche. Point d'affutiaux s'l''dos pour journée de fête ! Dès l'ver du jour, j'm'étons mis en route ! 
J'm'en allons, pauv' mariniers de Loire, me distraire un brin, à la foire à la louée.

Tout c'monde du bourg et d'alentours se pressera comme à confesse pour s'encanailler au bord du grand fleuve royal, not'Loire parfois si brutale, était en ces biaux jours de Saint Jean, gentille comme une charlusette ! Grande et belle assemblée qu'voil'à, nous autes, les gens de peu on va Gouépailler et s'abasoudir pour not'seul contentement ! An huit, c'est le grand concours' des nayons du pays : des vieilles plates, des barquasses ben usées par les ans et les fâcheries du fleuve.

Tantôt les gars d' not bourg ligérien , j'en suis certain, vont régler leu' compte à ceusses de la gran'ville et à qulques feremiers de biauce qui vont s'enseayer à ramer ! Tout l'monde est ben gaitiau au futur spectacle des rames qui vont s'cabosser, des corps qui s'culbuteront des caberioles de tout' ceusses qui vont se ramasser dans l'eiau . Nous les gars du fleuve, on s'ra ben benaise, on va s'berlancer sur la rive tandis d'aut' vont biger nos garnazelles !

On s'retrouve là pour s'encanailler sur' l'dos des culterreux, les mangeux de terre aux gros sabiots de bois et ces malembouchés d' bourseoisiaux d'la ville En attendant, y'a un p'tit vent ben frisquet sur not' berge et qu'à s'accoter sur la levée on pourrait ben attraper la mort avnt qu'not' heur ait sonnée.

Alors on s'presse pour se mett'e dans le gosiers queques godets de vin : une bonne saoulée de no't goutteux Baccou ça vous r'met d'aplomb un houmm' qui va passer l'après midi dehor'. Le breuvage vous réchauffe les boyaux du vent'e et délie itou les langues. Y'a à c't'heure ben plus de boniments sans queue ni raison que d'propos sensés, mais en c'repos festif, on a ben l'drouet de se laisser aller. Y'a même Mounsieur l'Maire qui s'en bagosser un brin avec nous aut', preuv'qu'il était pas fierot not' jollet !

De bons p'tits gars font leur arrivée sur le fleuve à grands coups de rame, on abandonne à r'gret not' bordée de barique et on s'agglutine le long du quai. On s'demande ben pourquoi ces pe'tios soufflent comme de beufs, qu'ils su', qu'ils geingnent, qu'ils quintent 
pour gangner l'bout de gâtiaux qui récpmpensera les vainqueurs d'an 'huit.

Un malfaisants s'est entr'aponté avec l'équipage d'à côté, ça fait grand chahut de bois qui s'entrechoque. Les barquasse s'en vont à Hue ou à Dia au gré du vent et du courant . À la grosse vague du pont, nos ouésieaux brancillent, tersautent un grand coup avant qu'd'chavirer itou le bec dans l'iau. Pas si tôt sur la berge que l' plu ingarmenté de la bande insole à plaisir le berlaud d'en face. Dans l'iau y'en a encore qui s'berdille, l'a pas l'air de savoir nager. C'est avec un grand aveniau qu'il faut le hisser sur la berge pour l'tirer de ce mauvais pas ...

D'autres, s'emanche sous le pont, quand la Loir' s'enfâche et fait gros bouillon et belle écume. Y'a p'us moyen de les reconnaître Y sont pareillemnt trempés l' tête aux pieds. Faut dire qu'elle est bien mouiollante not' tbelle fille Liger !

Depuis d'début de leur vadrouill', z'on pris des siaux d'iau sur le coin d'leur nez. Z'ont même pris sur l'dessus leur tête, une grosse secouée rien que pour eux, ceusse qu'étaient sur le fleuve. C'est ben l'charme de ce fleuve de vous virer le temps qui fait, de faire la pluie comme le joli temps et de ne jamais être partageux pour les eaux du ciel.

Mais rentournons-nous à la course de nos bateaux. V'las ti pas que deux barques s'accotent et nos péquits s'lancent
 des coups de boxe et l'moins malin s'retrouv' le cul par dessus bord. En v'la des aubourgs qui nous font ben rire, nous qui avons les pieds ben au sec. À la fin partie, c'est un gars d'chez-nous qui passe tout fierot la marque d'arrivée.

Nous les aime-bouillons, étions tous gaïtieaux et forts content du triomphe du plus ficelle alentour. Et tertous, l'pésan coumme el'riche,
 l'amrinier tout coumme l'pauv' pésan, on s'met à beugler à plein poumons pour l'encourager. C'est ti drôle ce tas d'gens qui braill'nt coumm' des vieaux sur les bords d'l'ieau!

La cours' terminé, nous vl'a ben embernés ! Nous aut ' nous n'avons eu de cesse d embistrouillés les petiots gars qui bagaraient sur la Loire. Maintenant qui sont à quais, alors nous reste qu'à clabauder, nous les geigneux du canton, sur cesse qui sont pas à portée d'zoreilles !

Tout ça va finir au Giroeut autour 
d'la Manille et des billards pour toute la pratique du gars Bertrand. Il nous abreuve d'une armée de bocks que toute la troupe alave à p'tites lampées et de grandes lichées de vin du pays.

Sur les quais, y'sont plantés un parquet pour la guinche. Qu'ils ont l'air heureurs nos piquit's. Regardez les gueuler et danser la gigue avec leurs belles !
 Faire du chahut jusqu'à la nuit ! Et don', coumm'ça, bras-d'ssus, bras-d'ssous, 
l's vont gueulant des cochonn'ries.
 Pus c'est cochon et pus i's rient,
 et pus i's vont pus i's sont saoûls.

Ah ! la bell' jeuness' ! Les uns ont des moeurs
 a fair' reverdir la muse à Coppée. avant qu'd'aller s'coucher quand il est onze heures à la nuit. Les autr's à la fin' vadrouill' y sont ti pas saoul' à renifler dans un chalumeau
" C'est à c't'heure qu'ils s'en vont chez eux'autres et nou' itou.

Ah ! mes bonn's gens ! J'ai ben grand'peine d'm'en retourner à ma demeure !
Demain j'reprends les jours de peine et j'oublierai ben vite c'dimanche, jour de fête Y' a grand ouvrage sur la Loire et faudra pas pâter en chemin pour rattraper le temps perdu à ses amuseries du dimanche.

Vernaculairement sien



jeudi 25 octobre 2018

Au large de la Sicile


Au large de la Sicile



Que tous les gens de mer et rivière
Se souviennent des exilés de l'enfer
Pauvres gens abandonnés au destin
Entassés sur de vieux rafiots malsains

Leur première aventure marine
Les conduira bien vite à la ruine
Au bout de ce terrible voyage
La peur, la honte ou le naufrage …

Des bateaux sans aucune confiance
Des épaves laissée là en partance
Promettent des périples trompeurs
Pour qui n'est pas navigateur
*
Des marchands de rêves et de beaux songes
Leur ont vendu cet affreux mensonge
Partir pour changer de destinée
Survivre et pouvoir espérer

Des pirates les jettent à la mer
Début d'une affreuse galère
Ces hommes au bout de leur chemin
Espèrent qu'on leur tende une main

Les premières victimes, des enfants
Expirent dans les bras de leurs mamans
Les plus faibles finiront la route
Agonisant au fond de la soute

Les survivants affamés et meurtris
Verront surgir les gardes d'Italie
Pensant échapper à leur triste sort
S'arrêteront dans le premier port

Ils reviendront sans ménagement
Vers le pays de leur embarquement
Ces malheureux marins du désespoir
Dont jamais nous ne chanterons la gloire

C'est au large de la belle Sicile
Que la pauvre humanité vacille
La mer vaste tombeau silencieux
Pour tous ces peuples miséreux

Que tous les gens de rivière et de mer
Tendent la main aux exilés si amers
Pauvres gens trahis par des gredins
Quand sombre leur nouveau destin


mercredi 24 octobre 2018

Le funambule de l’inutile.



Points de suspension ...



Il était une fois un écrivain en mal d’imagination. Les mots s'échappaient péniblement de sa plume d’autant plus qu’il utilisait un clavier. Il avait le phrasé lourd, la ponctuation laborieuse, le lexique sans imagination ni fioritures. Il cherchait ses mots, allait à la ligne plus souvent que nécessaire, tentant ainsi de reprendre son souffle.

Il pissait du texte comme on dit si prosaïquement dans le métier. Il se perdait en répétitions, s’égarait en métaphores creuses, se fourvoyait en calembours incertains. Il avait perdu la main quoique, pour une fois, les fautes de frappe ne fussent pas légion. Il faut admettre qu’il avançait péniblement sur le chemin d’un écrit qui ne sortait pas du cœur.

Il se prit alors au jeu de la confusion, singeant les mots tordus, il devait se contenter de mots crochus, de glissades lexicales, de confusions sémantiques, d’approximations phoniques. C’était laborieux et cela n’aurait certainement pas intéressé grand monde si soudain, par un incroyable renversement de dernière minute, la lumière n'était venue, le miracle ne s'était produit.

Incapable de trouver le mot de la fin, l’équilibriste de la chronique, le funambule de l’inutile , sans espoir de chute, dut se rabattre sur une pirouette dont il avait le secret. Il laissa en suspens sa dernière phrase, lui octroyant des points de suspension qui permettaient l'ellipse et ouvraient de nouvelles perspectives à des lecteurs qui resteraient forcément sur leur faim. En multipliant par trois son point final habituel, il pensait certainement élargir son propos.

C’est alors que les trois points absorbèrent lentement tous les mots inutiles qui avaient vainement tenté de constituer un récit médiocre. L’écran avait pris la main, le clavier ne répondait plus et, médusé, le pauvre scribe ne put que constater l’effacement irrémédiable d’un texte qui, de toute manière, ne serait pas resté dans les mémoires, à l’exception notable de celle de son disque dur.

Les points se gonflèrent, devinrent bien vite énormes. Ils avaient littéralement tout avalé. Il ne restait plus qu’eux en bas de page. Ils occupaient la dernière ligne qui était, dans le même temps, la première. L’auteur vit alors, médusé, les trois points s’élever lentement sur la page, comme s’ils étaient des ballons gonflés à l’hélium. Ils montaient en lâchant du lest, en laissant échapper quelques lettres, des espaces et des signes de ponctuation, des minuscules et des majuscules dans une écriture à rebours dont notre homme ne percevait pas encore le sens.

Puis, progressivement, il comprit que la machine avait pris le contrôle, qu’elle jouait elle aussi avec les lettres, qu’elle se servait de la masse de données qu’il lui avait confiée pour créer à son tour un texte plus satisfaisant à ses yeux que l’immonde salmigondis que son maître lui avait confié. L’ordinateur ordonnait autrement, il donnait libre cours à son imagination.

Un texte naissait ici, par la magie des points de suspension en élévation. Quand ils en vinrent au sommet de la page, ils éclatèrent en une explosion magnifique. Les ultimes signes cabalistiques qui étaient restés inemployés se transformèrent, se colorèrent, s’octroyèrent une nouvelle police, s’offrirent un corps plus gros et s’étalèrent en lettres capitales en tête de chapitre. Un titre était né et les points de suspension pouvaient tirer leur révérence en disparaissant de l’écran telles des étoiles filantes.

Notre écriveur à la petite semaine ne dit jamais rien de la métamorphose qui venait de se dérouler devant lui. Il signa, toute honte bue, l’œuvre magnifique que lui avait octroyée sa machine. Il eut du succès grâce à ce premier écrit mécanique, se fit un nom, fréquenta alors les salons littéraires, les plateaux de télévision, les grands salons du livre. Il y avait désormais devant lui de grandes files d’attente : les chalands se précipitaient pour obtenir sa dédicace. Il vendait, il était célèbre.

Il se garda bien d’avouer l’origine de sa verve extraordinaire, de sa prose si variée, de son imagination si féconde. Il usurpait une gloire dont il avait toujours rêvé. Parfois cependant, dans le secret de son bureau, quand l’ordinateur accomplissait seul le travail de distribution des signes et de création littéraire, il avait bien quelques scrupules mais il jouissait pleinement de ses bienfaits sans chercher à comprendre.

Puis, un jour, il découvrit que les autre vedettes de la littérature procédaient de la même manière que lui. Elles disposaient toutes d’un ordinateur autonome, d’une machine douée de sensibilité. Il n’était pas le seul : il avait simplement eu la chance d’être choisi parmi les milliers de besogneux de l’écrit. Un virus informatique avait fait de lui un élu, tout ça grâce à trois petits points de suspension qui avaient su faire leur chemin, l’élever vers les sommets de la notoriété.

Il garda cette habitude et tous ses textes désormais se terminaient par ce petit signe magnifique. Le funambule de l’inutile n’avait pas trouvé de raison à sa folle assuétude : elle demeurait toujours aussi vaine mais cette fois, on ne lui tournait pas le dos : les gens importants boutaient leur chapeau à son passage, réclamaient sa présence. Il est vrai que cette société aime à honorer les moins brillants des siens…

Suspensivement vôtre.
à écouter après lecture de ce texte



mardi 23 octobre 2018

Marcher sous la pluie.


La pluie fait des flaquettes.




Le temps est maussade, le ciel chagrin. Du matin au soir, en dépit du calendrier, les larmes du ciel vous laissent enfermés dans votre mauvaise humeur. Vous tournez en rond dans un appartement trop petit, une maison trop sombre. Il vous faut de l'espace, briser cette boule d'oppression, ce maudit équ'on nous promet pourri.

Ne craignez point de vous salir, osez vous mouiller, affronter les éléments en colère, brisez la chape de plomb, marcher sous la pluie. Mettez des vêtements adaptés, chaussez-vous de solide et de confortable brodequins, ouvrez la porte et posez vos pas dans les flaques qui s'ennuient de vous.

Marcher sous la pluie c'est se démarquer de ce conformisme moderne qui interdit de sortir affronter ces diaboliques précipitations. La rue ne sera que pour vous, les rares passants sont des automobilistes mal garés qui se précipitent vivement vers un intérieur sec ou se font un délicieux plaisir de vous asperger en une gerbe majestueuse tout autant qu'irrespectueuse.

Vous allez d'un pas ferme, vos pieds proposent une drôle de musique qui se joue des différentes structures du sol. Sur le pavé, des petites mares qui éclatent à votre passage. Sur les graviers, le crissement est atténué, sur le bois des passerelles, la glissade est assourdie, sur la terre battue, la boue amplifie la succion gourmande.

La mélodie des semelles ne s'offre vraiment qu'à ceux qui avancent tête nue. Capuche, bonnette et autre parapluie sont autant de barrières au plaisir de la pluie qui coule, du vent qui brûle, des murmures qui montent. Marcher sous la pluie c'est se donner à une nature hostile, accepter ses assauts, sentir sa puissance, risquer sa santé et promettre futres chandelles à un nez qui va au vent.

Vous avancez, vous glissez, vous soufflez, vous dégoulinez mais vous êtes bien, en liaison directe, en fusion même avec les éléments, en symbiose avec une nature qui n'en finit plus de remplir rivières et nappes phréatiques. Le sol est gorgé, l'eau ne parvient plus à pénétrer, les rues déborder, les caves se noient. Vous pataugez, vous éclaboussez, vous vous salissez, la marche vous fera oublier les soucis à venir … La crue centenale est promise à tous, la septième montée des eaux est imminente.

Qu'importe demain, chaque pas est une gerbe, un chapelet de marques qui s'incrustent sur votre pantalon. Vous êtes décoré, chevalier de l'ordre du marcheur mouillé, de l'humain qui ne se terre pas. La liberté a un prix, celui d'un lavage complet. Il faudra vous changer mais le bonheur de celui qui se moque de la pluie qui gifle le visage et enkyste le printemps est sans égal.

Vous êtes trempé comme une soupe, le pas ne change pas son allure même si vos vêtements se font plus lourds, moins souples. Vous êtes engoncé dans une carapace de tissus qui enserre maintenant chaque partie de vous même. Paradoxalement, par leur rigidité, vous abolissez vos vêtements. Vous alles contre vents et marée liquide tombée du ciel, vous êtes vivant !

Vos chaussures se font esquif. Vos pieds s'émancipent de la semelle. Vous devinez un léger glissement, une douce sensation de flottement, de suspension et de sussion. Il faudrait bien s'arrêter pour souquer ou essorer, mais le mal est fait et il n'y a plus rien à faire d'utile. Vous êtes partie prenante de cette eau qui tombe et qui a trouvé en vous un refuge mobile, un abri à ciel ouvert.

Vous pressez le pas, il vous tarde maintenant d'arriver au port vous qui êtes perdu au milieu de cet océan de solitude humide. Non, vous n'êtes pas perdu, vous savez que derrière une porte, au loin, vous trouverez vêtements secs, douche réparatrice, boisson chaude et joues brûlantes. Vous retrouverez confort et chaleur et vous en profiterez vraiment parce que vous avez affronté la colère céleste.

Marchez, marchez sous la pluie aujourd'hui, sous les averses, dans cette grisaille qui érode le moral, qui enferme vos amis. Marchez Marchez dans la colère des cieux, au vent, à la nuit venue et communiez avec cette nature qu'on ne découvre qu'à l'allure du pas de l'homme qui prend le temps de mettre un pied devant l'autre par tous les temps y compris sous des trombes d'eau.

Pluvieusement vôtre.


Mon agenda

L'agenda du







L'agenda du Bonimenteur

Jeudi 8 novembre
C''Nabum
Contes à la MAS
Contes pour des regards

Samedi 10 novembre
C''Nabum
Balade contée entre les deux ponts
Anti-guide d'Orléans

Samedi 17 novembre
C''Nabum
Contes à la maison
Du côté de Sanoy
Mes Bonimenteries à domicile

Vendredi 23 novembre
Gégé et C''Nabum
Repas Guinguette
à Saint Benoit Bois de la Marche

Samedi 24 novembre
Jacques et C''Nabum
Spectacle 14-18
Maison de la Musique & de la Danse 14 heures
à Saint Jean de la Ruelle

Mercredi 28 novembre
C''Nabum
Rendez-vous du Val de Loire
Présentation du Projet C''Nabum

Dimanche 2 décembre
C''Nabum
Saint Nicolas de Châteauneuf sur Loire
Animation et Contes

Mercredi 12 décembre
Les Aquadiaux
Soirée des 20 ans du musée de la marine de Loire
Châteauneuf sur Loire
Chansons et Contes

Samedi 15 décembre
C''Nabum
Forum des droits humains
Contes humains

Samedi 15 décembre
C''Nabum
Arrivée du Père Noël sur les quais d'Orléans
Contes

Dimanche 16 décembre au Jeudi 20 décembre
C''Nabum
Animations et émissions de radio à Roanne
Contes en divers endroits

J’attends vos propositions pour la suite du programme en 2019.







J’attends vos propositions pour la suite du programme en 2019.



Il était une fois Combleux

  Combleux et Rosalie      Elle s'appelle Rosalie. Cette gamine est la seconde fille d'un couple de paysans. L'homm...