vendredi 31 août 2018

De Balbigny à Roanne



La vie des hommes en bord de Loire



Le petit village de Saint Priest, perché sur son piton rocheux, domine la Loire et le château de la Roche. C’est là que des indécrottables fous furieux, contre vents et années se battent pour entretenir l’esprit ligérien  et le passé d’une rivière d’avant le barrage. L’association ne cesse d’œuvrer pour que l’histoire ne tombe pas dans l’oubli comme tous ces sites engloutis par les eaux depuis qu’une retenue a noyé leur vallée.

Nous pouvons aisément comprendre la nostalgie qui les conduit à puiser dans les archives, le souvenir d’une époque révolue. Aujourd’hui, certes, le touriste bénéficie sans nul doute de la hauteur d’eau, mais la Loire est verte, d’une teinte fluorescente qui ne laisse rien présager de bon. Le barrage de Grandjent déverse ses vases nauséeuses, chargées de métaux lourds, quand les hommes sont capables de faire n’importe quoi en insultant l’avenir.

C’est donc dans la crypte, sous l’église au magnifique clocher que vous attend une exposition que nous ne saurions que vous conseiller de visiter. Vous pourrez ensuite prolonger votre passage en rendant hommage au château tout en découvrant cette belle région si accueillante. Le département porte le nom de notre rivière, la belle dame Liger, il mérite un détour, à n’en point douter.

Au cœur de la pièce, une maquette interactive représente la vallée de Balbigny jusqu’à Villerest. La précision de cette immense reconstitution vous fera toucher du doigt les méandres de la dame, la difficulté qu’il y avait alors à descendre son cours. Œuvre monumentale, cette maquette vaut à elle seule le détour. Cependant, d’autres trésors sont présents, documents d’archives et illustrations pour redonner vie à ce qui a été submergé à la fois par l’arrivée du train puis par la montée des eaux.

Du premier siècle avant Jésus Christ jusqu’aux années quatre-vingts du siècle précédent, l’exposition redonne vie aux lieux et aux personnages qui ont animé cette partie de la rivière. Vous y trouverez Louis Chassagne le dernier pêcheur, passeur pour le plaisir et figure locale comme le furent tous ceux qui tinrent ce rôle éminent tout au long de son cours.

Vous trouverez encore l’histoire du grand moulin à eau de Balbigny, le plus grand et le plus important de la région, situé juste en face du port Garet. Vous retrouverez le bac qui permettait alors de passer d’Empire en Franc. Vous saurez également que les Celtes y célébraient Cernunnos, le charron, le passeur vers l’autre monde. La légende n’est pas loin avec la Couleuvre, le monstre hideux qui effrayait les gens d’ici, ici dragon, plus loin bête maléfique.

Puis la formidable aventure du sieur Lagardette, des sapines transportant le charbon pour le bon roi Louis XIV en dépit du terrible seuil du Perron, une formidable aventure humaine qui fit tant de morts dans la Loire. Tout ceci vous est narré bien mieux que ne peut le faire un raconteur d’histoires avec ses contes à dormir debout. Ici, sont documents d’archives et belles cartes postales, patiemment regroupés par cette association toujours aussi désireuse de redonner vie à cette belle aventure.

Des poètes locaux ont chanté l’épopée et la Loire. Louis Mercier est de ceux-là, lui qui naquit en 1870 et nous quitta en 1951.
L’auberge était au bord de l’eau
De belles filles riaient
En apportant le pain et le jambon
On avait dans une anse
Amenée la flottille
Les prés étaient en fleur
Et le vent sentait bon.

Si vous voulez venir visiter cette exposition, le vernissage aura lieu vendredi 3 août à 18 heures à Saint Priest la Roche. Ce sera belle occasion de rencontrer les instigateurs de la chose. Ils comptent sur vous et je pense que vous ne serez pas déçus. Pour les autres, la crypte est ouverte du 14 juillet au 19 août, tous les jours de 14 h à 18 h. L’entrée est libre, ce qui est assez rare pour le signaler.

Admirativement leur.


Jean-Noël BOUCHER

Président de l'Association des Amis du Château de la Roche
a le plaisir de vous convier
à la nouvelle exposition :
« De Balbigny à Roanne , le bâti et la vie des Hommes 
En bord de Loire »
(1er siècle avant J-C  aux  années 80)

À la crypte  de l'église de St Priest la Roche
Bien cordialement et amicalement à tous 




jeudi 30 août 2018

Pompon, le pêcheur.



La Barbote



Nous sommes en bord de Loire pendant la seconde guerre mondiale à Saint Claude de Diray, un petit village près de Blois. Gaston est un grand-père heureux : lors de chacune des grandes vacances, il reçoit dans sa ferme Jean et Jacques, les deux jumeaux intrépides. Ah, ce qu'il les aime ces petits diables qui, dès qu'il les emmène à la pêche, deviennent des enfants charmants !

Jean et Jacques n'aiment rien tant que la pêche à la barbote. Une laitière accrochée à la ceinture, un petit scion muni d'une ligne sommaire, ils patouillent dans l'eau pour provoquer un nuage de sable. C'est là qu'aiment venir se réfugier les goujons et les ablettes. Ils en prennent à plaisir, remplissent chacun une laitière.

Gaston retourne à la ferme, fier comme Artaban avec un gamin dans chaque main. C'est Eugénie sa femme qui va préparer la friture. Bien que nous soyons dans le Loir et Cher, Eugénie a conservé, de son pays des maisons troglodytes, la manière si particulière de préparer les petits poissons de Loire,

À Turquan, comme dans d'autres villages de cette région, située entre Montsoreau et Saumur, les gourmets préparent une pâte à beignets pour y tremper les jolis poissons d'argent avant de les faire frire. Pour Jean et Jacques, c'est à chaque fois une fête et un festin. Ils seraient bien incapables de dire ce qu'ils préfèrent : la journée de pêche avec Gaston ou la succulente friture d'Eugénie.

Tout aurait pu durer ainsi des années ; les enfants en avaient oublié la guerre et les privations des mois passés avec leurs parents mais hélas, le destin rattrapa Jean qui, en plein hiver, fut terrassé par la redoutable poliomyélite. L'été suivant, c'est un gamin malingre au regard triste qui arriva en compagnie de son frangin.

Gaston avait compris ce qui tracassait le plus son petit-fils. L'enfant était si peu robuste sur ses jambes qu'il se croyait privé de son plus grand plaisir. C'était sans compter sur Gaston dont l'ingéniosité avait pourtant si souvent ébahi ses petits-fils. Le lendemain matin de leur arrivée, le regard malicieux et la moustache dressée, Gaston au petit déjeuner avait dit à Jean et Jacques : « Il vous faudra aller ramasser des vers, nous allons à la pêche tantôt ! ».

Cette fois, les exclamations avaient été moins bruyantes que les années précédentes. Jacques n'osait pas exprimer sa joie et Jean pressentait qu'il allait devoir pêcher sur la berge, ce qui était beaucoup moins drôle. Pour ne pas contrarier Gaston et sa bonne humeur, ils se mirent à fouiller autour du tas de fumier, Jacques à la manœuvre et Jean à l'observation, assis sur son fauteuil roulant.

C'est l'après-midi qu'ils se mirent en route, installés sur le tombereau du grand -père. Gaston tenait le licol pour conduire le brave Pompon, un beauceron puissant qui travaillait à la ferme. Jean et Jacques, assis à l'arrière, goûtaient avec plaisir ce nouveau mode de transport pour se rendre à la pêche. La maladie d'un des jumeaux offrait au moins cette variation pas déplaisante aux habitudes des années passées.

Arrivé au bord de Loire, Gaston fit descendre son attelage par la cale juste en face de Menars, à la pointe de la quatrième île. C'est là que les années précédentes, ils prenaient le plus de fritures. Les enfants voulurent descendre mais Gaston leur demanda d'attendre. Le cheval et le tombereau entrèrent dans l'eau.

Les jumeaux se taisaient, observant la manœuvre. Pompon mit le bout du nez vers l'amont, juste dans le prolongement de la pointe de la grande île. L'attelage se plaça à quelques mètres de la rive bien parallèlement à celle-ci. Gaston serra le frein et s'assit à côté des gamins. « C'est de là que nous allons pêcher, leur dit-il, prenez vos scions ».

Jacques se voyait privé lui aussi de son plaisir. ; par solidarité avec son frère, il ne disait rien, comprenant le souci du grand-père de ne pas blesser son frérot. C'est alors qu'ils faisaient aller les premières coulées qu'il se passa la chose qui resterait à jamais gravée dans leur mémoire : ce moment de grâce qui fut pour eux le signe que rien de grave ne leur arriverait désormais sans qu'il ne se trouve une solution ou une astuce pour y remédier.

De ce cadeau magnifique, ils seraient reconnaissants éternellement à ce cher Gaston, grand-père facétieux et aimant, inventif et sage. Toute leur vie, ils raconteraient à qui voudrait bien les croire ce moment magnifique où Pompon, le brave cheval de trait s'était mis à remuer le sol avec ses jambes arrière ….

Ce dont Jean était désormais incapable , Pompon avait appris à le faire à sa place et scrupuleusement, patiemment, inlassablement,le brave cheval barbotait pour attirer les goujons et les ablettes. Il fallait entendre les rires des deux enfants mêlés à ceux du grand père. Qui était le plus heureux des trois ? Nul ne pourra le dire …

Je revois encore Jacques, bien des années plus tard me raconter la scène comme s'il y était encore. Ses yeux brillent de la même malice sans doute que ceux de Gaston ce jour-là. Maintenant Jacques a l'âge de son grand-père mais c'est pourtant le gamin de douze ans qui continue à me raconter l'aventure.

« Et puis quand le poisson venait à nous bouder, Pompon levait la queue et laissait choir un magnifique appât : un crottin de cheval travailleur et costaud. Jamais nous ne fîmes plus belle pêche que celle-là. Je revois encore la joie de mon frérot et je crois que c'est le bonheur immense de ce jour merveilleux qui lui donna la force de guérir plus tard ! »

Je le laissai à son souvenir. Jacques était encore assis sur le tombereau à côté de son cher vieux Gaston et de son Jean aux frêles guiboles. Pompon devait remuer le sable mais ce n'est pas la Loire qui coulait là devant moi mais les yeux du vieil homme qui se souvenait du temps jadis. Je me dis alors que la plus belle manière de remercier Jacques de cet instant magnifique était de lui offrir ce récit. C'est à mon tour de laisser couler quelques larmes, merci à lui !

Barboteusement leur




mercredi 29 août 2018

Il suffit de réfléchir


L’éphèbe et la carpe



Il était une fois en bord de Loire, Bélénos, un jeune homme d’une beauté si extraordinaire qu’il passait son temps à vouloir s’admirer sur/dans les reflets de la rivière. Mais si la chose est aisée sur un étang ou une eau stagnante, elle n’est jamais facile quand l’eau court et s’agite au gré des variations infinies de son cours. Son image était toujours déformée, imparfaite, marquée de rides et des remous.

Bélénos ne parvenait pas à croire ceux et celles surtout qui vantaient sans cesse la finesse de ses traits, la délicatesse de son visage, la grâce infinie qui se dégageait de toute sa personne. Il voulait s’en rendre compte par lui-même et jurait ses grands Dieux que s’il en avait le pouvoir, il figerait à jamais les eaux de la Loire afin de pouvoir s’y mirer tranquillement.

Ce que Dieu veut, il l'obtient et dans l’instant suivant, les eaux furent prises par un froid terrible et se transformèrent en glace. Hélas, la Loire n’est ni une mare ni même un lac, l'embâcle s’accompagne de mouvements désordonnées, qui accumulent les blocs de glace, constituant des monticules qui s’enchevêtrent dans le plus grand chaos. Nulle image n’y peut se réfléchir. Bélénos en était pour ses frais.

Il se désolait quand un rossignol voletant au dessus de lui, lui siffla un air joyeux. C’était encore une époque où les hommes comprenaient la langue des oiseaux. Le joyeux animal lui chantait : « Puisque tu es si beau, charmant Bélénos, tu n’as qu’à admirer les yeux d’un animal capable de refléter parfaitement ta magnificence ». L’idée était excellente, il lui fallait trouver créature à son image, la plus parfaite possible.

C’est sans hésiter un seul instant qu’il se précipita dans les bois. Il avait pensé que personne n’égalait la grâce de la biche, dont les yeux étaient des diamants étincelants. C’est en la regardant de près qu’il pourrait s’admirer tout à loisir. Hélas, séduire une biche quand on ne sait pas bramer, n’est pas à la portée du premier venu, fut-il un Dieu Celte, précurseur d'Apollon. Sa quête s’avéra inutile, l’animal était aussi farouche qu’élégant. Jamais il n’eut le loisir de regarder une biche dans le blanc de son œil.

Il retint la leçon. Il convenait d’aller quérir un animal domestique. L’homme avait entendu parler des vaches de l’Aubrac. La route était longue pour aller jusque là mais l’enjeu en valait la chandelle, il partit cap au sud pour atteindre sa destination. Sur sa longue route, il entendit bien des propos flatteurs, les dames se pâmaient à sa vue. Pourtant, loin de se convaincre qu’il était le plus beau spécimen de la création, Bélénos, voulait s’en rendre compte par lui-même.

Il fut déçu. La vache de l’Aubrac a certes des yeux splendides, mais son regard reste bovin, on ne peut changer sa destinée. Bélénos en éprouva un profond dépit. Tant de chemin pour rien ! Il convenait d’ailleurs de ne pas s’éterniser, un taureau, portant déjà des cornes, trépignait dangereusement du pied. La bête semblait ne pas vouloir partager sa belle qu’il couvait d’un regard jaloux. Notre Narcisse de pacotille se sauva précipitamment.

Quand il retrouva son souffle, il était revenu à son point de départ. La Loire avait arrêté sa fuite. La peur avait été si grande de perdre la face devant un mâle en colère que Bélénos avait couru ainsi sept jours et sept nuits sans interruption. Il était en nage, un bon bain lui remettrait les idées en place. Il se dévêtit totalement, provoquant alentour des sifflements d’admiration, des exclamations et mêmes quelques évanouissements. Il aurait pu se satisfaire de ces marques sincères d’admiration, mais c’était plus fort que lui, il voulait apprécier de visu l’extraordinaire beauté dont la providence l’avait gratifié.

Totalement nu, comme au premier jour de la création, il plongea dans la rivière. C’est au fond d’une passe profonde qu’il trouva ce qu’il cherchait depuis si longtemps. Une carpe miroir dormait paisiblement là. Bélénos put alors se mirer tout à loisir, se regarder sous toutes les coutures si cette curieuse expression peut encore avoir un sens dans la plus parfaite nudité qui était le sienne.

Il s’admira tant et si bien qu’il eut enfin la révélation tout autant que la confirmation qu’il était bien la plus parfaite créature de l’univers. Il n’en revenait pas, voulant prolonger indéfiniment ce spectacle si plaisant à son orgueil. Il tournait tout autour de la carpe miroir, jouissant pleinement de son image. Cela dura longtemps, très longtemps, trop longtemps. Bélénos en oublia de respirer et finit par se noyer, enivré qu’il était de sa propre image.

Quant à la carpe, elle se réveilla et assista aux derniers instants de Bélénos. Ce qu’elle vit alors, personne n’en saura jamais rien. Elle resta définitivement muette à ce propos. Vous pouvez bien essayer de la faire parler, elle a le cuir dur et ne symbolise pas le courage et la persévérance pour rien.

Admirablement sien.


mardi 28 août 2018

Le commissaire aux contes.



Ce sera mon dernier mot



Il est né à Argent, entre Sologne et Berry, tout près de la cité des Stuarts, nos chers amis écossais. Fidèle à ses origines, il voulait entrer dans la légende, naviguer dans ses rêves et pourfendre les faiseurs d’histoires. Il a été exaucé : il est le premier commissaire aux contes de la brigade des légendes. C’est ainsi que je le vis débarquer un beau matin pour éplucher mes livres de contes. J’avais, paraît-il une dette avec la société : celle des décideurs locaux, gens importants et trop sérieux pour se satisfaire de mes balivernes, plus soucieux de favoriser les desseins des commerçants que des prosateurs de l’imaginaire. Je devais payer pour tous mes crimes d’irrespect et de fiction.

Je crus, sur le coup, à une farce, une belle blague comme aiment à les concevoir les espiègles de tous poils, les jaloux et les médiocres. Pour ces derniers, la liste est si longue, que je ne cherchai même pas à savoir d’où venait le trait. Hélas, il ne s’agissait pas d’une blague, l’homme était muni d’une commission rogatoire, un mandat d’apnée textuelle ; il ne riait pas à moins que ce ne fût sous cape. Il lui fallait examiner mes sources, vérifier mes personnages, contrôler mes dires et les écrits. Il m’interrogea, cherchant à savoir si je ne dissimulais rien, si je ne cherchais pas à blanchir des faits-divers sous le couvert de l’invention.

Il examinait mes réponses qui, par la magie de sa fonction, devenaient des assertions. J’étais suspecté de mensonges, de falsifications, de travestissement de l’Histoire, celle qui se pare d’un H majuscule. J’avais été dénoncé : cela ne faisait aucun doute. Mais par qui ? Un grand historien local, un homme important, un quidam respecté de tous, une icône des médias ou encore un des ces pantins adulés des uns, encensés par les autres ? le doute était permis. Mon compte était bon, j’allais tomber sous les fourches caudines de la loi pour le plus grand bonheur de l'establishment, comme disent ceux qui parlent si bien notre langue .

Comment vous défendre quand, petit pot de terre, vous vous trouvez sous les coups croisés de la Justice, de la coterie et d’une opinion publique, toujours prompte à croire le matraquage médiatique et la bonne mine des aigrefins ? Pour le Bonimenteur, l' affaire était réglée sans autre forme de procès. Le commissaire aux contes pouvait me sanctionner sans retenue. Il avait tant de griefs à mettre à mon débit.

Plus je cherchais à me défendre, plus je m’enfonçais dans les sables mouvants de notre Loire. Il y avait derrière mes écrits un sillage douteux, une trace honteuse. Je fraudais le passé, j’altérais la vérité officielle, je salissais les héros estampillés de la saga locale. Il n’y avait pas de doute : il me fallait payer pour les affirmations gratuites que j’avais étalées sur la place publique.

Mon crime devait être châtié de manière exemplaire. La place de grève m’était promise, à moins que ce ne fût le bûcher, à moi qui avais mis le feu aux poudres avec mon histoire de dragon. Le commissaire aux contes se frottait les mains : l’affaire était entendue ; je ne bénéficierais d’aucune circonstance atténuante, n’étant pas même natif de cette ville, si bienveillante avec les siens et impitoyable envers les autres.

Comment sortir de ce guêpier ? Comment faire valoir votre droit quand, justement, vous n’avez rien à vous reprocher ? Comment obtenir la possibilité de plaider ma propre défense quand, trop de fois, je m'étais fait avocat du diable ? J’étais au bord du précipice. Un mot de plus et j’étais perdu. Ne l’étais-je pas de toute manière, n’appartenant pas à la secte qui tient en coupe réglée notre cité ?

C’est alors que j’eus une intuition, une pensée soufflée par la Divine Providence. L’homme avait commis grave confusion, erreur impardonnable. Il avait dû se fourvoyer sur l’orthographe de sa lettre de mission. Les bons comptes font davantage les bons amis que les mauvais payeurs. Il avait perdu une lettre dans la bataille et confondu deux consonnes voisines. L’homme devait enquêter sur une affaire fiscale, un possible conflit d’intérêt, des avantages indus et des écritures suspectes. Il s’était trompé de Ligérien.

N’étant pas de nature, contrairement à ce que vous insinuez souvent, à faire des histoires, je me contentai de ses excuses et le laissai partir, penaud et confus, sans même lui souffler la cible qui devait être sienne. Je ne mange pas de ce pain -là. J’ai ma conscience pour moi et même si mon courroux est grand, je n’irai pas dénoncer ceux qui réinventent l’histoire, qui la plient à leurs désirs, qui se dressent des lauriers pour leur seul bénéfice.

Le commissaire aux comptes quitta la place. Il avait pris pour argent comptant les mirages qui l'avaient conduit jusqu’à moi. Il n’aurait eu qu’à ouvrir les yeux pour enfin découvrir le pot aux roses, la planche vermoulue au milieu des flots. Je ne doute pas une seule seconde qu’on eût su le détourner de la vérité, l’induire une nouvelle fois en erreur, favoriser une cécité fort commode . Il ne fait pas bon écouter le chant des sirènes quand elles se prennent pour des bourses trop gourmandes …

Comptablement leur.


lundi 27 août 2018

Nez, oreilles, front en question.

Nez, oreilles, front en question.



Est-ce que c'est parce que j'ai le nez au milieu de la figure que certains ne peuvent me sentir ?
Puisque les murs ont des oreilles, pourquoi n'ont-ils pas tous des tympans ?
Un ride peut-elle être considérée comme une ligne de front ?
Si les oreilles me chauffent, faut-il que je m'éponge le front ?
Peut-on avoir le nez fin, l'oreille musicale et le front national ?

Peut-on avoir du nez et ne rien sentir venir ?
Pour paraître plus jeune, faut-il se faire tirer les oreilles ?
Si je me retrouve nez à nez avec Marine, peut-on considérer que nous sommes front contre front ?
Que cherche-t-on à dissimuler quand on a le nez creux ?
Peut-on exonérer celui qui est sourd comme impôt ?

Quand on se perce l'oreille, finit-on avec la goutte au nez ?
Peut-on relever le front quand on a le nez dans le gazon ?
Les arbitres ont-il tous les oreilles qui sifflent ?
Comment pencher le front sur une oreille attentive ?
Le pavillon de l'oreille est-il confortable ?

A-t-on de la cire dans les oreilles quand elles bourdonnent ?
Les marins ont-ils tous le nez qui coule ?
Peut-on s'essuyer le front avec le voile du palais ?
Pour être au parfum, faut-il avoir du nez ?
Comment oindre un front de mer ?

Est-ce une bonne réponse au défi énergétique que d'avoir une mèche dans le nez ?
Celui qui a le nez fleuri est-il sourd comme un pot ?
Le nez peut-il battre des ailes ?
Les Bretons ont-ils tous les oreilles en chou-fleur ?
Peut-on dormir sur ses deux oreilles avec le front bombé ?

Peut-on se retrouver nez à nez et front contre front ?
Une tête de cochon qui saigne du nez finit-elle par faire du boudin ?
Celui qui se gratte le front a-il une puce à l'oreille ?
Une femme voilée peut-elle mettre le nez dehors ?
Bernadette Soubirous avait-elle des grottes de nez ?

Un front chaud vous donne-t-il des sueurs froides dans le dos ?
Peut-on faire un pied de nez à celui qui vous a dans le nez ?
Pourquoi s'éponge-il le front alors qu'il a le nez qui coule ?
Les voleurs se font-il pincer l'oreille ?
Peut-on dérober son rasoir au nez et à la barbe du coiffeur ?

Comment s'arracher les cheveux quand on a le front dégarni ?
Le nez de l'avion est-il sensible aux trous d'air ?
Faut-il avoir l'oreille musicale pour chanter en canon en montant au front ?
Pour faire des étincelles, faut-il avoir de la cire dans les oreilles et une mèche dans le nez ?
Peut-on mener plusieurs affaires de front quand on a le nez en l'air ?

Une mauvaise graine peut-elle gagner son pain à la sueur de son front ?
Comment s'exprime le bouche à oreille en langage des signes ?
Faut-il aiguiser ses sens pour avoir l'oreille fine ?
Les auriculaires sont-ils bien adaptés pour se mettre les doigts dans le nez ?
Faut-il avoir le nez creux pour y mettre un verre ?

Frontalement vôtre. 



L’avers et le revers.


Dans les pas de l’homme sage.




Il était une fois, une époque où les humains tiraient de la nature les leçons essentielles qui leur permettaient d’avancer la tête haute ou bien de choisir en connaissance de cause le versant obscur. L’enseignement était alors une simple transmission, un moment de partage et de réflexion qu’un vieillard offrait en créance à un enfant. Point d’argent dans l’héritage mais une belle et simple philosophie de la vie qui se recevait par le cœur.

L’enfant écoutait l’ancien. Ce temps était alors celui du respect et du mélange des générations. La parole avait encore une valeur : elle était la bibliothèque et le véhicule de la sagesse. Les sirènes de la modernité n’avaient pas encore détourné les plus jeunes de ce bien incomparable que constituent les expériences accumulées par toutes les générations précédentes. C’était une époque d’un passé révolu …

En ce temps-là, l’ancien prenait le plus jeune par la main et allait sur les chemins de la terre. Marcher n’était pas encore un sport ou une hérésie : c’était le temps de la discussion et de la connivence. L’un et l’autre avançaient tout en devisant gravement. Les mots pouvaient alors suivre le rythme des pas pour faire leur chemin, profondément, dans la conscience de l’enfant.

L’ancien dit au gamin : « Regarde la rivière. Son eau est la source de toute vie. Elle nous apporte l'élément indispensable à toutes les espèces et aux plantes. Elle est bienfait et beauté, nous permet d’aller loin sur le fleuve. Pourtant, quelquefois, elle apporte mort et désolation, destruction et danger. Il en va ainsi de toute chose sur cette Terre et c’est à toi de toujours démêler le bien du mal dans ce qui t’entoure ! »

Le gamin ne soufflait pas, il ne haussait pas les épaules. Il écoutait gravement le discours de son aïeul. Il savait qu’il avait beaucoup à apprendre de lui. Il était en mesure d’écouter mais plus encore de retenir ce qu’il lui disait. La mémoire était en ce temps-là, l’outil de la connaissance et le véhicule de la sagesse.

Le vieux continua : « Le feu est, quant à lui, le double et le contraire de l’eau. Naturellement, l’homme, spontanément, redoute cette bête sauvage qui dévore tout sur son passage. Il a pourtant su trouver le moyen de le dompter pour se réchauffer et préparer les aliments. C’est ainsi que jamais rien n’est entièrement mauvais ni totalement bon. »

Le petit souriait. Il savait tout ça et aimait la manière dont l’ancien lui parlait. Il puisait dans ses paroles l’énergie qui ferait de lui bientôt un adulte : un être responsable de ses actes et de ses choix. La vie s’ouvrait à lui et il lui appartenait d’en assumer la difficulté et la grandeur, la complexité et la beauté.

Le vieil homme passa alors devant des colchiques. « Regarde ces fleurs. Elles nous avertissent de la fin de l’été. Elles sont belles, elles nous attirent et pourtant elles recèlent en elles un poison mortel. Il ne faut jamais se fier aux apparences, certains êtres sont enjôleurs : ils te font de belles risettes et sont capables des plus terribles trahisons. D’autres sont au contraire sévères, froids et distants. Ce sera sur eux que tu pourras t’appuyer quand tu seras à la peine. »

L’enfant avait déjà remarqué cet étrange paradoxe. On l’avait mis en garde bien des fois et il s’était brûlé les doigts à suivre des beaux parleurs qui n’étaient pas toujours aussi fiables qu’on pouvait le supposer. La route qui s’ouvrait à lui était semée d’embûches ; il serait bien délicat de trouver les bons appuis. Le chemin serait toujours glissant et incertain en toute circonstance. Il l’avait compris au travers d’expériences malheureuses et de grandes désillusions.

Le vénérable vieillard poursuivit son discours. Il tenait fermement la main de l’enfant, voulant sans doute lui transmettre bien plus que des mots. Le plus jeune sentait une chaleur inhabituelle dans sa paume de main ; il se pensait traversé d’un flux mystérieux et bienfaisant. Il acceptait avec confiance ce curieux phénomène qu’il ne comprenait pas vraiment.

« Les animaux n’échappent pas à la règle de la dualité. Ne les classe pas les uns dans les utiles et d’autres dans le camp des nuisibles. Seuls, ceux qui cherchent uniquement à préserver leur intérêt , se permettent ainsi de condamner des êtres qui ne font que tenir leur place dans la nature. Chacun y a sa mission, son rôle et sa raison de vivre. Vouloir interférer en cela c’est jouer les apprentis sorciers. »

Le petit, cette fois, sembla ne pas saisir la force du propos. Il se retourna vers ce beau visage de cire et le questionna : « Grand-père, tu ne vas pas me faire croire que le loup qui s’attaque à mes moutons quand je les garde dans le pré, qui pourrait s’en prendre à moi si la faim le tenaillait, est un animal qui a sa place dans notre pays. Je trouve que les louvetiers font bien de le chasser et de lui tendre des pièges. »

Le vieux eut un sourire qui plissa son visage. « Tu répètes un peu trop facilement ce qu’on veut te faire croire. Que sont quelques moutons perdus quand le loup régule l’équilibre de nos forêts et dévore les gros cervidés quand ceux-ci sont malades et capables d’infecter leurs congénères ? Quand ils ne seront plus là, les cerfs, les chevreuils, les daims proliféreront et bien plus grands seront les dégâts pour les hommes. »

L’enfant comprit alors que toute chose avait un avers et un revers. La vie se jouerait parfois de lui lançant au hasard la pièce pour déterminer de quel côté elle tomberait. Il lui appartenait de ne pas avoir à laisser faire le destin. C’est lui qui devait être maître de ses choix. C’est ce que son grand père désignait souvent sous un étrange vocable qu’il n’avait pas toujours compris : «Le libre arbitre ».
Le soir à la veillée, il avait souvent entendu la plus vieille du village dire ces propos qui aujourd’hui lui revenaient en tête avec plus de netteté. « Chacun de nous a en lui deux loups qui se livrent bataille. Le premier représente la gentillesse, la bonté et l’amour. Le second porte en lui la peur, l’avidité et la haine. Dans la rude bataille qu’ils se livrent, celui qui l’emporte est toujours celui que nous nourrissons le plus ! »

Il venait de comprendre. La longue promenade prenait fin. Il embrassa tendrement son grand-père, courut voir la vieille femme pour la remercier, elle aussi. La vie s’ouvrait devant lui et il savait désormais quelle responsabilité était la sienne …

Les années passèrent ; l’enfant devint un jour ce vieillard qui voulait éclairer la route de son petit-fils. Il fit comme l’avait fait son aïeul. Il le prit par la main et voulut le conduire en bord de Loire. L’enfant grommela. Il n'aimait guère marcher. Il consentit à suivre son grand-père pour ne pas encourir les foudres de ses parents. Au détour de la maison, il se mit un casque sur les oreilles. Le vieux n’y voyait plus grand chose, il ne s’aperçut de rien.

Ce que le vieil homme avait à dire se perdit sur les berges de la rivière. L’enfant n’entendit rien de ce qui avait été enseigné ici même, soixante-dix ans plus tôt. Le monde avait bien changé depuis et les porteurs de parole sont désormais condamnés à parler dans le vent. D’autres ont pris le relais. Sont-ils bons, sont-ils mauvais ? c’est à vous de vous faire votre opinion. Jetez la pièce en l’air, vous aurez la réponse, à la condition qu’on lui permette de retomber. Elle pourrait tout aussi bien finir dans une poche et vous laisser sans réponse …

Moralistement vôtre.


samedi 25 août 2018

Le Bonimenteur de Loire



C’'Nabum par lui-même en toute immodestie




Un curieux Ligérien en bordure rivière comme en lisière de forêt, sur un quai ou bien sur un tonneau va son train en recueillant ou collectant histoires et récits, témoignages et anecdotes. Il fait son miel des aventures marinières, de la grande Histoire et des légendes de jadis qui s’épanouirent sur les rives de Loire. Ne reculant devant aucune menterie, il brode à sa fantaisie d’incroyables tissus de mensonges ourlés de quelques vérités qui finissent par se grimer en contes ou en fables en prenant les habits de la farce.

Il se fait, tour à tour, compagnon de Merlin, barde gaulois, ermite de la grotte Béraire, jeune mousse partant à l'aventure, marin revenant de l'enfer, historien approximatif ou tourneur de phrases alambiquées. Il chemine d'un pas tranquille en suivant les rives, passant de l'une à l'autre pour humer l'air du temps et l'esprit de l'eau, préférant aller à contre-courant des modes et surtout des convenances. L’irrespect est son sceau lui qui est avant tout un berlaudiaud ou un âne bâté.

Un falot perché sur un tonneau devient son blason. La lanterne éclaire son chemin tout en restant allumée au cœur de la tempête. Le lascar ne se prétend pas seigneur sur l’eau, lui qui en toutes circonstances restera éternellement un gueux. Ne sera pas plus capitaine, il est bien trop maladroit pour mener un bateau même si c’est là qu’il compte vous mener par le bout du nez. Toutes les embarcations de ses compères lui serviront de scène pourvu qu'il n'y soit que passager bavard et équipier qui n’a aucun nœud marin à réaliser.

Il se contente d'un rafiot transportant quelques barriques de musique. Il ne connait rien à la musique, se contentant d’écrire quelques paroles en suivant l'aiguille d'une boussole qui a perdu le nord, d’un sextant cherchant désespérément son étoile, d’une carte en quête d’un trésor fabuleux. Les vers de ce manant sont forcement bancals. Qu'importe, C’’Nabum, bateleur des champs de foire, bouffon des cales, habitué des tavernes ne vous fera jamais l’affront de les chanter.

Souffleur de vent comme quelques collègues de son acabit, il laisse glisser ses mots à la surface de rivière. Allant vers l'amont ou filant vers l'aval, ils reprennent les rumeurs des berges. Il aime à partager la Loire en belle compagnie : joyeux farfadets, korrigans espiègles, diablotins égrillards, hédonistes lascifs tous amateurs de nos vins de Loire et de la bonne ripaille.

Descendant de François Rabelais par la cuisse gauche, il est le compagnon de Galifon, le cousin germain de Gargantua. La farce est son domaine, le rêve son pays. Il prend la plume pour composer ses sornettes, avant que de se faire un malin plaisir à vous les distiller à la moindre occasion. Il vous balade, vous emporte, vous moque ou vous pique pour le seul plaisir de vous divertir.

Il vous invite à emprunter une petite porte dérobée. Vous y taquinerez l’Ankou à moins que ce ne soit Méphistophélès en personne. Il vous convaincra de tirer sur les auréoles de Saint Nicolas, Saint Clément, Saint Roch et Sainte Catherine et sur la queue ou les cornes de Lucifer et Satan selon vos préférences. Quant à tous les mauvais diables qui sur terre, jouent à se prendre au sérieux, à abuser de leurs pouvoirs et de leurs fonctions, foi de guêpin, il se fera un devoir sacré de les piquer sans façon et de leur botter l’arrière train.

Ses Bonimenteries sont nées du mariage consanguin de la carpe et du garenne, de la convergence de Loire et de l'Histoire tout autant que de la fantaisie et de la gouaille de ceux qui renoncent à faire courbette aux Princes et à toutes les canailles. S’il prend l’habit des mariniers d’antan, ce n’est pas pour faire allégeance aux marchands et à leurs descendants. La subversion est son domaine. En le suivant dans son univers, sachez que le risque est grand de n'y rien comprendre, de vous noyer sous un flot de mots tordus, abscons ou obsolètes tous sortis d'un foudre mis en perce par temps d'orage une nuit de pleine Lune au milieu d’un grand sabbat. Faites désormais selon vos envies mais s’il vous prend la fantaisie de l’écouter, sachez que ce sera à vos risques et périls.

Avertissement vôtre.


vendredi 24 août 2018

Sidonie



Les jours heureux



Une dame de la rue Clémenceau inspira le nom de leur première auto. La voisine n'était pas bien jeune, l'automobile n'avait rien à lui envier. Pourtant quand elle évoque ce passé lointain, la nostalgie se pare des douces teintes d'un bonheur parfait !

D'une marque aujourd'hui disparue, l'automobile Charron trouva naturellement sa place dans la famille de son charron, maréchal ferrand de père. Elle avait gardé sa robe militaire d'une précédente campagne, ses jantes en bois, sa boite à outils extérieure et ses marche-pieds lui conféraient une antériorité lointaine.

Elle devint utilitaire plus souvent que familiale. La vendange, le débardage et même le service à la nation en guerre, rien ne rebutait Sidonie en dépit de son âge. Elle avait bien quelques caprices mécaniques et il fallait le secours d'un mécanicien de talent et d'un cheminot itinérant pour la remettre sur ses rails !

Sidonie se plaisait à leur offrir de la place. Une large banquette à l'avant permettait au père de laisser conduire son jeune fils, assis fièrement à ses côtés. Il avait inventé la conduite accompagnée sans se soucier d'attacher une ceinture de sécurité qui n'existait pas plus que le compteur... À l'arrière, deux strapontins tournaient le dos au pilote et faisaient face aux transportés de l'arrière.

Ils étaient tous tous à l'abri d'une bâche amovible, fort mal commode à dérouler quand la pluie les surprenait. Car Sidonie était, c'était là son plus grand luxe, capitonnée et surtout décapotable ! Bâcher était une aventure qui supposait occasion exceptionnelle. Les œillets refusant souvent d'épouser les pitons de la belle carrosserie.

Pour entraîner le moteur, le père usait de la manivelle, ses deux enfants étaient assis à l'avant pour assurer la manœuvre quand le moteur, après de nombreux essais, acceptait enfin de bien vouloir tousser. Quand le miracle avait lieu, vite il fallait appuyer sur la pédale pour éviter que Sidonie ne cale. Ça fumait à l'arrière, pétaradait à l'avant et le pilote se pressait de sauter rejoindre sa troupe.

Mon interlocutrice se souvient d'un voyage aventure. Sa Grand-Mère disputait la place à une poule vivante et quelques cageots : les bagages et les légumes de leur jardin et le casse-croûte incontournable à toute épopée familiale. La redoutable côte de Bourron les contraignit à descendre, Sidonie suait huile et eau, il fallait prévoir quelques provisions de secours et lui donner un joli coup de main pour franchir l'obstacle et poursuivre sa route. La pluie vint mettre son grain de sel, des serviettes éponges suppléaient une étanchéité illusoire.

Il leur fallait rentrer au jour, la nuit ne s'éclairait pas des ses lampes à acétylène qui participaient du décor beaucoup plus que de l'éclairage. Seul l'avertisseur sonore jouait les cornes de brume et écorchait les oreilles de timbre de crécelle.

C'est en utilitaire que Sidonie se gonflait de son importance. Débarrassée de la banquette arrière, elle recevait les tines, le grand panier, les outils, des parasols, les amis les vendangeurs coincés entre la hotte, les seilles et leurs sabots et les si nécessaires provisions de bouche.. Qui n'a point connu le bonheur des vendanges ignore tout du bonheur de cette fête merveilleuse. Joyeux, ils ramassaient les graines, hurlant « Hotteux, hotteux ! » pour charger le colosse de notre récolte ....

Le repas des vendanges était le plus beau des moments. Les enfants devaient garder têtes couvertes pour éviter les assauts d'un soleil traiteux. Le repas s'étalait sur l'herbe juste à côté de la grosse Sidonie. La mère avait profité du transport des premières corbeilles d'osier, pleines de ce jus écrasé sur place, pour venir aux vignes avec tous les ustensiles. À l'époque, un repas sur l'herbe ne se contentait pas d'assiettes en carton. La vaisselle se devait d'être de la fête pour honorer les vendangeurs. Hareng en sauce tomate, œufs durs et tout ce qui fait un menu laborieux. Le café en thermos et la goutte pour reconstituer force et courage.

Le travail reprenait, on oubliait la sieste. La vendange, bien avant la nuit devait être terminée. Les deux drôles rentraient alors, épuisés, fourbus mais heureux de cette saine fatigue propre à cette bien trop lointaine jeunesse. Ma conteuse entend encore au loin le roulement du fouloir, elle aimerait se retrouver encore sur la banquette de ce bolide qui effrayait son monde à près de 30 à l'heure !

Des larmes plein les yeux, la dame n'est plus avec moi. Je pense qu'elle a traversé les ans lorsque je l'entends murmurer :
«  Maman demande pourtant à papa de ralentir, ça secoue terrible sur le chemin creux de Gien le Vieux. Avec toutes ces cabosses, elle pourrait bien nous faire la petite sœur avant l'heure ! »


Nostalgiquement sienne



jeudi 23 août 2018

Dieu en question


Puisse-t-il me pardonner ...



Comment recommander son âme à Dieu quand le cachet de la poste ne fait plus foi ?
Les saints restent-ils de glace devant les soixante-dix vierges ?
Comment un apatride peut-il être prophète ?
Doit-on rendre le coup de grâce à Dieu ?
Dieu aime-t-il se faire prier ?

A-t-on tiré le diable par l'aqueux lors du déluge ?
Dieu finira-t-il un jour par être un bon petit diable ?
Dieu croit-il en lui ?
Faut-il une foi aveugle pour ne pas voir les horreurs commises au nom du Très Grand ?
Un pâtissier honore-t-il tous les saints ?

La femme de Dieu lui a-t-elle fait une scène ou bien n'est-ce que son fils ?
Faut-il une révolution pour que le royaume de Dieu devienne une république laïque ?
Faut-il signer un bail pour louer Dieu ?
Le bouc émissaire aurait-il dû habiter au diable vau-vert ?
Les dix commandements ont-ils été gravés dans un marbre funéraire ?

Dieu pourrait-il être un faux témoin ?
Pour jurer au nom de Dieu, faut-il toujours cracher par terre ?
Les saints aiment-ils se couper en quatre pour multiplier les reliques ?
Dieu a-il pactisé avec le diable ?
Que se serait-il passé si Dieu avait confié à Mousse le soin de construire son église ?

Si les anges n'ont pas de sexe, pratiquent-ils la reproduction in vitraux ?
Dieu est-il un sur-Pape de sécurité ?
Si les voies de Dieu sont impénétrables, que dire des chemins qui vont à Rome ?
A-t-on changé les louanges de Dieu ?
Faut-il seulement faire des saints pour blasphémer ?

Faut-il être inspiré de Dieu pour expirer dans la haine et le meurtre ?
Ne vaudrait-il pas mieux explorer les ressources de l'humanité qu'implorer Dieu à tous propos ?
Les intégristes sont-ils dignes de foi ?
Pour donner foi au Paradis dans les cieux, est-il besoin de créer l'enfer sur terre ?
Les terroristes se détournent-ils de Dieu quand ils prennent l'avion ?

Qui du diable ou bien de Dieu a-t-il le plus besoin d'un avocat ?
Faut-il fréquenter une église avant de la demander en mariage ?
Peut-on remettre l'idée de Dieu sur le tapis ?
Depuis quelque temps, le prophète a-t-il mauvaise presse ?
Celui qui est inspiré de Dieu, peut-il en faire un dessin ?

Peut-on avoir la révélation de l'inexistence de Dieu ?
Est-ce parce que les fêtes ont été trop gourmandes que la France a une crise de foi en janvier ?
Montrer ses confesses en public relève-t-il du blasphème ?
Pour faire des sacrifices à son Dieu, a-t-on besoin d'avoir du sang sur les mains ?
Dieu est-il misogyne ?

Qu'est devenue la femme du diable pour que celui-ci ait des cornes ?
Puisque Dieu a écrit son testament, ne se considère-t-il pas comme un simple mortel ?
Chez quel notaire a-t-on déposé le nouveau testament ?
Comment connaître le taux des conversions ?
Si Dieu a créé l'homme à son image, pourquoi ne peut-on pas le représenter ?

Théologiquement sien.

« Les dieux n'étant plus et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été. » 

 

mercredi 22 août 2018

Petits pois deviendront grands.



Jardinière de légumes.



Il était une fois une gousse qui élevait amoureusement ses petites graines. La belle plante que voilà, qui rêvait d’un destin royal pour les siens. Il est vrai que, cultivée dans le jardin de Villandry, elle ne pouvait rêver plus bel écrin pour atteindre ses fins. Elle était entourée des plus belles plantes du jardin de France : cette Vallée des Rois à la si belle douceur de vivre.

Notre gousse avait voyagé dans sa vie de graine. Elle avait eu le privilège de naviguer sur la grande mer océane par un curieux hasard que le destin aime à offrir à ceux qui ont des rêves plein la tête. C’est ainsi qu’elle avait fait la connaissance d’une huître. Cette dernière lui avait glissé à l’oreille un bien étrange secret qui germa en son esprit de fort belle manière.

La graine plantée en terre, elle avait acquis la certitude qu’elle parviendrait, elle aussi, a métamorphoser le plomb en or. Il faut dire que les alchimistes étaient légion dans nos châteaux, cloîtres et monastères tout du long de cette rivière sublime. Il n’y avait pas de raison que le petit pois ne se fît pas, également, Grand Invité à la table des Roys.

L’huître avait transmis une formule magique que la gousse exécuta à la perfection. En son sein, elle nourrissait onze petits pois élégants, parfaitement ronds et brillants à souhait. Elle fit des merveilles, puisant dans le sol tous les éléments propres à faire grandir les siens dans un parfait équilibre. Jamais on ne vit par ici plus belle cosse, réceptacle plus charnu, plus gonflé, plus large que celle qui avait un grand dessein en tête.

Quand son tour vint d’être récoltée, la gousse se fit langoureuse. Elle voulait absolument que Camille, la petite-fille du jardinier, fût celle qui viendrait recueillir les fruits de ses entrailles. Elle captait le soleil, elle se frottait contre la tige et les feuilles pour produire une douce mélodie. Camille n’était pas si sotte : elle avait repéré son manège ; elle avait compris qu’il y avait dans cette plante un curieux message qui lui était destiné.

La jeune fille , toujours pieds nus, en haillons, car il n’était pas moyen de l’habiller convenablement, cette sauvageonne qui traînait en tous temps dans cet immense jardin, sentit qu’il était temps de récolter cette cosse et nulle autre. Pourquoi avait-elle conscience de cette étrangeté ? Les mystères sont insondables ou bien ils perdent tout intérêt.

Camille la détacha avec précaution, avec douceur, avec une gratitude dans le cœur qui aurait fait rire des adultes s’ils l’avaient entendu remercier la plante en lui parlant aimablement. Mais qu’importe ce que peuvent penser les autres ! Camille avait dans ses mains le plus beau des trésors. Elle se réfugia dans les bois voisins, chez une vieille femme , Irène, que les gens de la région tenaient pour sorcière. Depuis sa plus tendre enfance, Camille avait pris l'habitude de lui rendre visite et d'échanger des confidences quand elle s'offrait une escapade.

La jouvencelle attendit d’être avec sa vieille amie pour ouvrir le réceptacle végétal. Ce que les deux femmes virent les fit s’exclamer d’émerveillement. Les onze petits pois étaient nacrés, scintillants, translucides. D’une rondeur parfaite, ils ressemblaient à des émeraudes plus qu'à des perles avec leur délicate teinte verte. La vieille Irène sourit de son grand sourire édenté qui plaisait tant à la gamine :« Voilà la chance de ta vie ! »

Toutes les deux passèrent la journée en d’étranges préparatifs. Quand vint le soir, c’est une Camille transfigurée qui sortit de la masure d’Irène. Elle portait belle robe, parure délicate, bottines fines et gracieuses, coiffe discrète et élégante. Mais par-dessus tout, on percevait le scintillement de son collier de petits pois.

Elle se rendit directement au château où ce soir-là, justement, il y avait bal avec tous les muscadins du coin. Son apparition fit sensation ; elle fut reçue bien que personne ne sût qui elle était. Sa mine et sa grâce avaient ouvert des portes qui, jusqu’à ce jour, étaient toujours restées hermétiquement closes pour elle. Les cavaliers ne regardaient qu’elle, n’avaient d’yeux que pour son cou élancé et fin, orné de cette merveille de pureté. Elle eut, ce soir-là, tous les hommes à ses pieds.

Quand les douze coups de minuit sonnèrent, Camille prit congé de l’assistance médusée. Beaucoup de jeunes gens voulurent la suivre, lui firent des avances, des propositions, curieusement toutes plus honnêtes les unes que les autres. À tous ceux-là, elle déposa un tendre baiser sur le front en murmurant : «  Je choisirai celui qui saura cultiver sa différence ! »

Elle disparut, laissant les jeunes gens désemparés et intrigués. Mais rapidement la surprise devint pour beaucoup de la stupéfaction, de la colère et même de la consternation . En effet ,voulant tous la suivre , ils se précipitèrent vers leurs carrosses. Hélas, à la place de leurs fiers véhicules, il n’y avait plus que des tas grossiers de légumes sur chacun desquels trônait une magnifique citrouille.

Tous les muscadins, à l’exception d’un seul, partirent dans une rage folle, insultant le diable et la terre entière. Ils piétinèrent les légumes et rentrèrent, outrés et piétons, dans leurs demeures respectives. Seul, le jeune Brillat- Savarin comprit le message énigmatique de la beauté. Il ramassa tous les légumes, y compris ceux qu’avaient massacrés ses collègues. Le lendemain , il alluma un grand feu et confectionna une soupe succulente, un brouet comme jamais plus on n’en goûterait !

Il porta sa soupe au village voisin. Il en fit grande et généreuse distribution. Brillat venait de se découvrir une passion dévorante pour la cuisine. Il en ferait son métier en dépit de l’interdiction qui était faite aux gens de son état de travailler. Il n’en avait cure. Il avait pris tant de plaisir à confectionner ce mets qu’il voulait explorer tous les mystères de la gastronomie.

Il en était là de ses réflexions quand la dernière villageoise à quérir un bol de soupe l’intrigua par son sourire en coin. Il lui servit ce qu’elle était venue réclamer mais la jeune fille en haillons ne le remercia pas. Au lieu de ça, elle découvrit sa gorge et Brillat vit, en évidence, le collier qui lui avait fait tourner la tête. Camille s’adressa alors au jeune homme : « Grande et bonne est ta différence. Cultive toujours ton art, tu seras mon mari et un formidable cuisinier. Je serai ta femme et cultiverai pour toi les légumes ! »

Ainsi fut fait. Le collier resta au cou de Camille la jardinière. Brillat devint ce grand cuisinier que chacun connaît. Son consommé de petits pois resta dans les mémoires comme le plus délicieux qui soit. Pour tous les deux , ce n’était pas dans la vie oisive des nobles et des puissants qu'ils espéraient trouver la plénitude et le bonheur. Ils se marièrent, travaillèrent et ainsi furent-ils les plus heureux du monde. Ni les titres ni les positions acquises ne font le bonheur. L’épanouissement se trouve dans l’amour et le travail ; menteurs sont ceux qui affirment le contraire.

Macédoinement leur.



Versons une petit lame

  Pauvres couteaux Versons une petit lame Pour tous que nous avons perdus À chaque fois ce fut un drame Ô pauvres comp...