samedi 30 juin 2018

La Loire Rebelle


La Loire Rebelle
de jean Rivier



Il y a sans doute bien des biais et des approches pour évoquer les crues de la Loire. Avec une classe, il convient sans doute de commencer par se promener le long d’un quai et d’examiner les traces rouges et ces dates inscrites là et que ne peuvent laisser indifférents. Il y a ensuite quelques dossiers pédagogiques de qualité qui permettent d’aborder les causes et les conséquences, les effets et les travaux mis en place par les hommes au fil des siècles pour se prémunir de ce qui fut souvent vécu comme une catastrophe.

Nous nous contenterons de citer ce document particulièrement complet si vous souhaitez vous y référer et approfondir le sujet pour vous ou avec des élèves :

Nous pensons qu’une approche romanesque permet sans nul doute une plus grande sensibilisation à cette incroyable aventure humaine que doit être une crue centennale même si notre génération a eu la chance jusqu’à présent d’en réchapper.

C’est à ce titre que nous ne pouvons que vous encourager à lire et à travailler à partir du lire
« La Loire Rebelle » de Jean Rivier aux éditons Granvaux qui évoque au jour le jour sur un petit secteur autour de Saint Benoît-sur-Loire la crue de 1846.

Vous aurez ainsi du dimanche 18 octobre au dimanche 8 novembre un aperçu des inquiétudes naissantes, de la propagation des informations, des criantes et des comportements irrationnels, des peurs et des douleurs, des actes de courage et des désastres, des drames humains et matériels qui sont le cortège d’un phénomène aussi violent.
Puis la vie reprend ses droits et vous suivez également la suite des conséquences jusqu’au printemps 1847 dans un récit haletant, merveilleusement documenté qui vous plonge véritablement dans l’actualité locale de l’époque.

Survolons ce récit pour vous donner envie de vous référer si vous avez envie de mieux toucher du doigt la réalité d’une crue centennale, loin des clichés et des idées reçues.

Dimanche 18 octobre 1846
C’est le temps des premières rumeurs. Les moyens de transmission de l’information ne sont pas ceux d’aujourd’hui pourtant les oiseaux de mauvaise augure annoncent l’arrivée prochaine d’un monstre d’eau et de boue. Des nouvelles alarmantes arrivent de Nevers, d’autres plus récentes évoquent ce qui se passe en Haute-Loire mais tout ceci ne sont alors que rumeurs folles. À Saint Benoît c’est la consternation et l’angoisse.

Lundi 19 octobre 1846
Des confirmations arrivent de partout. La Haute-Loire est sous les eaux, l’Allier est en crue. Les petits affluents de la Loire débordent à leur tour. Les pluies dans les Cévennes ont gonflé leurs cours. Les plus optimistes haussent les épaules, là-haut ce sont des montagnes, ici on ne craint rien. D’autres lèvent les yeux au ciel pour lui adresser leurs premières prières.

Mardi 20 octobre 1846
Des informations arrivent par la route de Cosnes et de Gien. Cette fois, il ne faut plus douter. La Loire va apporter son lot de malheurs. Il convient désormais de s’y préparer, de sauver ce qui peut l’être et d’évacuer ceux qui sont en danger. Toutes les inquiétudes se tournent vers la levée ; « Tiendra-t-elle ? »

Mercredi 21 octobre 1846
Des hommes ont passé la nuit sur la levée à surveiller, à renforcer les protections. Ils sont épuisés. Les premiers sinistrés sont accueillis par le curé de Saint Benoît, la solidarité s’organise. De mauvaises nouvelles arrivent des villages voisins, Sully est sous les eaux mais que faire ? Partout ce sont les mêmes nouvelles, Chateauneuf, Germigny, Orléans même à son tour. Mais pour l’heure, chacun doit penser à lui et à sauver ce qui peut l’être encore.

Jeudi 22 octobre 1846
La pluie a enfin cessé dans un décor apocalyptique. Les levées qui n’ont pas rendu forment un chemin au milieu des terres inondées et de la rivière en furie. Des mariniers réalisent de véritables actes de bravoure pour porter assistance aux gens isolés, leur porter du ravitaillement au péril de leur vie. De fausses informations sont propagées par la presse parisienne semant un peu plus le trouble dans les populations en grand désarroi.

Vendredi 23 octobre 1846
L’eau baisse. C’est la bonne nouvelle tandis que les dégâts apparaissent désormais au grand jour. Ils sont immenses, maisons détruites, bétail noyé, récoltes anéanties. Des victimes isolées sont à signaler ici ou là. De braves gens ont tout perdu et les maisons ne seront guère habitables dans l’immédiat. Des barques continuent sur des flots toujours tumultueux à venir aux nouvelles dans les fermes à la seule force des bourdes, c’est incroyable !

Samedi 24 octobre 1846
L’eau s’est considérablement abaissée, les terres apparaissent par endroit dans le Val qui durant quelques jours n’était d’un immense lac. La Loire semble vouloir prochainement retrouver son lit. Partout c’est la désolation. Quand l’eau se retire, elle laisse boue et destruction derrière elle. Pas une cité ligérienne n’a été épargnée. La Loire a frappé cruellement la diablesse !

Dimanche 25 octobre 1846
C’est bientôt le retour à la normale. Il faut déjà penser à la suite, à cet hiver à passer dans des maisons qui ne vont pas avoir le temps de sécher. Il faudra se nourrir et donner du fourrage aux bêtes. Mais comment faire ?

Lundi 26 et mardi 27 octobre 1846
C’est le temps du bilan et du travail. Les routes sont enfin rouvertes. Il faut s’organiser. Un ingénieur des Ponts et Chaussées vient spécialement du Rhin pour entreprendre les travaux d’urgence sur les ouvrages d’art. Chacun s’active d'arrache-pied en dépit de la fatigue accumulée. Le temps n’est plus au désespoir. Il faut aller vite.

Mercredi 28 octobre 1846
Les prairies sont inutilisables tandis qu’on enterre les morts. Les derniers réfugiés regagnent ce qui reste de leurs demeures. La vie reprend ses droits.

Jeudi 29 octobre 1846
Nouvelle alerte. La Loire refait de siennes. Elle forcit à nouveau. Une côte de 2 mètres 30 est annoncée par les gendarmes. Ce n’est rien par rapport à ce qui a été supporté même si c’en est trop en ce moment. C’est l'abattement de nouveau. Fort heureusement ce n’est qu’une erreur de la préfecture qui a fait une faute de frappe, rien que ça. La hauteur annoncée n’est que de 0,30 m.


Nous ne pouvons que vous conseiller de suivre heure par heure ce feuilleton qui dit bien plus à notre avis sur la crue du point de vue des humains qui la subissent que des rapports circonstanciés sans cette dimension. En espérant que jamais nous n’ayons à notre tour à vivre pareil épisode.


vendredi 29 juin 2018

La fille du voiturier


La fille du voiturier



Je suis née sur la rivière
Moi fille d'un grand voiturier
J'ai grandi sur la charrière
Avant de partir naviguer
La mère m'a confiée au père
J'étais encore écolière
Je suis devenue son compère
Quand j'ai ôté ma brassière



Ainsi devenue son garçon
Un gamin, un tout petit mousse
M'activant partout sur le pont
Je voulais oublier mes frousses
Gabier souple et attentif
Poussé par le vent de Galerne
À la bourde toujours actif
Lorsque les voiles sont en berne
Les années allant l'une l'autre
À mon tour j'ai tenu la piautre
J'étais alors second du père
Ce garçon dont il était fier
Était sa fille bien-aimée
Pour nous seuls était le secret
Car sur tous les bateaux d'alors
Nulle femme n'était à bord



Puis un jour maudit entre tous
Mon père se noya sans rescousse
Un sournois passage de pont
Un choc violent le mit au fond
Nous étions tous si affairés
Nul ne put alors le sauver
Car c'est la règle à notre bord
La manœuvre ou hélas la mort
A mon tour j'avais pris sa suite
Devenant facteur émérite
L'équipage me croyait homme
Je tenais bien ma place en somme
Acceptant cette comédie
Car naviguer était ma vie
Jusqu'au jour où dieu quelle histoire
Je me retrouvai dans la Loire



Mes formes me trahirent enfin
La femme était donc ce marin
Qui conduisait son équipage
Sans jamais risquer le naufrage
Sachant désormais ma valeur
Mes hommes me firent l'honneur
De me conserver à leur tête
Ma victoire fut cette conquête !
J'ai grandi au fil du courant
Moi fille d'un grand voiturier
Qui ai pris en mains un Chaland
Sur la Loire j'ai navigué
Première femme à ce bord
Sans plus faire de manières
On me respecte en tous les ports
Je suis devenue marinière


jeudi 28 juin 2018

La gazette de l’aigrette


La gazette de l’aigrette



Sur la Loire c’était calme plat
Les oiseaux n’en revenaient pas
Quand une adorable aigrette
Décida de tenir gazette

La chose émut fort un canard
Enchaîné dans une mare
Il se voyait dépossédé
D’un titre qu’il eut mérité

Une oie s’arracha une plume
Elle en attrapa un gros rhume
Elle voulait qu’ainsi on écrive
Sa gloire et toutes ses dérives

Un bateau passa sur les flots
Le marin bouta son chapeau
Avec cinq colombes sur sa hune
Il entrevoyait la fortune

Le balbuzard se prit de bec
Avec la rédactrice pète sec
Il voulait la première page
Pour la beauté du ramage

Le martin pêcheur sur la brèche
Demanda à la revêche
Qu’un modeste entre-filet
Évoque les horaires des marées

Quand soudain la rédaction
Tout à sa précipitation
Accepta de jeter l’ancre
De ce journal pour les cancres

L’aigrette tira sa révérence
À ceux de la conférence
Qui avaient dénigré celle
Qui s’envolait à tire d’ailes

Quand le journal tomba à l’eau
La garzette leur tourna le dos
Elle avait du plomb dans la tête
Pour avouer sa défaite




mercredi 27 juin 2018

Le Sully Lux



Lux umbram praebet, mysteria autem veritas

 

En mon pays d'en France, nous avions le bonheur, alors sans pareil, de disposer d'un grand cinéma : un lieu vaste et confortable au cœur de ce petit village qui m'a vu naître et grandir. Face à lui, il y avait encore la vieille halle de fer sous laquelle se tenait le marché aux volailles avant que la modernité n'ait imposé, dans le même temps, un feu tricolore et la destruction de ce qui était alors le symbole de l'archaïsme.

Heureusement, notre cinéma Sully Lux échappa à la folie des bâtisseurs. Il resta longtemps tel que je l'avais découvert pour la première fois ; c'est du moins ainsi dans mes souvenirs lointains. Nous faisions la queue car, en ce temps-là, le cinéma était une sortie familiale. Il y avait foule qui se pressait sous le hall d'entrée. Nous passions à tour de rôle devant le guichet avec son hygiaphone.

Une dame nous dominait de sa position surplombée. Elle cochait un grand plan ; chaque siège avait son numéro. Les gens avaient leur préférence : les uns près de l'écran et de la fosse, les autres sur l'un des deux espaces latéraux, beaucoup sur le haut de la salle et les habitués dans ce balcon auquel je n'eus accès que bien plus tard. Il y avait là un privilège associé à un tarif de première classe qui me fut longtemps inconnu. C'est plus tard, que les adolescents que nous devînmes firent du balcon leur quartier général. Mais ceci est une autre histoire ...

Le précieux billet en poche, nous devions attendre pour gravir les marches qui menaient jusqu'à l'entrée de la grande salle. Nous avions alors une vue plongeante sur des centaines de fauteuils rouges, confortables alors. Nous devions attendre qu'une ouvreuse nous conduise à notre place. Nous pouvions alors nous couler dans cet espace moelleux pour quelques délices cinématographiques.

L'écran était caché par une toile publicitaire. Les commerçants locaux qui avaient réussi disposaient de leur encart publicitaire. Les « Meubles Auger » se taillaient la part du lion au centre de cette immense panneau. C'était notre premier grand magasin ; nous ne pouvions ignorer sa spectaculaire réussite.

Un grand rideau rouge tombait de chaque côté de l'écran. Il s'ouvrait lentement plusieurs fois dans la séance. Tout d'abord pour laisser place au court-métrage et aux informations cinématographiques. Puis, pour revenir, le temps de l'entracte au panneau commercial, puis, pour annoncer le début du grand film. Il se refermait solennellement à la fin de chaque partie, laissant entrevoir un générique qui n'avait pas terminé de se dérouler. C'était magique ...

Les retardataires avaient le droit de suivre l'ouvreuse, sa lampe de poche en main. Ils déclenchaient des murmures et des plaintes, surtout quand leur place exigeait que de nombreux spectateurs se lèvassent pour les laisser passer. Le silence était la règle en ce lieu de culte païen. La moquette épaisse étouffait les pas. De grands lampadaires jaunes, semblables aux enseignes des bureaux de tabac, ornaient les murs qui étaient plissés.

Je me souviens tout particulièrement des toilettes du cinéma. Nous devions emprunter un long et étroit escalier en colimaçon qui descendait sous la salle. Il y avait du mystère en ce lieu souterrain et quelques odeurs pas toutes agréables. L'espace était vaste, rouge et noir, parfaitement éclairé et pourtant j'avais toujours le cœur battant lors de cette plongée dans les entrailles du cinéma.

Je me souviens surtout de la séance de Noël durant toute mon enfance. Les enfants des écoles primaires faisaient lente procession le long du ru d'Oison pour se rendre à la séance offerte par notre pape local : le propriétaire du Sully Lux. Nous étions passablement excités : il y avait de l'agitation et de l'exaltation dans les rangs mais nul débordement. Le temps n'était pas encore aux cris et aux folies des élèves conduits par leurs maîtres d'école …

Les classes s'installaient les une après les autres, sans bousculade, dans un ordre parfait. Le silence se faisait et la première partie commençait. J'avoue ne plus savoir si nous avions droit à un spectacle ou bien à une projection. Je penche plutôt pour des dessins animés mais il y a si longtemps, que la mémoire me manque. Puis, la lumière se faisait et arrivait le grand moment qui me marqua à jamais …

La ville de Sully pour l'occasion avait fait préparer cinq cents petits sacs alimentaires en kraft. Les enseignants distribuaient à chacun ce petit paquet-cadeau pour que nous puissions goûter avant le grand film. Les enfants ouvraient la pochette, ils y découvraient des pâtes de fruits, des chocolats, une friandise, quelques bonbons et une clémentine.

Cinq cents clémentines étaient alors épluchées dans le même instant. La salle était déjà imprégnée des effluves de cette marmaille à l'hygiène pas toujours irréprochable. La promiscuité aidant, une atmosphère lourde recevait ainsi le parfum de ce fruit exotique qui avait macéré quelques heures dans le papier kraft.

De ces séances de Noël, j'ai hérité d'un rejet total et définitif pour l'odeur de la clémentine et, paradoxalement, chaque fois qu'elle parvient à mes narines, je suis plongé au cœur de mon enfance. Dégoût et nostalgie douce-amère se mêlent ici. Le cinéma restera toujours pour moi marqué par ce souvenir d'en France.

Le film pouvait commencer parmi tous ces effluves mélangés. Nous étions transportés par la magie de Noël. Quand nous rentrions à l'école, nous étions en vacances. Dans les rues de la ville, les hauts-parleurs crachotaient la chanson de Tino Rossi. Les éclairages s'allumaient, la magie allait opérer sans que nous soyons submergés par des montagnes de cadeaux.

Cinématographique vôtre.

Lux umbram praebet, mysteria autem veritas
La lumière produit l'ombre, mais la vérité suscite les mystères.


mardi 26 juin 2018

Tracer la route.



En marche.



Marcher ! La belle activité que voilà. Marcher sur l’eau pour fendre la foule et sortir indemne des flots en furie. Marcher sur des œufs dès qu’il s’agit d’aborder les chemins de traverse. Marcher le nez au vent, se jouant des difficultés en comptant sur sa bonne mine et en profitant de l’air du temps. Marcher en donnant une main charitable ou bien une main protectrice ; penser qu’à deux, tout est mieux et croire en sa bonne étoile.

Marcher pour aller de l’avant sans se retourner. Avoir le regard au loin ; rêver de nouveaux horizons ; croire que tout est possible ! Marcher sur les mains pour ne pas s’y prendre comme un pied ; jouer les funambules et espérer ne pas tomber à la première tempête. Marcher en suivant son propre chemin ; loin des itinéraires tracés par les anciens.

Marcher sur tous les autres ; leur passer sur le dos ; les écraser par la puissance d’un mouvement qui ne connaît pas encore sa force. Marcher, c’est encore ne pas oublier de mettre un pied après l’autre, sans brûler les étapes ni sauter à pieds joints sur quelques obstacles qui se dressent sur votre route. C’est éviter d’aller à cloche-pied quand on prétend rester centré sur son objectif.

Marcher, c’est encore prendre soin de ses arpions. Enfiler de bonnes godasses, choisir des chaussettes sans couture, soigner sa plante des pieds avant que les blessures ne surgissent. L’ampoule est redoutable ; l’œil de perdrix menace ; l’ongle s’incarne et la corne se forme. Le marcheur doit conserver le pied léger, la démarche souple et ample. Il convient de ne pas prendre ces conseils par-dessus la jambe, fût-elle légère et tonique !

Marcher, c’est surtout ne jamais reculer devant l’obstacle. C’est sauter la barrière, gravir la montagne, garder le cap, filer sa route, passer les nids de poule, effacer les dos d’âne. C’est maintenir le rythme, aller d’un pas léger vers la prochaine destination. C’est la marche en avant : celle qui ne se pratique pas au pas.

Marcher d’un bon pas, balancer les bras en rythme, conserver la tête droite en toute circonstance. Marcher sans emprunter les traces de ses devanciers qui se sont perdus en chemin. Creuser son sillon, faire de son parcours une voie royale, aller toujours plus loin, d’un pas qui ne sera jamais celui du sénateur.

Marcher, la belle idée que voilà, quand on souhaite éviter l’immobilisme ou pire encore, la régression, les reculades, les pas de côté ou bien les emballements. Il ne convient pas de courir après la gloire ; le marcheur avance, serein, vers son destin. Il chemine, pérégrine, déambule, se promène, flâne parfois, mais toujours, il progresse sans revenir en arrière.

Faut-il une canne ou bien un bâton, un bras sur lequel s’appuyer, une étoile à suivre ou bien horizon à dépasser ? Est-ce besoin de se donner une carotte pour continuer à marcher ? Le marcheur est têtu, obstiné, infatigable. Il ignore les douleurs, dépasse ses limites pour décrocher la lune ou bien réaliser son rêve. Il se refuse aux fausses pistes comme aux impasses ; du moins le pense-t-il.

Chaque pas supplémentaire s’inscrit dans la volonté indéfectible de faire bouger l’humanité tout entière. Le marcheur a beau avoir la tête dans les étoiles, il n’est pas un rêveur : il se fait un honneur de garder les pieds sur terre. Sa quête le conduit à rejoindre l’autre, où qu’il soit, quel qu’il soit, pour faire un petit bout de route avec lui. Le marcheur partage son chemin ; il salue toujours ceux qu’il croise et prend le temps de discuter avec ceux qui restent au bord de la route.

Le marcheur n’est pas un homme pressé, ou bien il n’a rien compris, et finira, tôt au tard, par se prendre les pieds dans le tapis, à moins qu’il ne manque une marche et se retrouve le nez dans la poussière. Voilà ce que doit savoir celui qui se met en marche ; et point n’est besoin d’un bon coup de pied au cul pour se mettre ainsi en mouvement, avec un peu de plomb dans la tête et les idées claires. Quant à toi, marcheur suprême, sache qu’il conviendrait de ne pas nous faire marcher : nous n’aimons pas qu’on nous monte sur les pieds ou qu’on nous abandonne en chemin !

Pèlerinement sien.


lundi 25 juin 2018

Le grand saut du Perron



Quand Lucien faisait le joli cœur




En 1705, il était une fois à Saint Raimbert un jeune homme bien fait de sa personne, un gars réputé pour sa bravoure et son amour des jolies demoiselles. Il courait le guilledou, allant d’un jupon à l’autre avec délectation. Jamais satisfait de sa conquête, il se remettait toujours en quête, espérant trouver le véritable amour, celui qui fait battre le cœur.

Lucien était bien né, non pas qu’il fut venu dans l’existence avec une cuillère en argent dans la bouche ou bien un Louis d’or à chaque anniversaire ; nous connaissons de tels personnages dont il n’est rien à attendre de bon. Lui, il était d’ humble extraction, de celle qui vous pousse à tenter le diable pour réussir sa vie.

Le hasard, la nécessité, qu’importe comment nomme-t-on la coïncidence, Lucien fut présent lors de la création de la grande aventure des rambertes. Le charbon de terre, extrait dans les mines du côté de Saint Étienne, était réclamé dans tout le pays et par le roi Louis XIV, qui avaenit en ce temps-là grand besoin d’énergie pour son industrie naissante.

Il fut suggéré de transporter le précieux minerai par voie d’eau, la Loire étant fréquentable quelques mois par an du côté de Roanne. Des hommes plus audacieux pensèrent qu’il était possible de gagner temps et argent en embarquant dès Saint Rambert. Le problème majeur résidant dans le redoutable passage du Perron, qui dressait là, au milieu de la rivière, une barrière rocheuse exigeant un saut périlleux.

Lucien fut parmi les premiers à se porter volontaire pour tenter le diable. Il connaissait par le cœur le cours d’eau, aimant depuis toujours à s’y promener, à pêcher malgré l’interdit qui pesait sur cette pratique relevant d’un privilège corporatiste. Il savait les rochers, les obstacles, les pièges qui parsemaient ce trajet. Il avait, dans son jeune âge, osé la construction d’une pirogue et affronté la rivière. Sa réputation avait ainsi fait le tour de la contrée et c’est vers lui que se tournèrent naturellement les promoteurs de cette aventure en devenir.

Lucien supervisa la construction de la toute première ramberte, une grande barge en sapin pour y charger vingt tonnes de charbon. Il avait donné des conseils avisés, fort de ses expériences avec sa pirogue. Il se porta volontaire pour être le premier à se lancer dans cette folie, en situation réelle, avec une embarcation chargée. Il eut d’ailleurs bien du mal à trouver un compère qui acceptât de l’accompagner dans l’aventure.

Il fut celui qui ouvrit la route, une route parsemée de pièges et d’écueils. Son succès provoqua une épopée qui dura deux siècles et demi. D’autres trompe-la-mort se mirent aussi sur le métier qui venait de naître, celui de navigateurs audacieux qui menaient les bateaux sur ce petit parcours semé de chausse-trappes avant de les confier à d’autres, pour de longs trajets plus paisibles.

Ces gars-là étaient des acrobates, des têtes brûlées ne craignant rien. Ils étaient pourtant si faibles dans ces flots furieux, avec leurs deux malheureuses pétoles, leur courage et la main de dieu tant qu’elle voulait bien les protéger. Ils étaient admirés de tous pour leur courage, surtout des jeunes femmes qui ont toujours aimé ceux qui défient le destin.

Lucien tout particulièrement avait remarqué une beauté qui guettait le passage des vaillants devant le saut du Perron. Elle était là, la robe et les cheveux flottant au vent, inquiète et fébrile devant le spectacle qu’elle admirait tout autant qu’elle redoutait. Il ne manquait jamais à chaque passage de jeter dans la rivière, à l’approche de la magnifique vigie, une rose en lui envoyant un baiser.

La demoiselle l’avait elle aussi remarqué et aurait eu les yeux de Chimène pour son kamikaze de galant si la donzelle avait connu l’histoire. Elle était énamourée pour celui qui, en dépit du danger qui sourdait, se permettait pareille galanterie et aimable révérence, à elle seule, destinée. Elle avait le cœur battant à chacun de ses passages, si fréquents du reste, qu’elle soupçonnait qu’il se mît ainsi en danger rien que pour elle.

Elle se décida à agir pour le préserver tout autant que le conquérir. Elle se rendit dans l’église de Saint Maurice, munie selon la légende, d’une épingle à cheveux. Elle essaya à plusieurs reprises de la lancer contre la queue du cheval sur lequel était juché le saint patron de la ville. On prétendait que si l’épingle s’y fichait, le mariage désiré serait exhaussé et fort heureux.

Hélas, elle n’y parvint pas et eut soudainement terrible pressentiment. Elle se précipita vers le seuil tant redouté, guettant l’arrivée de son amoureux. La Loire était ce jour-là plus haute et agitée qu’à l’habitude. Elle était folle d’inquiétude et eut un violent pincement au cœur quand elle vit apparaître celui qu’elle chérissait.

Ce ne pouvait être que lui, celui qui se tenait ainsi, si fier et élégant pour aborder le passage le plus redoutable de toute notre Loire. Elle pria Saint Nicolas, la bonne Vierge de Vernay et tous les autres saints de la création. Hélas, les cieux ce jour-là étaient inaccessibles à ses requêtes. Elle vit Lucien bouter son chapeau devant elle, lui envoyer un doux baiser, jeter la rose dans les flots en furie quand un immense craquement résonna dans la vallée. Lucien, désarçonné sombra sous les yeux de sa bien-aimée.

La pauvre, folle de douleur, se précipita à Vinay. C’est là, quelques jours plus tard, qu’on découvrit son corps, premier d’une longue série de malheureux qui perdirent en ce passage maudit l’existence. La fille pleura toutes les larmes de son corps et se fit curieuse promesse, le seigneur des cieux n’avait pas souhaité qu’elle se donnât à son beau marinier, elle décida de se faire fille de tristesse, pour accorder à tous les autres le peu de réconfort qu’elle pouvait leur accorder.

De ce jour, la fille du saut du Perron fut traitée de Péronnelle, terme qui alors fit flores. Les hommes méprisent ainsi celles qui pour des raisons qui échappent bien souvent à la compréhension, font ainsi commerce de leur corps alors qu’ils en jouissent sans honte ni remords. Elle n’en jouissait point mais se faisait un point d’honneur à adoucir une existence qu’elle savait si fragile pour ces malheureux garçons affrontant mille périls pour des boulets de charbon.

Que cette histoire résonne dans vos cœurs et vous ouvre à bien plus de compassion pour celles qui font ainsi boutique de leur corps. Elle fut écrite pour les dix ans du Liger Club de Roanne, c’est un curieux cadeau que voilà. Puissent son président et ses membres en faire bon usage pour qu’enfin, les gens de cette région, retrouvent le désir d’aimer la Loire, belle et éternelle en dépit de tous les tourments et les sacrifices qu’elle a imposés aux ligériens durant l’histoire.

Anniversairement leur.



dimanche 24 juin 2018

Martyre de Saint-Jean-de la-Rouelle,


Qui vivra verrat

Le saint patron des charcutiers de l'Orléanais.



Il était une fois, à moins que ce ne fût qu'un pâté de foie, un brave charcutier qui,ayant fréquenté François Villon et les places des martyrs, aimait à acheter les corps des pauvres condamnés non réclamés par leur famille. Pour horrible et indigeste que soit cette histoire à nos yeux d'homme moderne, elle n'en est pas moins attestée par Jean Teulé en personne dans son remarquable ouvrage : « Je. François Villon ».
Mon ami Pierre Simon, navrant prosateur farceur et intrépide illustrateur charcutier prétend que l'homme se nommait Jean de la Rouelle et qu'il vint s'établir en notre belle région orléanaise. Nous tiendrons donc pour vrai ce qui ne peut être contredit par un historien ramenant sa fraise de veau. Il n'y a certes pas de quoi en faire tout un plat !
Revenons donc à nos cochons. Jean de la Rouelle s'était fait la main sur les malfrats, il lui parut tout naturel de revenir au verrat, matière plus noble et moins pervertie que le repris de justice, même si la justice en question pouvait être aveugle et expéditive à cette époque sombre et lointaine. Il s'installa donc Rue des Gras Souliers en Orléans après avoir cédé son pas de porte au 45 rue de Poliveau.
Jean de la Rouelle, par modestie ou pour faire oublier les frasques parisiennes, avait souhaité conserver le nom de son prédécesseur en guise d'enseigne. Sa maison resta donc la charcuterie Ben Hure, un honnête ouvrier réputé pour son roulé de porc et son travers à l'origine, d'ailleurs, d'une petite fête locale. Originaire d'Auvergne, le brave artisan avait rapporté un chaudron qui avait, dit-on, permis de fabriquer une certaine potion magique en des temps fort reculés.
Mais laissons la rumeur se propager aussi certainement que la renommée de Jean de La Rouelle. Son boudin lui tailla une réputation sans égale sur la place et bien au-delà. Bien des ménagères auraient fait des pieds et des mains pour en avoir un morceau et nombreuses étaient celles qui faisaient le museau quand cette merveille était en rupture de stock.
C'est d'ailleurs ce qui conduisit notre brave charcutier à sa perte. Sa réputation, ayant franchi nos frontières, bientôt le boudin de Jean de la Rouelle devint aussi célèbre que l'andouille de Jargeau ou la saucisse de Morteau. Il se dit que même les pèlerins qui allaient vers Saint Jean Pied de Port sur la route de Compostelle, exigeaient d'en avoir une part dans leur musette pour franchir les Pyrénées.
Face à cet afflux considérable de la demande, le pauvre Jean de la Rouelle fut amené à se faire du mauvais sang. Il ne pouvait pas tuer davantage de cochons dont les autres parties, inutiles pour le boudin risquaient d'être gâchées . Il lui vint ainsi l'idée lumineuse mais , ô combien contestable, de recueillir dans les geôles du royaume, du sang pour, proclamait-il, venir en aide aux nécessiteux et aux transfuges.
Fort de cet apport de sang frais, il put sans problème répondre à la demande et produire du boudin de sang humain. Ce n'était pas une époque où la traçabilité du produit était aussi pointue que de nos jours même si en ces années là, il eût été impossible de faire passer du cheval pour du cochon. Mais revenons à notre conte charcutier en nous moquant bien des vicissitudes du moment.
Jean de la Rouelle connut une période dorée. Sa charcuterie prospéra, il fut même coopté par l'échevin pour faire partie d'une commission citoyenne qui déterminait les menus des cantines scolaires. Il en profita d'ailleurs pour écouler ses excédents et obtint même du bourgmestre le monopole de la vente du vin chaud pour les fêtes de la nativité et les foires du pays. Quand on a le sens des affaires, on fait souvent alliance avec aussi coquin que soi !
Tout allait bien jusqu'au jour où un prisonnier à qui il avait soutiré du sang plus que de raison s'étonna auprès d'un certain Jean Baptiste Poquelin qu'on lui fît presque quotidiennement des saignées sans qu'il fût malade. L'homme de l'art enquêta et trouva le pot aux roses. Bien vite le rideau se baissa sur le commerce florissant de la charcuterie.
Jean de la Rouelle fut condamné à mort. Pour l'édification des masses et pour satisfaire à la colère de la populace locale que la vilénie de ce fourbe avait rendue anthropophage, la justice lui mitonna un supplice aux petits oignons. Il fut brûlé vif dans sa marmite devant sa boutique. C'est l'explication de cette illustration étrange qui nous est parvenue.
Que les âmes sensibles et les végétariens nous excusent. La vérité n'est pas toujours bonne à dire. Je vous exonère du récit détaillé des dernières minutes du pauvre homme. Il avait péri par là où il avait fauté. On ne peut approuver pareille morale, fût-elle simplement charcutière. Il est grand temps après ces jours gras et de bombance de se mettre aux légumes et aux bonnes soupes. C'est bien l'usage le plus raisonnable que l'on doit faire d'une marmite.
Quant à la canonisation de ce truculent personnage, chacun a le droit de s'interroger. Mais n'oubliez pas, braves gens que les voies du saigneur sont impénétrables. Mon histoire tourne en eau de boudin, j'en suis désolé !
Charcutièrement vôtre.

Le vin d’ici


Le vin d’ici



J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
Grâce à lui j’ai beaucoup amis
Quand débouche un Saint Nicolas

Je danse sur des verres à pieds
Enlace tendrement le goulot
Déguste à grandes gorgées
Un délicieux vin au bistrot
Je me délecte d’un godet
Tiré d’une grosse barrique
C’est un gouleyant muscadet
Servi avec des berniques

J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
Je n’ai jamais plus de soucis
Le vin accompagne mon repas

Je m’offre une ou deux chopines
Un sauvignon bien de chez nous
Pour attirer cette coquine
À qui je faisais les yeux doux
La verdeur de ce breuvage
Lui permettant vite d’oublier
Que ce n’est plus à mon âge
Qu’on peut remettre la tournée

J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
C’est ainsi que toute la nuit
je ronflerai dans de beaux draps

Je me dégrise à la bonne heure
Le soleil pointe à l’horizon
Je dois me remettre en labeur
Bien loin de ce tendre jupon
J’en ai l’air hélas à quoi bon
Se faire du mal en affirmant
Je ne suis qu’un vulgaire pochtron
Un gougnafier, un sacripant

J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
Et toute ma chienne de vie
Je resterai un vieux gars

J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
C’est hélas à cause de lui
Que j’ai le foie dans cet état 

 

samedi 23 juin 2018

La chanson offerte


La chanson offerte



Madame je vous en conjure
Oh ne me faites pas l'injure
De refuser cette chanson
Que j'ai écrite sans façon
Madame je vous le demande
Faites-vous donc un peu gourmande
Accordez-lui sa mélodie
Pour enchanter ma poésie

Par un matin très ordinaire
Un de ces jours sans manière
Moi qui voyageais sur la toile
Sans avoir sorti la grand voile
J'allais au hasard du destin
Il m'est apparu en chemin
Prenant la forme d'un message
Quelques pauvres mots sans ambages

Madame je vous en conjure
Oh ne me faites pas l'injure
De refuser cette chanson
Que j'ai écrite sans façon
Madame je vous le demande
Faites-vous donc un peu gourmande
Accordez-lui sa mélodie
Pour enchanter ma poésie

Oui c'était un presque inconnu
Que j'avais à peine entrevu
Juste un bateleur de passage
Un baladin pas vraiment sage
Qui me fit ce joli cadeau
Qui me confia tous ses mots
Certes une offrande magnifique
Ne manque plus que la musique

Madame je vous en conjure
Oh ne me faites pas l'injure
De refuser cette chanson
Que j'ai écrite sans façon
Madame je vous le demande
Faites-vous donc un peu gourmande
Accordez-lui sa mélodie
Pour enchanter ma poésie

Je me suis demandé pourquoi
Il s'adressait ainsi à moi
Je n'ai pas cherché à comprendre
Ce bonheur, il fallait le prendre
Et devenue enfin gourmande
J'ai donc accepté son offrande
Sans plus tarder je lui consent
Ce qu'il espère intensément


Madame je vous en conjure
Oh ne me faites pas l'injure
De refuser cette chanson
Que j'ai écrite sans façon
Madame je vous le demande
Faites-vous donc un peu gourmande
Accordez-lui sa mélodie
Pour enchanter ma poésie

La mélodie s'est imposée
Des notes que j'aime chanter
Que j'ai fredonnées en silence
Pour combler mon impatience
C'est vrai qu'il me fallait bien vite
Répondre à sa touchante invite
En lui envoyant par la toile
Quelques poussières d'étoile

Madame je vous en conjure
Oh ne me faites pas l'injure
De refuser cette chanson
Que j'ai écrite sans façon
Madame je vous le demande
Faites-vous donc un peu gourmande
Accordez-lui sa mélodie
Pour enchanter ma poésie




jeudi 21 juin 2018

Le dragueur de sable !



Comment ouvrir les yeux ?



Il était une fois une mère heureuse élevant son garçon auprès d'un mari aimant, dragueur de sable sur la Loire. Chaque matin, qu'importe la saison, elle voyait son homme partir avec un petit pincement au cœur. Elle ne pouvait s'empêcher d'avoir une crainte lancinante : le métier est rude, le travail harassant et la rivière piègeuse …

Hélène puisque tel était son nom, avait pourtant largement de quoi s'occuper durant ses longues journées. Elle travaillait dans un petit atelier de couture, elle taillait, cousait et reprisait de grandes voiles carrées pour les mariniers de Loire. Le travail se faisait à la main, la toile de lin ou de chanvre était bien épaisse et l'aiguille bien petite.

Un jour de hautes eaux, un jour de mauvais temps et de grand vent, on vint la chercher à l'atelier pour lui annoncer une nouvelle qu'elle redoutait en son for intérieur depuis si longtemps. Trop chargée, la toue sablière de son homme avait chaviré au passage du pont. Sur la rive, les passants avaient assisté, impuissants , à la noyade du pauvre homme incapable de résister à la force des flots en cet endroit redoutable.

Hélène fut alors l'une de ces nombreuses veuves de mariniers. La rivière était gourmande, chaque année, elle exigeait son lot de braves marins qui ne revenaient jamais. La pauvre femme dut mettre les bouchées doubles pour conserver sa petite demeure. La solidarité marinière ne durait qu'un temps, l'époque n'était pas tendre et les ressources maigres !

Elle le fit avec un courage exemplaire, faisant tout son possible pour que son fils, Gaston ne manquât jamais de rien et pût apprendre à lire et à écrire. Le garçon grandit, il vénérait cette mère qui l'avait ainsi entouré de tant d'amour. Il n'avait qu'une idée en tête, travailler au plus vite pour soulager sa tendre génitrice et lui épargner enfin ces heures odieuses qu'elle faisait en plus au lavoir pour quelques bourgeoises qui la payaient bien peu.

Gaston dès qu'il eut du poil au menton, sans demander l'accord de sa mère, se retrouva à son tour sur une toue sablière. Il voulait prendre la suite de ce père, disparu trop tôt. Dans le pays, il n'eut aucune peine à trouver une embauche. Chacun ici, avait de la mémoire et des valeurs humaines. L'adolescent maniait la queue de singe du matin au soir quel que soit le temps pour remplir les bateaux de ce joli sable de Loire …

Hélène se fit une raison, elle abandonna les bourgeoises au linge si sale, se contentant de ses longues heures à pousser l'aiguille courbe. Elle partageait sa vie avec ce garçon qui grandissait et qui bientôt, elle l'espérait, allait voler de ses propres ailes. C'est là, hélas pour elle, qu'elle se trompait lourdement. Son gamin n'envisageait nullement de vivre sa vie, il voulait rester auprès de sa mère, reprenant ainsi le rôle symbolique d'un père qui n'était plus.

Dans le village, bien des hommes soupiraient. L'âge n'avait en rien entamé la beauté d'Hélène. Il y avait des célibataires et des veufs (la chose n'était pas rare en cette époque rude) qui couvaient des yeux celle qui pourrait illuminer leur vie. Mais Bertrand était pire que mari jaloux, il ne quittait pas sa mère dès qu'il avait terminé le travail.

Un jour de fête votive, le plus assidu des prétendants n'en put plus de cette attitude déplacée. Gaston brûlait sa jeunesse, s'interdisait tout plaisir et rendait inaccessible une mère qui n'en demandait pas tant. Il fallait lui parler, lui faire comprendre la réalité. Il profita de la buvette pour prendre à part le garçon.

« Mon garçon, tu consacres toute ta vie à rendre à ta mère l'amour maternel qu'elle t'a donné. Nul ne songe à te le reprocher mais tu confonds les rôles. Regarde les castors de la rivière, quand ils ont grandi les enfants de la saison passée sont priés d'aller tenter leur aventure ailleurs. C'est ainsi pour toutes les espèces et quand l'un des parents vient à disparaître, un autre célibataire vient prendre la place mais jamais un petit de la portée ! »

Le fils qui avait sans doute bu un peu plus que de raison le bon petit vin du pays, eut bien du mal à comprendre le sens de cette énigmatique leçon de chose. Il avait l'esprit embrumé et ne saisissait pas le sens exact de cette curieuse tirade. Puis, quelques lumières se firent dans les brumes de son cerveau. N'était-il pas le dragueur de sable à bord de la toue baptisée « L'enfant castor » ?

Gaston regarda alors sa mère comme il ne l'avait jamais regardée auparavant. C'est vrai qu'elle était belle et que bien des regards d'homme se tournaient vers elle. Cette fois- là, il n'en éprouva, pour la première fois, aucune jalousie. Il commençait à se tirer le sable qu'il avait dans les yeux. Il comprit dans le même temps que bien des jeunes filles le couvaient des yeux, elles aussi .
Sa mère avait droit à une autre vie, lui devait commencer la sienne. Il avait fallu qu'un homme lui parle des castors pour qu'il se réveille de cette longue nuit qui avait débuté à la disparition du père. Le temps du deuil était passé depuis si longtemps qu'il était temps que la vie reprenne ses droits.

Le jeune homme accepta pour la première fois une invitation à valser venant d'une jeune fille qu'il n'avait jamais remarquée jusqu'alors. Son professeur de zoologie quant à lui virevoltait dans les bras d'une Hélène rayonnante, comme jamais; il ne se souvenait pas l'avoir vue si heureuse. La vie reprit son cours sur de nouvelles bases, Bertrand prit une petite maison à deux pas de celle de son enfance, un homme vint à sa place , d'abord subrepticement le soir puis de plus en plus ouvertement.

Quelques mois plus tard, en bord de Loire, on célébra deux mariages. On nous dit que la fête fut très belle et que bien des couples se formèrent et dansèrent jusqu'au bout de la nuit. Dans le ciel, les petits hérons s'envolaient pour la première fois du nid …

Les humains seraient bien avisés de regarder plus souvent les leçons que leur donnent leurs amis les animaux. Ils s'encombrent de bien des considérations qui leur sont imposées par des pouvoirs bien peu spirituels, des codes sociaux restrictifs et des valeurs artificielles. Parfois, pour leur ouvrir les yeux, il se trouve quelques amuseurs qui usent de la fable pour revenir à de plus sages pratiques. C'est la seule leçon qu'il faille tirer de cette histoire toute simple !

Heureusement leur. 
 

mercredi 20 juin 2018

Au jardin de l'évêché.



Nous serons joyeusement éméchés …



Monseigneur Dupanloup n'en croit pas ses oreilles, de la musique profane vient briser sa quiétude en son jardin secret au cœur de la cité. Le podium dressé devant la bâtisse s'ouvre sur un mer de transats propices à la contemplation. Installés en arc de cercle, ils délimitent la zone des initiés assis ! Sur le pourtour déambulent les hédonistes notoires, amateurs forcenés de la convivialité.

Ceux-là profitent de cette ouverture populaire d'un festival de jazz qui autrefois s'enfermait ensuit dans sa tour d'ivoire : ce Campo Santo réservé alors aux mélomanes éduqués, aux invités notoires, aux personnalités et aux bourses rebondies. Les rigueurs budgétaires ont eu raison de ce second volet dispendieux, seul le jardin fait de la résistance culturelle.

Le peuple orléanais se régale quelques soirs d'une ville qui s'ouvre enfin aux plaisirs partagés. Derrière les grilles blanches et les vigiles sombrement vêtus, le promenoir est dédié à des ventres affamés qui s'offrent une oreille pour les sons libérés des artistes invités. L'autre se réjouit de conversations multiples, de cette approche fiévreuse des vacances prochaines.

Le rituel s'installe et les habitudes se prennent. ABCD, fidèle au poste reçoit dès midi ceux qui profitent de cette merveilleuse bulle musicale pour se penser déjà en congés mérités. On mange et on palabre, on se retrouve enfin, au sortir d'un hiver qui nous a privés du bonheur simple d'occuper l'espace qu'on veut bien nous laisser.

La musique est ici prétexte à rencontres, à retrouvailles victuailles ! Avec l'abattoir, les conversations célèbrent le joli vin de Cléry, son blanc élégant, son rouge un peu fripon et ce pétillant naturel qui justifie pleinement la file d'attente aux tinettes discrètes.

La contrebasse ronronne, la batterie souligne, le piano divague et les cuivres rutilent. Le tempo souligne les pensées du moment, le vent se met de la partie et le ciel assombri encourage les rythmes un peu plus lents.

Au jardin de l'évêché tu pourras plus sûrement trouver une âme sœur, un compagnon d'insouciance, un groupe d'amis perdus et un joli débat d'idées qu'une révélation musicale. Le jardin bruisse de conversations multiples, de palabres éparses et d'éclats charmants. On trinque et on boit à la santé de tous et chacun se fait larron en foire.

Seuls les plus sages s'isolent au milieu du jardin, l'écoute sérieuse leur convient un peu mieux. Ils ont pourtant l'impression diffuse d'être eux-aussi devant leurs écrans pour cette Coupe du Monde qui réduit un peu la fréquentation du lieu. Un bourdonnement diffus provient de leurs arrières, mais ici, il se sait discret et salutaire.

Durant quatre jours, le jardin accueillera les esthètes et les jouisseurs, les mélomanes et les bavards. On se donne rendez-vous, on se manque. On trouve alors un autre compère. La nuit n'en finit pas en ces jours merveilleux qui bordent la Saint Jean de ce parfum délicieux d'un temps qui nous appartient vraiment.

Ailleurs surgira brutalement, violemment la défaite de la musique. Les amplis sauvages et la surenchère des décibels nerveux prendront le pas sur la douce mélodie et le partage possible. Nous nous réfugierons encore en des lieux écartés pour associer musique et convivialité. La foule, quant à elle, docile et consommatrice, se pressera, dans la certitude folle qu'il faut être des milliers pour vraiment s'amuser.


Paisiblement vôtre

Illustrations Orléans Métropole

Le mystère de Menetou.

  Le virage, pour l’éternité. Il est des régions où rien ne se passe comme ailleurs. Il semble que le pays soit voué aux...