jeudi 7 décembre 2017

La malédiction de la gargouille.


Conte de l'Avent

 



L’enfant et le chat en zinc.


Il était une fois, Victor, un curieux garçon qui vivait dans une maison en bois quand tous ses camarades étaient bien à l’abri dans leurs murs de béton. Lui, il s’en moquait, il savait qu’il disposait de tout le confort et qu’il y était très bien. Il était entouré de l’affection de ses parents et d’étranges animaux de compagnie. Il y avait trente-deux escargots, sept poissons et un chat : Anonymus le préféré du garçon. Toute sa ménagerie avait une particularité : elle était en zinc mais n’allez pas imaginer que c’étaient des sculptures ; ces animaux étaient vivants ….

C’est son père qui en était le créateur. Il avait trouvé le secret pour transformer la matière en êtres vivants. Le zinc dans lequel étaient fabriqués ces personnages venait de la cathédrale, à proximité de la reine des gargouilles, une hideuse créature qui représentait un dragon à tête de sorcière. C’est par la magie de cette proximité que les animaux sortis des mains du sculpteur prenaient vie immédiatement.

Anonymus et Victor étaient devenus inséparables. Partout où l’enfant allait, son chat le suivait. Mais comment faire comprendre ce miracle aux gens ? ils ont perdu depuis si longtemps leur âme d’enfant. Victor devait le cacher, prendre bien soin de le dissimuler à ses camarades comme aux grandes personnes.
C’eût été facile si Anonymus y avait mis du sien, mais le diable de chat n’en faisait qu’à sa tête et aimait à se sauver …

C’est ainsi que tout a commencé. Un jour qu'il avait échappé à la surveillance de Victor, ce coquin, ce fripon de chat décida d’aller traîner ses griffes du côté de la cathédrale. L’escapade n’aurait pas tourné au drame si l’animal n’avait croisé les pas de La Malice, l’illustre appariteur épiscopal. L’homme faisait sa tournée d’inspection des toits et Anonymus le suivit à pas de velours, déjouant sa légendaire vigilance .




Le Bedeau alla contrôler le grand bourdon et le chat s’autorisa une petite fantaisie. Alors qu’il passait devant la terrible gargouille, il eut une envie pressante. Quelle idée eut ce chat ? Nul ne le saura jamais, Anonymus, depuis, s’est toujours refusé à expliquer son forfait. Toujours est-il que prenant sa vessie pour une citerne, le chat eut l’intention de pourfendre le dragon en lui pissant dessus.

Le mal était fait : la gargouille, humiliée et trempée et surtout la sorcière, dans une colère noire, usa de ses pouvoirs maléfiques pour jeter un sort, pour envoyer un terrible châtiment, non pas au chat mais à son petit maître. Elle eût été plus avisée de pourfendre le véritable responsable : le sculpteur, mais celui-ci avait assez de détracteurs en la place, il n’était pas besoin de l’accabler d’avantage ! Puis s’en prendre à son fils était sans aucun doute la plus effroyable vengeance qu’elle pouvait imaginer.

En quelques jours, la santé du garçon défaillit. Victor ne mangeait plus, il perdait progressivement le sommeil, il souffrait affreusement de la tête. Bientôt son ventre le tortilla ; un lymphome lui était venu à la base du cou ; il était si faible qu’il fallut consulter. Les médecins locaux se perdirent en conjectures à moins qu’ils ne voulussent point révéler la terrible nouvelle : Victor avait une leucémie.

Il lui fallut se rendre à la capitale pour apprendre le fin mot de l’histoire. C’est à deux pas de Notre-Dame-de-Paris, que les professeurs de l'hôpital Trousseau annoncèrent la terrible nouvelle à Victor et à ses parents. Il faut avouer qu’en matière de malédictions de gargouilles, ils étaient plus habitués que leurs collègues provinciaux.


Mais que faire pour éradiquer le mal ? Il n’y avait qu’une solution :on enferma Victor dans une bulle, un vaste cube transparent aseptisé dans lequel ne pouvaient pénétrer que des visiteurs et les infirmières habillés en cosmonautes. Il fallait faire la chasse aux microbes : la sorcière avait affaibli son système immunitaire.

La malédiction le condamnait à vivre le reste de son âge dans cette prison. Victor ne pouvait accepter cette idée. Il lui fallait vaincre le dragon et la sorcière, briser la bulle, retrouver sa santé et sa joie de vivre. Mais comment faire ? Il réclama à sa mère une baguette de pain. C’est parce que la boulangère du quartier lui donnait toujours une chouquette quand il était enfant qu’il la prenait pour une gentille fée. Mais la baguette parisienne n’eut aucun effet.

Victor ne s’arrêta pas à cet échec. Il fit appel à un des hommes les plus forts de cette Planète : monsieur Teddy Riner en personne. Le géant débonnaire lui demanda ce qu’il voulait, Victor le pria de briser sa bulle. Le combat fut gigantesque : le judoka usa de toutes ses prises pour vaincre le monstre de plastique. À bout de forces, le champion s’avoua vaincu : il n’avait pu terrasser la maladie et son hideuse coquille.

Victor n’était pas triste ; bien au contraire, il avait beaucoup ri. Ce combat l’avait distrait. Il avait retrouvé le sourire et Monsieur Riner était heureux de ce résultat. Il lui promit de revenir le voir quand il aurait recouvré sa liberté et sa santé. Mais en attendant, il fallait trouver une autre idée.


On dit souvent qu’il faut soigner le mal par le mal. L’expression ici n’avait guère de valeur mais elle donna une curieuse idée à Victor. Le responsable de sa maladie était Anonymus dont l'espièglerie avait conduit ici son petit maître. Il était persuadé que seul, son brave chat allait le sortir de sa bulle. Mais comment le faire venir dans cette bulle ? Il fallait déjouer la surveillance des infirmières.

C’est son père qui se fit son complice. Il cacha Anonymus dans sa bouche. Ce jour-là, il arriva à l’hôpital avec une drôle de voix. Il était enroué, parlait du nez et quand on l’interrogeait, il répondait en toute honnêteté : « J’ai un chat dans la gorge ! » Ainsi, il franchit tous les obstacles sans mentir et, arrivé devant son fils, fit sortir le gentil matou.

Victor n’avait jamais été aussi heureux. Il fit au félin un grand câlin, un des ces câlins qui vous redonnent le moral. Le chat ronronnait de bonheur. L’enfant lui glissa à l’oreille son vœu le plus cher : « S’il te plaît, mon gentil chat, brise ma bulle que je rentre à la maison ! ». Aussitôt les poils se redressèrent sur le dos d’Anonymus, la bête cracha et bondit sur la bulle. La bataille, cette fois, tourna à l’avantage de l’animal. Il déchira la redoutable bulle de ses griffes en zinc. Victor était libre ; Victor était guéri.

Il retrouva sa maison de bois, ses chers parents, enfin soulagés, et son école. Cependant quelque chose avait changé dans son existence. Ses animaux en zinc étaient figés pour l’éternité. Ils avaient cessé de vivre comme vous et moi. Ils s’étaient tous regroupés pour donner leur force vitale à leur petit Victor qu’ils aimaient tant. L’enfant avait compris le message : il lui fallait cesser de croire aux chimères pour passer à l’âge d’adulte. La maladie l’avait fait grandir, sa guérison le ramenait dans le monde réel.

Cependant, il gardait dans sa tête son imaginaire. Il serait artiste et depuis il est revenu à ses peintures sur des panneaux en zinc. Bon sang ne saurait mentir et, cette fois, il était bon, croyez-moi. La malédiction de la gargouille n’était plus qu’un vilain et lointain souvenir.

Zinguement sien


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